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Une jeune femelle serre contre elle un bâton (visible à droite de l'image). Ce comportement apparemment sans utilité a-t-il à voir avec l'instinct maternel ? © Sonya Kahlenberg/Bates College, Maine
« C'est la première évidence d'une différence sexuelle dans l'utilisation d'objets ludiques chez un animal sauvage » expliquent les deux auteurs de l'article publié dans Current Biology. Sonya M. Kahlenberg, du Bates College (Lewiston, Maine, États-Unis), a travaillé avec Richard Wrangham, qui dirige un groupe de recherche sur le comportement des primates. Depuis 14 ans, son équipe observe chaque jour les 68 chimpanzés (Pan troglodytesPan troglodytes)) de la communauté Kanyawara, au sein du parc national Kibale, en Ouganda.
Selon eux, les jeunes chimpanzés utilisent des morceaux de bois de formes diverses pour jouer. Les auteurs rapportent 300 cas d'utilisation de bâtons. La plupart du temps (60 % des cas), ils sont utilisés comme outils, pour sonder le feuillage. Mais dans 40 % des cas, les chimpanzés les portent contre eux, les serrant contre leur ventre ou dans leurs bras. L'objet peut être porté ainsi durant de longues heures et même amené jusqu'au nid, le soir, pour dormir. Dans ces deux utilisations, comme le montre l'image jointe à l'article, la forme du morceau de bois diffère notablement.
Les quatre morceaux de gauche sont ceux qui se portent. Les quatre de droite servent de sondes. Entre les deux groupes, la réglette est graduée en centimètres. © Sonya Kahlenberg/Bates College, Maine
Les jeunes chimpanzés mâles joueraient-ils aux petites voitures ?
Pour les auteurs, ce comportement ressemble à celui des femelles portant leur petit. De plus, des mâles ont été vus suivre le même comportement mais les trois quarts de ces « porteurs de bois » étaient des femelles et les mâles jouent ainsi 10 fois moins. Enfin, ce comportement n'a été observé chez aucune adulte mère ou l'ayant été.
Des chimpanzés de la communauté Kanyawara filmés en train d’utiliser des outils (mais pas pour jouer à la poupée). © Primate behavioral ecology research group/Cellpressvideo, Youtube
Sonya Kahlenberg et Richard Wrangham en concluent qu'il y a bien là une différence entre les deux sexes dans l'attirance pour les jouets (les jeunes chimpanzés jouent beaucoup) et n'hésitent pas le parallèle avec le plus proche cousin du chimpanzé après le bonobo, c'est-à-dire l'être humain.
Selon eux, ce comportement serait similaire à ce que l'on observe chez les petites filles et les garçons, les unes attirées par les poupées, les autres par ce qui roule. Ils rappellent en référence des travaux montrant l'influence, chez l'humain, de l'exposition du fœtusfœtus à des hormoneshormones mâles sur les préférences de jeu des petites filles.
Les critiques ne manqueront pas, d'autant que la preuve formelle que ces jeunes femelles miment effectivement le portage d'un bébé n'est pas apportée. De plus, ce comportement n'a jamais été vu dans d'autres populations sauvages. Mais la longueur de l'étude et la précision des observations méritent qu'on s'attarde sur ces résultats...