Lorsqu’on regarde une carte du monde, la forme des continents nous fait immédiatement penser aux pièces d’un puzzle que l’on aurait soigneusement détachées et écartées. Ce qui s’étale sous nos yeux n’est autre que le résultat de millions d’années de mouvements tectoniques. Si la théorie de la tectonique des plaques, associée à l’expansion des fonds océaniques, est désormais solidement ancrée, reconstruire avec précision le mouvement des continents pour découvrir l’agencement des plaques par le passé n’est pas aussi évident qu’il y paraît. Pour rembobiner le film de l’histoire tectonique de la Terre, les anomalies magnétiques sont ici des marqueurs essentiels.


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    Le champ magnétique terrestre s’inverse de manière irrégulière au cours des temps géologiques et les laves, lorsqu'elles se refroidissent et cristallisent, ont la capacité d'enregistrer l'orientation du champ magnétiquechamp magnétique ambiant. Les roches volcaniques ainsi formées conservent, grâce à cette aimantationaimantation rémanente, une trace de l'orientation du champ magnétique au moment de leur formation.

    La croûte océanique, archive des inversions magnétiques

    Or, le plus grand système volcanique du monde n'est autre que le grand réseau de dorsales qui s'étend à travers tous les océans du globe. En se formant de manière continue à l'axe des dorsales, la croûte océanique enregistre donc au fur et à mesure les inversions du champ magnétique terrestre. En mesurant l'orientation de l'aimantation rémanente des basaltes de la croûte océanique dans le champ magnétique actuel, on observe ainsi des anomaliesanomalies magnétiques qui seront soit de polarité normale (dans le même sens que le champ actuel), soit de polarité inverse. Comme la croûte océanique se forme de part et d'autre de la dorsale de manière relativement symétrique, on obtient des linéations magnétiques symétriques alternant entre polarités normales et inverses. Le champ magnétique actuel étant enregistré à l'axe des dorsales, plus on s'éloigne de l'axe pour aller vers les continents, plus les anomalies rencontrées sont vieilles. En reconnaissant le schéma d'inversion des anomalies magnétiques, les scientifiques arrivent ainsi à dater l'âge de la croûte océanique.

    Exemple de profil magnétique observé de part et d’autre d’une dorsale océanique. © Kious et Tilling, Wikimedia Commons
    Exemple de profil magnétique observé de part et d’autre d’une dorsale océanique. © Kious et Tilling, Wikimedia Commons

    Reconstructions paléogéographiques

    Les linéations magnétiques observées dans les océans, parallèles à la dorsale, représentent ainsi des isochrones, c'est-à-dire des points de même âge. Dans un bassin océanique, en ramenant chaque isochrone sur l'isochrone du même âge dans le bassin conjugué, on referme petit à petit l'océan. Il s'agit d'une reconstruction paléogéographique : à la manière d'un film que l'on rembobine, on remonte le temps, l'océan se referme et les continents se rapprochent, jusqu'à arriver à la plus vieille anomalie magnétique enregistrée. À ce moment-là, on obtient une image assez claire de l'organisation et de la position des massesmasses continentales avant l'ouverture océanique et la mise en place de la dorsale.

    Reconstruction des plaques tectoniques à 120 millions d’années grâce au logiciel GPlate. © GPlate, Earthbyte.org
    Reconstruction des plaques tectoniques à 120 millions d’années grâce au logiciel GPlate. © GPlate, Earthbyte.org

    Mais tout n'est pas si simple, l'existence de multiples modèles de reconstructions paléogéographiques en est la preuve. L'identification des anomalies magnétiques n'est pas forcément évidente, la qualité de l'enregistrement du champ magnétique dépendant notamment de la quantité de laves mises en place à l'axe des dorsales. Dans les régions d’accrétion océanique peu magmatique, les anomalies magnétiques sont mal enregistrées, rendant leur identification et donc la datation du plancherplancher océanique difficile et sujets à controverse. Il en est de même sur les marges continentales, qui sont les zones marquant la transition entre la croûte océanique et la croûte continentale.

    La nature des premières anomalies enregistrées après l'ouverture continentale y est souvent débattue. C'est notamment le cas dans l'Atlantique Nord, avec l'anomalie J. Auparavant utilisée pour les reconstructions paléogéographiques, cette anomalie magnétique localisée le long des marges Ibérie et TerreTerre Neuve a récemment été réinterprétée. Les nouvelles études suggèrent qu'elle ne représenterait pas en réalité une isochrone fiable, n'étant pas le résultat d'une inversion du champ magnétique, mais de plusieurs événements magmatiques locaux ayant eu lieu à des moments différents. Son utilisation ne serait donc pas adéquate dans le cadre de reconstructions paléogéographiques.  

    Carte des anomalies magnétiques dans l’Atlantique nord. On voit nettement les linéations magnétiques de part et d’autre de la dorsale, en blanc. En noir les lignes de côtes. © <em>World Digital Magnetic Anomaly Map</em>
    Carte des anomalies magnétiques dans l’Atlantique nord. On voit nettement les linéations magnétiques de part et d’autre de la dorsale, en blanc. En noir les lignes de côtes. © World Digital Magnetic Anomaly Map

    Mouvement des plaques : une limite à 180 millions d’années

    Le socle océanique représente donc une archive formidable de l'évolution du mouvement des plaques au cours des temps géologiques. Une archive qui a cependant une limite : impossible de remonter plus loin que 180 millions d'années, âge de la plus vieille croûte océanique sur Terre. Pourquoi ? Tout simplement parce que la croûte océanique, si elle se forme en continu au niveau des dorsales, elle est également recyclée de manière tout aussi continue au niveau des fosses de subductionsubduction. En entrant en subduction, la vieille croûte océanique emporte ainsi avec elle l'enregistrement magnétique qu'elle a acquise au moment de sa formation.

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