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    Les chiens de traineau

    Les chiens de traineau

    Dans le Grand Nord, la moindre erreur prend des proportions parfois dramatiques. Même Norman, pourtant aguerri à toutes les sortes de pièges que tend l'hiverhiver, peut se laisser surprendre. Rebelle, le Grand Nord joue encore des tours même à l'un de ses plus fervents défenseurs, comme pour lui rappeler que rien n'est jamais définitivement acquis, que ces grandes étendues sauvages qu'il arpente respectueusement depuis tant d'années gardent un côté indomptable.

    © Eric Travers / Gamma

    © Eric Travers / Gamma

    Surestimer les capacités d'un chienchien peut être l'une de ces erreurs. C'est ce qu'a expérimenté Norman. La marge de manœuvre était insuffisante pour récupérer la mauvaise exécution d'un ordre de direction que Norman avait donné au chien qu'il avait mis en tête pour remplacer Nanook. Voulk est passé trop près d'une zone de glace fragile, si près que la glace s'est rompue.

    © Eric Travers / Gamma

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    Passée la première seconde de surprise au contact de l'eau glacée, les chiens se sont immédiatement agrippés de toutes leurs griffes aux rebords de la glace. Déployant toute leur énergie et, aidés en cela par une répartition de leur poids sur quatre pattes, les chiens sont parvenus à s'extirper de ce bain glacé et grâce à leur formidable puissance musculaire, à en arracher également le traîneau qui les retenait prisonniers dans l'eau.

    © Eric Travers / Gamma

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    Malheureusement, Norman, dont les mouvements sont déjà ralentis par l'hypothermie, raterate l'occasion de s'accrocher au montant du traîneau qui déjà s'éloigne dans un raclement de verre brisé. La glace s'effondre autour de lui à chacune de ses tentatives pour grimper dessus et son corps s'engourdit, ses vêtements, sitôt au contact de l'air, gèlent et l'entravent davantage. Il le sait... Il vient de laisser partir sa dernière chance avant que le froid ne le terrasseterrasse...

    © Eric Travers / Gamma

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    Norman rappelle les chiens sans y croire... La détresse dans sa voix certainement autant qu'une fragilité inhabituelle ont fait prendre conscience à la jeune chienne ApacheApache que son maître était en danger. Sa réaction première, guidée par son instinct fut la fuite pour survivre. Puis, son intelligenceintelligence lui a permis de comprendre la situation et de réagir vite. Son dévouement pour son nouveau maître a pris le dessus sur la peur. Entraînant ses compagnons, l'attelage entier, comme un seul chien, est revenu chercher Norman, lui sauvant la vie en lui permettant de reprendre appui sur le traîneau et en le hissant sur la glace. Emu aux larmeslarmes quand il raconte cette histoire, Norman avoue qu'au début, il ne croyait pas en cette chienne qu'on lui avait donnée. Depuis ce jour-là, une magnifique complicité s'est installée entre ces deux êtres et je ne sais de quelle paire d'yeuxyeux déborde le plus d'amour quand leurs regards se croisent.

    Les trappeurs qui utilisent encore des chiens ont généralement des attelages de cinq à huit chiens, rarement plus. Deux raisons à cela. Les lignes de trappe, longues de 50 à 100 kilomètres en moyenne, sont des pistes tracées en début d'hiver à travers les paysages - généralement forestiers - qui sont censés abriter les plus fortes concentrations d'animaux à fourrure. Le trappeur dispose d'une à trois lignes de trappe le long desquelles il tend ses pièges, parfois plus de cent sur une même ligne.

    © Eric Travers / Gamma

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    Ces lignes ne vont pas d'un point à un autre en suivant l'itinéraire le plus facile. Au contraire, elles slaloment dans les coins giboyeux, vont explorer des combescombes ou des fonds de vallée, longent et traversent un boisbois, montent et redescendent vers des lieux qui, pour des raisons obscures ou non, abritent tel ou tel animal à fourrure. En un mot, ces pistes n'ont rien à voir avec ce qu'un musher pourrait tracer, à savoir l'itinéraire le plus rapide possible, évitant tout détour. Un attelage long de plus de huit chiens ne pourrait emprunter ces pistes pleines de virages, de montées et de descentes. Il faut donc un attelage compact, répondant parfaitement aux ordres. On sélectionne des chiens robustes plutôt que rapides.

    Vivre avec les chiens

    La seconde raison est d'ordre "économique", à savoir qu'un chien coûte cher à nourrir. Certes, le trappeur pêchepêche et chasse pour subvenir aux besoins de ses chiens mais, à raison de 3 à 5 kilos de poissonpoisson ou de viande par jour, cela donne plus d'une tonne par an et par chien ! Le trappeur a tout intérêt à réduire leur nombre au strict minimum, sachant qu'il ne lui faut guère plus de cinq ou six chiens pour transporter ce dont il a besoin pour une semaine.

    © Eric Travers / Gamma

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    L'été, certains trappeurs et Inuits emmènent leurs chiens sur une île assez vaste pour qu'ils puissent y trouver leur nourriture eux-mêmes pendant toute la période estivale : œufs, jeunes oiesoies et canards que la meute chasse en groupe, mulots et autres petits ou grands mammifèresmammifères, poissons échoués sur les berges (en période de remontée des saumonssaumons, il peut en arriver des centaines). Ainsi les chiens font de l'exercice, ils vivent en liberté, ce qui leur permet d'avoir une vie de meute, et ils font "économiser" à l'homme qui les entretient le reste de l'année quelques mois de soins et de nourriture. Malheureusement, ce genre d'île, que l'on trouve en mer près des côtes ou sur quelques très grands fleuves, reste rare.

    Le choix de l'attelage

    Le trappeur doit aussi être "musher" (conducteur de traîneau). Il place généralement en tête un chien qu'il a senti dès son plus jeune âge prédisposé à cette tâche. C'est un chien équilibré, calme, et qui regarde droit dans les yeux. Dans une portée, il écartera les chiots peureux, qui s'inquiètent de tout mais qui feront peut-être d'excellents chiens de traîneau, ainsi que ceux qui sont trop sauvages, durs à apprivoiser, indépendants. Il sera plus attentif à ceux qui surveilleront sans arrêt les allées et venues des humains, rechercheront leur contact, essaieront de comprendre leur attitude, pencheront la tête comme pour les interroger lorsque quelque chose dans leur comportement les étonnera.

    Ceux-là sont assurément des chiots qu'il conviendra d'essayer de dresser comme leaders. Certains chiots déçoivent, d'autres surprennent, mais il faut insister avant d'abandonner : en effet, certains chiens se déclarent tardivement et des progrès rapides peuvent conduire à une progression nulle, alors que des progrès lents mais réguliers donnent souvent des chiens exceptionnels. En cela, le dressage est une des étapes les plus passionnantes du "métier" de musher.

    © Eric Travers / Gamma

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    Les premières sorties doivent impérativement s'apparenter à un jeu. Il ne faut pas réprimander l'élève, qui doit avant toute chose se passionner pour la course avec ses congénères. Une fois qu'il sera complètement mordu par ce "jeu", alors seulement on lui apprendra qu'il existe des règles qui vont lui permettre d'aller encore plus loin. À quoi servirait-il d'apprendre les règles du hors jeu à un jeune joueur de foot qui n'aurait plus envie de taper dans un ballon ? Il en est de même avec les chiots. Il ne faut surtout pas, et sous aucun prétexte (à l'exception de ceux qui mordent harnais et cordes), réprimander et corriger.

    Un jeune chien que l'on prépare à devenir un jour chien de tête sera placé non devant mais, dans un premier temps, juste derrière celui ou ceux (on place souvent deux chiens en tête) qui occupe cette position. Ainsi, il va apprendre plus ou moins consciemment les ordres basiques de direction : djee pour la droite et yap pour la gauche. On n'utilisera pas gauche et droite car le chien fait mal la différence entre ces deux sons principaux que sont "au" et "oi", assez proches phonétiquement, alors que le "i" de djee est à l'opposé du "a" de yap. Placé derrière le chien de tête, le jeune chien va vite assimiler le fait d'aller à gauche et à droite avec ces ordres mieux que s'il occupait une place proche du traîneau où les changements de direction sont atténuésatténués par la longueur de l'attelage.

    Ensuite, passé environ une saisonsaison, le jeune chien va être placé à côté de celui qui va devenir son mentor et l'éduquer tout autant que son maître. Gare alors au manque de réactivité, car certains chiens de tête ne supportent pas d'être ralentis dans leur prise de direction par un jeune chien.

    Notre chien de tête

    VOULK en fait partie. Il devient irascible et coléreux si on lui colle un jeune chien mal mis qui ne comprend pas assez vite à son goût. Apache en a parfois fait les frais. Certains passages du film, à l'arrêt et même en course, montrent les réprimandes de son maître qui, par amour, lui pardonnait pourtant bien des erreurs ! Mais pas toutes. Il y a tout de même des limites, surtout quand on aime autant que Voulk le travail bien fait.

    Après cette nouvelle saison d'apprentissage, il convient de placer de façon épisodique le jeune chien seul en tête, avant qu'il ne se complaise trop dans ce rôle d'assistant, tout en veillant à ne pas le dégoûter. Il arrive que, écrasé par cette responsabilité toute neuve, le jeune chien fasse un blocage, parfois définitif s'il est mal
    compris par le musher.

    © Eric Travers / Gamma

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    Voulk est un chien exceptionnel. C'est le patriarche, le vieux sage. Il a vu tant de choses! J'ai voulu qu'il fasse partie de cet attelage, qu'il en soit le leader. Une belle fin de carrière auprès de moi, car Voulk réalise ici ses derniers tours de piste. Il a treize ans et je sais que bientôt, il ne sera plus là. Dans ses yeux dorés, pleins de songes, se lisent toutes les pages blanches que nous avons écrites ensemble. Existe-t-il un chien de traîneau qui en fait autant que lui ? Il a traversé le Grand Nord canadien avec Norman et moi, l'Alaska, la Laponie jusqu'en Russie, il a remonté toutes les montagnes rocheuses canadiennes depuis la Colombie-Britannique jusqu'à Dawson, bouclé la Yukon Quest, la course de traîneaux à chiens la plus dure du monde, de Whitehorse jusqu'à Fairbanks. Il a même traversé les Carpates roumaines, galopé sur les pistes du Jura ou des Alpes, traversé de part en part et un peu dans tous les sens le nord du Québec. Il est avec OTCHUM, son père, un chien qui aura marqué ma vie, qui l'aura accompagnée durant treize ans d'aventures incroyables.

    Il ne pouvait pas ne pas faire partie de cette équipe de sept chiens. Je ne pouvais pas lui "refuser" cette joie de m'accompagner encore une fois sur cette ultime aventure car, malheureusement, je sais que les prochaines se feront avec ses fils. Et qui plus que lui possède l'incroyable patience nécessaire aux prises de vues ? Qui mieux que lui obéit aveuglément, confiant dans les ordres les plus loufoques qu'exige le tournage de certaines scènes dans lesquelles nous cherchons à recréer des situations contre nature que n'importe quel chien évite ? Passer dans un trou d'eau, s'aventurer sur de la glace instable, s'engager dans une ravine définitivement trop abrupte,
    Voulk est capable de faire tout cela. Sa confiance est totale. Si je lui demande de le faire, il le fera. Par amour, par amitié (...).

    Nous n'aurions pas tourné le même film sans lui, car beaucoup de scènes n'auraient tout simplement pas pu être réalisées. Norman est tombé en amour avec lui, et Voulk lui a accordé sa confiance (...). Voulk est sûr. Il anticipe les ordres et les exécute avec une précision qui permet, lui placé en tête, d'écrire son nom sur un lac immaculé !

    L'attelage du film

    Les compagnons indéfectibles qui ont accompagné Norman le temps du film sont les suivants :

    APACHE - qu'on ne présente plus - avec ses allures de mannequin et ses beaux yeux bleus, elle attire les regards et prend la pose. Elle en use et abuse, mais on lui pardonne volontiers. Entre Crevette et elle c'est la guerre. Voulk n'a pas résisté à son charmecharme et la couve du regard. Elle a ses humeurs, telle une star qu'elle croit être.

    CREVETTE est une femelle de la pointe du museau jusqu'au bout de la queue. Tendre, câline, et capable de toutes les fourberies pour obtenir ce qu'elle veut. Opiniâtre et courageuse, un peu précieuse parfois, mais on peut compter sur elle. Des trois femelles de l'attelage, c'est elle qui domine. Elle chaperonne affectueusement PUSSY tout en gardant la distance qui sied à son rang de leader. En revanche, elle vit très mal la relation amoureuse de Voulk et d'Apache. Crevette est jalouse, parce qu'Apache a la faveur non seulement de Voulk mais également des hommes. Elle se venge en usant de son autorité mais cela ne la rend pas pour autant sympathique. Il faut s'évertuer à lui consacrer du temps et de l'attention.

    Avec ses yeux d'or, il piège le soleil et attire le regard. MINIK est un coureur, un fou de la piste qu'il avale avec un appétit de gourmand plus que de gourmet. Minik ne sait pas s'économiser. À peine attelé, il saute et jappe en tous sens comme si ses jérémiades allaient accélérer le départ (...). Minik fait partie de ces chiens qui ne se calment pas avec l'âge, mais c'est un chien formidable et son énergie est communicative.

    NABOUKO n'est pas un mauvais bougre, du moins pas aussi mauvais qu'il n'y paraît. Sa position de chef de meute auxiliaire le dessert. En éternel conflit avec Voulk, qui le domine et ne lui tolère pas la moindre incartade, il souffre de cette position intermédiaire et ne fait rien pour y remédier. Eternellement à l'affût, parfois fourbe avec les autres, il est un peu le mal aimé de l'attelage. Mis à l'écart, il rêve de dominer et ne s'épanouira pas tant que cette place ne lui reviendra pas. Alors
    seulement Nabouko pourra devenir lui-même. Doté d'un bon fond, il deviendra assurément un bon chef de meute.

    PUSSY est hiérarchiquement la troisième femelle de la bande mais elle s'en fiche. Etre première ou dernière, quelle importance ? Pussy est née heureuse et le restera, au diable la hiérarchie ! On perd trop de temps à gravir les échelons. On dépense trop d'énergie pour conserver sa place alors que la vie de chien de traîneau est si belle, qu'il y a tant de choses à voir et à apprécier. Jouir de la vie, voilà à quoi Pussy s'emploie. Elle détient la médaille d'or de la bonne humeur.

    Enfin, reste ROX. Son nom lui va bien. Massif, fort et, comme souvent dans ces cas-là, un peu pataud et terriblement gentil. Presque trop, car il n'utilise cette puissance qu'au travail, jamais pour s'imposer, si bien que les autres en profitent et ne le respectent pas assez. Avec ses yeux vairons, l'un bleu et l'autre marron, il attire le regard et appelle la caresse, qu'il apprécie en s'abaissant jusqu'à en redemander. Rox, c'est un grand câlin, un gros chien avec un cœur énorme.

    Faire la trace

    Les chiens s'habituent vite à suivre un homme qui leur ouvre la trace. La première chose qu'il leur faut comprendre, c'est qu'ils ne doivent pas coller l'homme mais respecter une distance de quelques mètres afin de ne pas venir marcher sur l'arrière des raquettes. Les chiens de tête qui doivent ouvrir la piste, même si une partie du travail a été effectuée par le marcheur en raquettes, fatiguent beaucoup plus vite que ceux qui suivent, et il convient de permuter souvent les leaders. De plus, quand il fait - 30°C et davantage, la neige devient aussi abrasive que du sablesable. Les pattes des chiens de tête sont plus exposées que celles des chiens de queue d'attelage puisqu'elles font le passage et brassent plus de neige. Les coussinets, surtout en début de saison, sont sensibles. Il faut les enduire de graisse pour les protéger des crevasses et autres petites blessures.

    Si la piste n'a jamais été faite et que la couche de neige est importante, le musher marche en raquettes devant les chiens afin de la tasser suffisamment pour permettre à l'attelage d'avancer. Si la piste est simplement recouverte d'un peu de neige, le musher peut soit se mettre sur les patins du traîneau en marchant derrière lui de temps à autre pour aider les chiens, soit se placer immédiatement devant lui une jambe de chaque côté du trait, la main droite ou gauche enserrant ce qu'on appelle un "djebar" : une perche fixée sur un des deux montants horizontaux du traîneau et qui dépasse celui-ci de 1,50 mètre. Grâce à cette barre, le trappeur maintient le traîneau très exactement dans l'axe de la piste creusée dans la neige afin d'éviter qu'il ne vienne mordre sur les bords de la véritable tranchée que représentent certaines pistes.

    Par contre, si la piste a été précédemment utilisée et qu'aucune chute de neige n'est venue la recouvrir, le musher reste sur les patins et dirige le traîneau en s'aidant d'un frein, qui est l'élément essentiel de la conduite. C'est lui qui permet de contrôler le traîneau et les chiens dans les descentes, dans les virages et partout où le musher doit intervenir.