Pas facile de compter les manchots empereurs en Antarctique. Jusqu'ici, leur nombre n'étant qu'estimé. Une nouvelle méthode vient d'être mise au point : le comptage depuis l'espace. Trois satellites ont repéré les colonies et l'un d'eux les a dénombrés, avec une surprise à la clé. Ces oiseaux sont 595.000, soit deux fois plus que ce que l'on pensait.

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    Les manchots empereurs (Aptenodytes forsteri) sont les plus grands manchots vivants. Ils peuvent mesurer jusqu'à 1,20 mètre de hauteur et peser 20 à 40 kg. © Sandwichgirl, Flickr, cc by-nc-nd 2.0

    Les manchots empereurs (Aptenodytes forsteri) sont les plus grands manchots vivants. Ils peuvent mesurer jusqu'à 1,20 mètre de hauteur et peser 20 à 40 kg. © Sandwichgirl, Flickr, cc by-nc-nd 2.0

    Chaque région polaire possède son animal emblématique : l'ours polaire pour l'Arctique et le manchot empereur pour l'Antarctique. Ces deux espèces sont difficiles à étudier car elles vivent dans des régions hostiles pour l'Homme, notamment en raison de climats particulièrement froids. Il n'est par exemple pas rare d'observer des températures hivernales inférieures à -50 voire -80 °C à proximité du pôle Sud.

    Le manchot empereur, Aptenodytes forsteriAptenodytes forsteri, est connu pour son cycle de vie particulier. Chaque année, au début de l'hiver, les adultes entreprennent une marche de 50 à 120 km vers l'intérieur des terres où ils se rassemblent au sein de colonies pouvant abriter des milliers d'individus. Les femelles pondent leurs œufs puis retournent chercher de la nourriture en mer. Les mâles se chargent alors de couver leur progéniture. La disparition des glaces dans l'avenir, prévue pour être quasi-totale en 2100 (selon le Giec), pourrait fortement perturber leurs habitudes de vie en diminuant le nombre de plateformes stables disponibles pour la reproduction tout en limitant les ressources alimentaires accessibles.

    Pour comprendre les évènements futurs, il est nécessaire de récolter des informations sur la taille de la population actuelle et sur ses habitudes écologiques dès à présent. Une équipe internationale de scientifiques appartenant au Polar Geospatial Center (PGC) de l'université du Minnesota et au British Antarctic Survey (BAS) a développé un système de comptage des manchots par satellite. Les premiers résultats ont été publiés dans la revue Plos One. Le nombre d'Aptenodytes forsteri vivant en AntarctiqueAntarctique aurait été largement sous-estimé dans le passé.

    Un colonie de manchots empereurs photographiée par le satellite QuickBird à proximité de la baie d'Halley. Pour distinguer les oiseaux, les images subissent un traitement informatique, se basant entre autre sur des différences de couleurs. © DigitalGlobe

    Un colonie de manchots empereurs photographiée par le satellite QuickBird à proximité de la baie d'Halley. Pour distinguer les oiseaux, les images subissent un traitement informatique, se basant entre autre sur des différences de couleurs. © DigitalGlobe

    Les manchots empereurs comptés depuis l’espace

    Dans un premier temps, trois satellites commerciaux (IkonosIkonos, Quickbird et WorldView-2) ont été utilisés pour cartographier la position des colonies sur tout le pourtour du continent avec une résolutionrésolution d'un pixelpixel pour 10 mètres de terrain couvert. Au total, 46 sites ont été localisés. Ces résultats ont confirmé la présence de trois groupes pour lesquels des doutes subsistaient et souligné l'existence de 4 colonies non répertoriées auparavant par les satellites LandSat (leurs résolutions sont moins précises). 

    Par la suite, chaque colonie a été photographiée à une très haute résolution (de l'ordre d'un pixel pour 0,61 m de terrain couvert, en panchromatique), entre septembre et décembre 2009. Des comptages ont été réalisés en parallèle durant des expéditions sur le terrain ou à partir de photographiesphotographies aériennes pour 11 groupes. Les données terrestres ont été utilisées pour mettre au point les algorithmes de comptage à partir des données des satellites. L'opération n'est pas facile : un individu n'occupe pas plus d'un pixel ! Un filtre a dû être créé pour distinguer un oiseauoiseau (plumage noir et blanc) du fond neigeux, de son ombre et du guanoguano (leurs fientesfientes). Les informations récoltées au sol ou par avion ont également été utilisées pour valider les premiers résultats.

    Répartition des colonies de manchots empereurs autour de l'Antarctique avec l'estimation du nombre d'individus pour chaque groupe. © <em>British Antarctic Survey</em>

    Répartition des colonies de manchots empereurs autour de l'Antarctique avec l'estimation du nombre d'individus pour chaque groupe. © British Antarctic Survey

    Les satellites : voir sans être vu

    Environ 280.000 couples de reproducteurs ont ainsi été dénombrés, ce qui est largement supérieur aux précédentes estimations (135.000 à 175.000). En tenant compte du ratio entre reproducteurs et non-reproducteurs, la population totale des manchots empereurs vivant en Antarctique est désormais estimée à 595.000 individus, bien au-delà des 270.000 à 350.000 individus des estimations précédentes.

    Cette méthode présente de nombreux avantages. Les recherches sont menées en toute sécurité, de manière reproductible et surtout sans aucun impact environnemental (pas de d'humains, pas d'engins...). Par ailleurs, elle peut être utilisée pour d'autres espèces et sur de très larges territoires.

    Il s'agit de la première étude de recensement visant à caractériser une population complète, à l'échelle d'un continent, depuis l'espace. Elle fournit un point de repère important qui permet dorénavant de surveiller l'évolution de cette espèce dans le temps. Il sera ainsi possible de comprendre les conséquences réelles du réchauffement climatique (et donc de la fontefonte de la banquisebanquise) sur ces animaux ou de déterminer l'efficacité des programmes de conservation.