Il n’y a pas que les Hommes qui cultivent leur nourriture : des êtres unicellulaires vivant en communauté, les amibes, peuvent stocker, transporter et semer des bactéries dans le but de les manger. Du jamais vu...

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    Les différentes formes des communautés d'amibes, du pseudoplasmode (limace) au sporocarpe (globe sur une tige). © M.-J. Grimson & R.-L. Blanton

    Les différentes formes des communautés d'amibes, du pseudoplasmode (limace) au sporocarpe (globe sur une tige). © M.-J. Grimson & R.-L. Blanton

    Les amibes, ces organismes eucaryoteseucaryotes unicellulaires, ne seraient pas si éloignées de l'Homme, ou plutôt de sa façon de gérer son alimentation. Un des amibesamibes modèles, Dictyostellum discoideum aussi surnommée l'amibe sociale, aurait en effet mis au point une manière de stocker pour mieux cultiver son repas, à l'image de l'Homme qui conserve des graines pour faire ensuite pousser des champs de blé.

    Les amibes sont d'étonnants petits organismes, qui sont à la frontière de la vie multicellulaire. En effet, elles peuvent vivre individuellement, de façon autonome lorsque la nourriture est présente. Mais lorsqu'elle fait défaut, les amibes situées dans la même région se réunissent, formant une sorte de communauté de milliers d'individus, un « pseudoplasmode » d'un demi-centimètre environ, capable de se déplacer comme une limace vers une zone où la nourriture est plus abondante. Une fois arrivé, le groupe prend d'abord l'apparence d'un globe au bout d'une tige verticale (un « sporocarpe »)), d'où vont naître des spores, qui donneront naissance à des amibes individuelles et le cycle recommencera. C'est du moins l'image que les scientifiques se faisaient de ces amibes.

    Car la nourriture qui les intéresse est une bactériebactérie qui vit dans le sol... mais pas seulement ! D'après les travaux d'une équipe de recherche américaine de l'Université Rice au Texas, menés sur des amibes récoltées dans la nature, les bactéries seraient également présentes dans certains sporocarpes, environ un tiers d'entre eux. En effet, en prélevant la substance contenue à l'intérieur du globe et en l'étalant sur un milieu de culture adapté, des colonies bactériennes apparaissent. 

    Les groupes d'amibes peuvent prendre la forme d'un globe au bout d'une tige. © Owen Gilbert

    Les groupes d'amibes peuvent prendre la forme d'un globe au bout d'une tige. © Owen Gilbert

    Élevage de bactéries... et garde-manger

    Mais leur présence serait-elle due à une infection, et donc néfaste pour les amibes, ou au contraire les bactéries servent-elles de garde-manger ? Pour le savoir, les chercheurs ont ensuite utilisé des antibiotiquesantibiotiques pour tuer les bactéries présentes dans les sporocarpes, et remis les amibes sur un nouveau lit de bactéries vivantes. Selon les résultats parus dans la revue Nature, alors que les communautés d'amibes qui ne contenaient pas de bactéries en sont toujours dépourvues, celles qui étaient infectées contiennent à nouveau des bactéries, comme si ces amibes avaient pour fonction de transporter des bactéries. Les chercheurs ont surnommé ces amibes particulières les « fermières ».

    On ne pourrait trouver meilleur nom, car ces amibes fermières volontairement transportées vers une surface dépourvue de bactéries mais riche en nutrimentsnutriments, sont capables de semer les bactéries. Celles-ci se reproduisent et permettent alors de subvenir au besoin de nourriture de toute la colonie d'amibes. Ces fermières ont donc appris à anticiper, c'est-à-dire à ne pas consommer tout le garde-manger, mais à en conserver suffisamment pour constituer un stock permettant de replanter un champ qui profitera à la communauté.

    Des interrogations subsistent

    Des études complémentaires ont permis de vérifier que les amibes fermières appartiennent bien à la même espèce que les amibes non fermières. S'il ne s'agit pas de deux groupes distincts, il est alors difficile de comprendre le genre d'information qui mène les différents groupes à agir différemment, mais on peut supposer que la génétiquegénétique ou l'épigénétique sont probablement impliquées.

    Et pourquoi seules certaines amibes possèdent-elles cette fonction ? Il apparaît que cette privation précoce de nourriture a un coût puisque les amibes ne peuvent pas se déplacer aussi loin que celles qui ne transportent pas de bactéries. Ce coût n'est donc pas forcément compensé, surtout si de la nourriture est disponible à destination. D'un autre côté, les amibes qui sont parties sans casse-croûtecroûte peuvent aller plus loin pour trouver de la nourriture. L'existence des deux modes de fonctionnement serait donc justifiée.