Rien de tel pour décrire le comportement et les migrations d’un animal que de le suivre à la trace. C’est facile à dire, mais difficile à faire lorsqu’il s’agit... d’un requin taureau. Deux chercheurs ont trouvé la solution : laisser un engin autonome, plus précisément un glider, effectuer cette tâche. Certains squales risquent de se demander pourquoi ils sont constamment suivis par des torpilles jaunes !

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    Les émetteurs acoustiques détectés par le glider Otis sont implantés à l'intérieur des requins grâce à une petite opération chirurgicale. Mais avant cela, il faut tout d'abord capturer les squales et les amener sur le flanc du navire de pêche. © Matthew Breece, University of Delaware

    Les émetteurs acoustiques détectés par le glider Otis sont implantés à l'intérieur des requins grâce à une petite opération chirurgicale. Mais avant cela, il faut tout d'abord capturer les squales et les amener sur le flanc du navire de pêche. © Matthew Breece, University of Delaware

    Les chercheurs rivalisent d'ingéniosité pour décrire les habitudes de vie des requins. Le dernier exemple en date nous vient du Delaware, un État américain bordant l'océan Atlantique. Matthew Oliver et Dewayne Fox viennent d'unir leurs forces pour mettre au point un engin autonome pouvant suivre des requins taureaux Carcharias taurus à la trace ! L'objectif étant de récolter à intervalles réguliers de précieuses informations sur ces squales. 

    Plusieurs techniques de suivi des requins ont déjà été employées par cette équipe. Depuis 2006, près de 500 squales ont ainsi été équipés d'émetteurs acoustiques. Plus de 70 stations d'écoute réparties dans la baie du Delaware et sur la côte atlantique permettent d'enregistrer les « pingspings » émis au passage des individus marqués. Ces installations ont un défaut majeur : elles sont fixes et donc inopérantes lorsque les animaux marqués évoluent au-delà d'une certaine distance. Des pop-off satellite archival tags (PSAT) ont également été utilisés. Fixés sur le corps des requins, ces enregistreurs archivent de nombreuses informations, par exemple de géolocalisation, avant de se détacher au bout d'une période définie, par exemple un an. Des signaux satellite sont alors émis afin de permettre leur localisation puis leur récupération.

    Ces deux systèmes sont utiles, mais les contraintes imposées sont importantes. Otis, le glider espion, est quant à lui mobilemobile. Il peut de plus régulièrement transmettre des données, certaines caractérisant même les environnements rencontrés.

    Matthew Oliver pose derrière Otis, le glider devant révéler les habitudes de vie des requins taureaux. Ces engins enregistrent leur position en mer grâce à un GPS, mais uniquement après être remontés en surface. © Evan Krape, <em>University of Delaware</em>

    Matthew Oliver pose derrière Otis, le glider devant révéler les habitudes de vie des requins taureaux. Ces engins enregistrent leur position en mer grâce à un GPS, mais uniquement après être remontés en surface. © Evan Krape, University of Delaware

    Une opération d’espionnage de requins en cours

    Les gliders (mot anglais signifiant planeurplaneur) ressemblent à des torpillestorpilles pourvues d'ailes. En activité, un système de ballasts permet de faire monter ou descendre l'engin sous-marin autonome (ou AUV pour autonomous underwater vehicle) qui « plane » grâce à ses petites ailes. En l'absence d'hélice, c'est une gouverne qui lui permet de changer de direction. Ces outils océanographiques de petite taille, environ 1,5 m de long, sont initialement prévus pour récolter des données physicochimiques (température, salinitésalinité, turbiditéturbidité, taux d'oxygénation, etc.), mais Matthew Oliver a eu l'idée de leur ajouter un récepteur acoustique.

    Après son lancement, Otis (l'acronyme de Oceanographic Telemetry Identification Sensor) peut soit se déplacer le long d'une trajectoire définie, soit suivre un requin préalablement marqué. Dans le premier cas, il se charge de répertorier tous les signaux acoustiques reçus, permettant ainsi de cartographier avec précision des aires de répartition. En mode espionnage, il révèle la trajectoire suivie par la cible durant ses déplacements, une option utile dans l'étude des migrations, tout en fournissant des données sur les propriétés de l'eau rencontrée, une première. 

    Un test grandeur nature a commencé la semaine dernière. Libéré dans l'embouchure du fleuve indien du Delaware, Otis est parti pour un périple vers le sud. Après 5 jours de voyage, des requins taureaux ont été localisés à proximité de l'île d'Assateague (6 à 14 km au large). Le glider devrait bientôt recevoir l'ordre de suivre un individu précis dans la cadre de la seconde phase de l'essai qui durera au maximum 15 jours. Otis dispose en effet d'une autonomieautonomie maximale de 4 semaines. Reste à savoir si les requins se rendront compte de la présence de cet espion incongru.