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    Il convient de constater, puisque la Commission d'Enquête se propose d'aborder également cette question, que le pastoralisme, en France, est en crise depuis plus de 20 ans.


    © Martin Cathrae, Wikimedia commons, CC by-sa 2.0

    A - Présence du loup et pastoralisme

    1 - La question économique de la présence du loup

    Les attaques de loups sur les troupeaux de moutons et plus généralement sur le bétail domestique constitue des sources de conflit anciennes. Pour les apprécier correctement , au sens comptablecomptable, il faut bien connaître la filière ovine et son organisation car les moutons représentent l'espèceespèce la plus touchée.

    La présence du loup en France, reste et restera probablement toujours localisée. Les problèmes sont donc liés aux zones où il s'est réinstallé, qu'elles soient de montagne ou non. Inversement le statut du loup et la protection de l'espèce correspondent à une démarche et à un cadre nationaux. Il faut donc "penser globalement et agir localement", adapter le discours aux réalités des vallées et des régions, tout en gardant une stratégie nationale.

    © WWF.Fr

    © WWF.Fr

    La France compte environ 10 millions d'ovins pour quelques 112 000 cheptels, mais les chiffres sont nettement à la baisse. L'essentiel est regroupé à l'Est d'une ligne reliant l'extrémité Ouest de la chaîne pyrénéenne au Nord du massif du Jura. Sont donc englobés toutes les Pyrénées, le Massif Central, les Alpes et le Jura.

    2 - Des méthodes préventives existent et favorisent une coexistence harmonieuse entre homme et prédateur

    Des méthodes de protection concernant les troupeaux existent, qui ont fait leur preuve : les chienschiens de protection, les aide-bergers, les clôture électriques, les éco-volontaires. Exemple de réussite du développement de l'écotourismeécotourisme (60 loups dans les Abruzzes une vachevache à lait pour l'économie).

    Le Parc National des Abruzzes

    • Création en 1922
    • Situé dans les Appenins, couvre 3 régions: Latium, Molise et les Abruzzes
    • 44 000 hectares de parc auxquels s'ajoutent 80 000 hectares périphériques
    • 22 communes dont 5 dans le parc même
    • plus de 100 ours
    • plus de 500 chamoischamois
    • 500 à 1000 loups
    • 1 million de touristes par an
    • Entreprises et travailleurs indépendants présents dans le parc: 9,4 % alors que la région autour du parc ils ne sont que 6,8%
    • expansion économique depuis les années 50, forte croissance dans les années 80. Une dynamique socio-économique est née qui repose sur la promotion et la valorisation du tourisme dans un parc où il est interdit de chasser, où l'aménagement du territoire est pensé en fonction de la réglementation...
    • En 1993, 5 000 habitants dans le par cet 490 entreprises dont les 2/3 concernent le secteur tertiaire. Deux communes (Civitella Alfedena et Pescasseroli) recouvrent 3/5 des activités économiques du parc.

    Depuis 1969, le Parc a renforcé certains dispositifs :

    indemnisations pour maintenir et augmenter le patrimoine boisé,
    indemnisations des bergers ou agriculteurs victimes des dommages de la faunefaune sauvage,
    contrôle du territoire grâce à la location de boisbois et de pâturages,
    incitations aux agriculteurs pour qu'ils produisent des aliments comestibles pour les ours, notamment en exploitant des surfaces agricoles qui n'auraient pas été utilisées autrement.
    promotion et tutelle de la marque du Parc (un ourson assis)
    valorisation du patrimoine du Parc

    Le Parc national des Abruzzes est l'exemple le plus important d'Italie : il existe depuis 80 ans, il représente un patrimoine dont la gestion consolidée a prouvé de nombreux résultats et les nombreuses activités développées dans ce Parc ont toutes bénéficié à la sauvegardesauvegarde de l'environnement en tenant compte des perspectives de développement économiques de cette région.

    Autre exemple de réussite: En Savoie, après une phase d'adaptation, le retour du loup s'est par exemple traduit clairement non pas par l'abandon de l'activité pastorale mais au contraire d'une progression de sa productivité , grâce à une efficacité combinée remarquable des mesures de préventionprévention et de la modernisation des cabanes pastorales , faisant passer de 200 victimes non indemnisées pour 50 attaques en 1998-1999 à une trentaine de victimes aujourd'hui pour 10-15 attaques.

    Tous les experts s'accordent à dire que les moyens de prévention ( chiens, gardiennage, filets de clôtures, divers procédés d'effarouchement, rassemblement nocturnenocturne des troupeaux, etc...) réduisent notablement la prédation liée à la présence de prédateurs (loups, chiens en état de divagation, lynx voire ours...) mais il est vrai qu'ils ne suffisent pas à la juguler totalement. Cependant, on constate que dans 90 % des attaques, il n'y a aucune présence à proximité des troupeaux. Il serait illusoire de revendiquer la "prédation zéro" dans des zones où sont présents des carnivorescarnivores sauvages. C'est pourquoi, les dégâts aux troupeaux font précisément l'objet de compensations financières de la part de la collectivité.

    Le citadin et le rural, l'éleveur ou le scientifique , le citoyen ou l'élu ne ressentiront pas de la même façon la présence du loup, qui a une image populaire complexe et disparate. Cela n'explique pas tout. Il faut aussi prendre en compte l'idée que son arrivée, localement, change les habitudes des uns et des autres, remet en cause certaines pratiques plus ou moins ancrées mais parfois confortables et impose une gestion de l'espace et de l'élevage ovin différente. Pourtant, dans ce domaine, comme dans beaucoup d'autres, la prévention, en combinant plusieurs outils, reste la meilleure parade. Le gardiennage des troupeaux (bergers, chiens de protection), la surveillance plus rapprochée des animaux, une gestion optimale des alpages, qui pourraient aussi être ressentis comme une amélioration des conditions de travail et de sa qualité, sont mal perçus. Inversement, ces mêmes pratiques sont celles des bergers les plus âgés, et se traduisent effectivement par un nombre d'attaques très faible voire nul. Il y a donc eu une perte d'une certaine expérience face à la présence de grands carnivores. Une des difficultés est probablement liée à la remise en cause de cette activité et des méthodes de travail de quelques-uns dans un contexte où ils ont été mal préparés. Quand, par exemple, les professionnels de la filière ovine admettent être intéressés par l'amélioration du niveau sanitaire de leurs élevages, mais ne souhaitent pas pour autant changer leurs habitudes, on découvre que le discours est contradictoire, ou mal exprimé.

    Par ailleurs, le suivi des dégâts aux troupeaux, pour leurs remboursements, en échange de la mise en place de mesures de protection définies, fait partie des mesures prise par l'administration pour résoudre localement les problèmes posés par le loup. Cela n'est peut-être pas la seule stratégie possible car elle entretient l'aspect différent, particulier du loup. Si l'espèce était perçue comme un "handicap naturel" et ressentie comme telle, avec une indemnité compensatrice, y aurait-il moins de difficulté ?

    B - Le développement insuffisant de la filière en France

    © WWF- Hans Westerling

    © WWF- Hans Westerling

    Selon le rapport Bailly de novembre 2002 sur l'avenir de l'élevage remis au Sénat, la production ovine est en déclin, avec 9,4 millions de têtes dont 6,6 millions de brebis, le cheptel ovin français n'est aujourd'hui qu'au 4ème rang des cheptels européens, derrière le Royaume-Uni, l'Espagne, l'Italie.

    Notons au passage, que chez nos voisins espagnols ou italiens où l'élevage ovin est plus important, la présence des loups plus nombreuse, n'est pas aussi controversée. Il y a quelque 2500 loups en Espagne et 500 à 1000 loups en Italie.

    L'élevage du mouton subit en effet, comme d'autres secteurs d'activité, les conséquences de la mondialisation.
    En 20 ans, la production ovine a subi un déclin continu, entre 1980 et 1999 ; le nombre d'exploitations comportant des ovins a été divisé par 2. En 10 ans, la France a perdu 20 000 éleveurs ovins.

    Cette production ne permet pas de satisfaire la demande nationale, d'ailleurs l'Union Européenne elle-même est en déficit en viande ovine, puisqu'elle n'assure que 80% de sa consommation, recourant pour le reste à des importations de Nouvelle-Zélande, et dans une moindre mesure d'Australie.

    L'élevage ovin français est, comme le montre la carte ci-après, concentré dans quelques régions bien spécifiques : dans le centre de la France, la Haute-Vienne, le sud de l'Indre, la Creuse et l'Allier, le Lot, l'Aveyron, le Tarn et la Haute-Loire. Dans le sud-est de la France, les principaux producteurs sont les départements des Hautes-Alpes et des Alpes de Haute-Provence ainsi que les Bouches-du-Rhône. Dans le sud, les Hautes-Pyrénées, le sud de la Haute-Garonne et l'Ariège concentrent l'essentiel des cheptels. Dans l'ouest sont concernés le nord des Deux-Sèvres et le sud de la Vienne.

    © WWF.fr

    © WWF.fr

    Comme le montre la carte ci-dessus, si la diminution globale du nombre de brebis, de 11,5 à 9,4 millions de têtes entre 1988 et 2000, concerne essentiellement les départements des Deux-Sèvres, de la Vienne et de la Haute-Vienne, tous les départements intéressés par la production ovine sont touchés par une dégradation d'ampleur nationale.

    De plus, des conditions de travail difficiles (grande disponibilité pour assurer le gardiennage et nécessité de compétences techniques) ne favorisent pas les vocations d'éleveur ovin. La diminution du nombre des éleveurs n'est pas un phénomène récent puisqu'elle s'est manifestée de façon croissante par la multiplication de reconversions d'éleveurs vers les productions céréalières. Cette diminution se poursuit actuellement avec des conséquences d'autant plus graves qu'elles menacent l'équilibre humain de certaines zones rurales.

    C - La crise ovine: le loup n'y est pour rien !

    Le loup n'est évidemment pour rien dans la crise qui secoue la filière ovine. En effet, pendant que le loup occupe tous les esprits dans les médias, la majorité des français continue d'ignorer les réalités de l'activité agricole. Il aura notamment fallu des manifestations "anti-loups" pour que les pouvoirs publics se rendent compte que le secteur ovin était en pleine crise. Cela a conduit à la mise en place d'un Plan National Ovin que la plupart des observateurs agricoles considèrent comme très insuffisant. L'élevage du mouton subit, en effet, depuis de nombreuses années, les conséquences d'une mondialisation dont on découvre aujourd'hui les effets: baisse du nombre de producteurs (-20% en 8 ans), baisse de l'effectif des troupeaux (-1 million de brebis entre 1990 et 2000), production concentrée dans les zones montagneuses ne couvrant plus que 40% des besoins nationaux en terme de consommation annuelleannuelle, etc... On sait que l'élevage ovin offre le plus faible revenu de l'agricultureagriculture française (40% de moins que les autres secteurs, primes comprises). Des primes qui, par ailleurs, sont plus faibles que dans d'autres domaines d'activité.

    -- Les chiffres qui relativisent les impacts du prédateur:

    1 - l'importance des dégâts de chiens divagants

    -- Dans le domaine économique, certains estiment à environ 500 000 par an le nombre de moutons tués tous les ans, en France, par chiens, soit 5% du cheptel environ. Ce chiffre reste difficile à vérifier car ni l'Etat ni la profession agricole ne cherchent vraiment à le connaître et parce que les données existantes sont inaccessibles (confidentialitéconfidentialité des constats de dommage recueillis par les compagnies d'assurance). Les chiens responsables de ces attaques sont les plus souvent des animaux de compagnie mais qui font une fugue car il n'existe pas de chiens errants totalement libres en France.

    -- D'autre part, la multiplication des voies de pénétration automobileautomobile (citadines ou 4x44x4) dans les massifs a facilité aussi la promenade avec les chiens sans parler de la transformation d'une partie de l'habitat en résidence secondaire avec chien. Il y a donc multiplication des actes de divagation de chiens dès l'arrivée des beaux jours. Mais restreindre la liberté des chiens des résidents de loisir ou des touristes de passage est un frein à l'économie touristique.

    -- Bien qu'il n'existe pas de chiffres nationaux fiables (on parle de plusieurs dizaines à plusieurs centaines de milliers d'ovins tués annuellement en France par des chiens), on doit cependant prendre conscience de la gravité de ce phénomène qui affecte de nombreux départements où la présence du loup n'est pas suspectée. Il serait intéressant que la Commission d'Enquête puisse également se pencher sur ces questions...

    2 - la mortalité ovine

    Certaines études européennes pu faire état d'une perte annuelle globale d'environ de 2 à 10% du cheptel ovin, soit plusieurs dizaines ou centaines de milliers de moutons qui disparaissent suite à des attaques de chiens, d'accidentsaccidents de transhumance, maladies etc...Si l'impact du loup sur les troupeaux ne peut être localement nié, il faut cependant le relativiser. Par exemple, en mars 2001, 60.000 moutons ont dû être abattus pour cause de lutte contre la fièvre aphteusefièvre aphteuse. Il est par ailleurs admis que 2% à 10 % de la population ovine adulte meurt "accidentellement" chaque année, selon l'AFSSAAFSSA et l'INRA. Ces chiffres sont en moyenne plus élevés en montagne. Cela représente globalement 200 000 animaux, hors mortalité néonatale.

    Les pertes autres que par prédation par les carnivores sauvages enregistrées par les professionnels de l'élevage sont autrement plus importantes. Enfin, il n'y a aucune preuve de la baisse de fertilité ou de l'augmentation des avortementsavortements suite à des attaques de prédateurs . Même si on ne peut le nier dans certains cas, il n'existe pas de statistiques car on ne connaît pas le taux normal d'avortement ou de fertilité par troupeau. On met ainsi sur le dosdos du loup des phénomènes qui peuvent exister voire croître pour d'autres raisons que la prédation.

    3 - les indemnités et les primes

    En cas d'attaques de loup confirmées, les compensations varient de 84 euros pour un agneau à 489 euros pour un bélier à forte valeur génétiquegénétique. Il s'y ajoute 0,70 euros par brebis (plafonnée à 300 têtes et, si des systèmes de protection sont organisés) pour dédommager le stressstress et le dérangement causés par l'attaque des troupeaux. Ces montants ont été calculés pour encourager les éleveurs à prendre des mesures préventives.

    On peut encore rappeler que 85% du cheptel ovin français bénéficie de l'indemnité compensatrice de handicap naturel. En toute logique, lorsque l'on cherche à chiffrer le coût des attaques de prédateurs sur les troupeaux, il faudrait déduire des estimations obtenues le montant des primes que ces mêmes troupeaux auraient reçu durant l'année correspondante, ou, au moins, en tenir compte.