Grâce à l'érosion qui entaille ses reliefs, l'Arche de Fitzcarrald constitue un des rares endroits où l'on peut observer et étudier les sédiments miocènes de la Mer Pebas.
C'est aussi dans cette région que le premier fossile du caïman géant Purussaurus est découvert au Pérou. En effet, en 1959, l'écrivain aventurier Peter Matthiessen trouve un maxillaire fossile de grande taille dans la Quebrada Grasa du Rio Mapuya, dans le département d'Ucayali. Avec ce fossile de 125 kg, il navigue en pirogue sur plus de 300 km jusqu'à la ville de Pucallpa. Le maxillaire est détenu au commissariat de Pucallpa, puis perdu pendant près de 20 ans, avant d'être identifié comme celui du caïman géant Purussaurus par les paléontologues du Musée d'Histoire Naturelle de l'Université San Marcos de Lima (UNMSM).
L'intérêt géologique et paléontologique de cette région ne restant plus à démontrer, en août 2005, un groupe de scientifiques français et péruviens (géologues et paléontologues, voir liste des participants) décide de remonter les rivières Inuya et Mapuya sur les traces de Peter Matthiessen, au coeur de l'Arche de Fitzcarrald. L'Expédition Fitzcarrald 2005 durera 3 semaines et permettra de découvrir de nouveaux restes fossiles du caïman géant Purussaurus, mais aussi de la faune qui cohabitait avec lui. Elle fournira en même temps, grâce à l'étude des sédiments miocènes, de précieux renseignements sur l'environnement de la Mer Pebas et sur sa disparition.
L'expédition parcours 125 km en remontant les rivières Urubamba, Inuya et Mapuya, qui s'enfoncent vers le Brésil dans une région peu explorée par les scientifiques et relativement inhospitalière. Il n'existe pas de carte géologique précise de cette zone, et l'expédition espère collecter de nombreuses données inédites pour mieux comprendre l'histoire du bassin amazonien.
Il faudra remonter pendant 6 jours les rivières Inuya et Mapuya avant d'atteindre la Quebrada Grasa.
C'est la saison sèche et le niveau des cours d'eau est très bas, la remontée est pénible, il faut souvent alléger et pousser les pirogues. Les membres de l'expédition souffriront de blessures aux pieds provoquées par la friction du sable pénétrant dans les chaussures. Ces rivières sont habitées par des raies d'eau douce - un des héritages de la Mer Pebas - cachées dans le sable, dont la piqûre très douloureuse - elles possèdent un dard venimeux sur la queue - peut entraîner de graves nécroses.
Les affleurements géologiques sont nombreux et le cours d'eau en étiage permet d'observer facilement les sédiments miocènes. En saison des pluies, ces affleurements sont recouverts par plusieurs mètres d'eau.
Les sédiments miocènes sont encore de nos jours relativement meubles. On dégage et on taille l'affleurement à la machette de manière à mettre en évidence la succession lithologique et les figures sédimentaires. Ici, les figures sédimentaires confirment un environnement de dépôt tidal (sous l'influence des marées) et donc la présence d'estuaires débouchant dans la Mer Pebas.
Après une semaine de remontée en pirogue et à pieds, la Quebrada Grasa est atteinte. C'est un petit affluent du Rio Mapuya, à première vue peu engageant.
La Quebrada Grasa sera explorée pendant toute une journée sans rencontrer la moindre trace de fossile. Le maxillaire découvert par Matthiessen provient probablement d'un glissement de terrain de l'un des flancs de la Quebrada. Faute de temps, les recherches continueront les jours suivants le long du Rio Mapuya.
L'équipe est vite consolée ; par endroits, le fond du Rio Mapuya est jonché de restes fossiles qui ont été transportés par le cours d'eau. On y trouve évidemment des restes de Purussaurus souvent spectaculaires - comme la mandibule découverte par Matthiessen ou le fragment de mâchoire ci-dessus - mais de faible intérêt pour les scientifiques qui recherchent des fossiles conservés en place dans les sédiments miocènes.
Quelques kilomètres plus haut, les affleurements de sédiments miocènes contenant les fossiles (en place) apparaissent enfin. Ils sont constitués de couches de sédiments grossiers (conglomérats) déposés probablement par des tempêtes et où se sont accumulés des restes d'animaux morts.
Les fossiles les mieux préservées sont les dents ; on les trouve en abondance et elles sont facilement identifiables.
Globalement, la quête s'est avérée très fructueuse. Les chercheurs ont pu collecter 250 kg de fossiles, provenant d'une trentaine d'espèces de vertébrés, parmi lesquelles figurent 7 espèces de crocodile et 13 espèces de mammifères. On a ainsi retrouvé des restes de représentants de paresseux et tatous géants, d'herbivores endémiques de la taille du rhinocéros, de plusieurs rongeurs, d'un marsupial et d'un dauphin. De nombreux restes de poissons, dont une vertèbre de requin de grande taille, ont également été découverts.
Cette carapace complète de tortue aquatique de plus de 150 kg constitue une des pièces les plus spectaculaires. Elle a été découverte le dernier jour de l'expédition et est actuellement exposée au Musée d'Histoire Naturelle de Lima (UNMSM). Elle a la particularité de présenter de nombreuses traces de morsures du caïman géant Purussaurus.
Sur chaque affleurement, les géologues relèvent une section litho-stratigraphique (log) où sont représentés les différentes couches géologiques avec leurs faciès sédimentaires et la localisation des différents fossiles rencontrés. Les successions lithologiques et les limites de dépôt permettent de définir des séquences sédimentaires et d'identifier différents environnements évoluant en fonction du climat et de la tectonique. Le prélèvement de bois fossile et d'échantillons de sédiments argileux permettra de préciser l'âge des différents environnements sédimentaires à partir de l'identification de marqueurs bio-stratigraphiques tels que les pollens.
Membres de l'Expedición Fitzcarrald 2005
Patrice Baby (IRD), Pierre-Olivier Antoine (Université Paul Sabatier de Toulouse, France), Rodolfo Salas Gismondi (Musée d'Histoire Naturelle de "Universidad Nacional Mayor de San Marcos"), Mario Urbina (Musée d'Histoire Naturelle de "Universidad Nacional Mayor de San Marcos"), François Pujos (IFEA), Dario De Franceschi (MNHN, France), Stéphane Brusset (Université Paul Sabatier de Toulouse, France), Nicolas Espurt (Université Paul Sabatier de Toulouse, France), Mouloud Benammi (UNAM, México), Badis Kouidrat (Devanlay Peru SAC), Dennis Uyen (Pluspetrol S.A., Peru)