La limace de mer Elysia marginata est capable de régénérer tous ses organes clés comme le cœur à partir d’une simple tête. Du jamais vu dans le monde animal. Comment ce petit miracle est-il possible et pourquoi diable la limace de mer se coupe-t-elle volontairement en deux ?


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    Voilà qui aurait bien arrangé la reine Marie-Antoinette durant la Révolution en 1789. Sayaka Mitoh et sa collègue Yoichi Yusa, de l'université de Nara au Japon, ont découvert par hasard deux espèces de limaces de mer capables de s'auto-régénérer à partir d’une tête décapitée. Un jour, Sayaka Mitoh a remarqué avec stupéfaction une tête de limace sacoglosse (une famille de mollusques) se baladant toute seule dans l'aquarium de leur laboratoire. « Nous pensions qu'en l'absence de cœur et d'autres organes importants, la limace allait mourir rapidement, relate Sayaka Mitoh. Mais, à notre grande surprise, l'animal a fait repousser tout son corps en quelques semaines à peine, y compris le cœur, les reinsreins, les intestins et les organes reproducteurs ».

    Au bout de quelques heures, la tête coupée a commencé à se nourrir d'algues. Après 7 jours, le cœur avait repoussé et, en trois semaines, le corps tout entier était régénéré. L'autre partie du corps abandonné, lui, ne repousse jamais mais peut bouger encore pendant plusieurs jours, voire des mois. « Ils se rabougrissent progressivement et finissent par se décomposer », décrivent les chercheurs dans leur étude publiée dans la revue Current Biology.

    S’auto-décapiter pour se débarrasser des parasites

    Bien que l'autotomie (le fait de se séparer volontairement d'une partie de son corps, comme les lézards abandonnant leur queue pour échapper à un prédateur) soit relativement courante dans le monde animal, l'auto-décapitation de cette limace de mer est sans précédent. Il est d'ailleurs peu probable que ce comportement soit un moyen d'échapper à un prédateur car le processus prend plusieurs heures, note Sayaka Mitoh.

    La tête et le corps de la limace demeurent mobiles mais, seule, la tête va pouvoir faire repousser les autres organes. En trois semaines, le corps de la limace de mer <i>Elysia marginata </i>s'est entièrement régénéré. © Sayaka Mitoh
    La tête et le corps de la limace demeurent mobiles mais, seule, la tête va pouvoir faire repousser les autres organes. En trois semaines, le corps de la limace de mer Elysia marginata s'est entièrement régénéré. © Sayaka Mitoh

    Les chercheurs pensent plutôt que son corps « détachable » constitue un moyen radical mais efficace de se débarrasser des parasites qui peuvent altérer leur capacité de reproduction. Dans un lot de limaces de mer E. atroviridis capturées à l'état sauvage, les quelques-unes qui avaient abandonné leur corps étaient en effet parasitées par des copépodes (des petits crustacéscrustacés de quelques millimètres de longueur). « Il ne s'agit donc pas d'une autotomie à proprement parler, mais d'une autolyse », souligne Sayaka Mitoh. En examinant les limaces de près, les deux chercheurs ont remarqué une légère rainure à l'arrière de la tête qui semble fonctionner comme une zone de « pré-séparationséparation », un peu comme les dentelures des timbres-poste, que les limaces peuvent activer lorsque l'infection aux parasites devient nuisible.

    « Voler » la photosynthèse aux algues

    Mais comment ces limaces de mer ont-elles acquis leur incroyable capacité de régénération ? Il semble que l'espèce Elysia marginata soit capable d'incorporer dans son organisme les chloroplasteschloroplastes des algues dont elle se nourrit, un phénomène nommé kleptoplastiekleptoplastie. Or, ces chloroplastes constituent chez la plante une sorte de « mini usine énergétique », où l'énergieénergie lumineuse est transformée en matièrematière organique. De précédentes études ont montré que les chloroplastes ingérées par ces limaces de mer ne sont que partiellement digérées et survivent plusieurs semaines, voire plusieurs mois, dans l'organisme de l'animal -- ce qui leur donne au passage leur jolie couleurcouleur verte. Les limaces seraient donc capable d'effectuer une sorte de photosynthèsephotosynthèse pour régénérer leurs organes manquants.

    Le processus ne réussit cependant pas à tous les coups. Sur 39 limaces ayant perdu leur corps, seules 13 ont survécu en reformant des organes. Les têtes des limaces les plus âgées ont en effet arrêté de se nourrir et sont mortes au bout de 10 jours sans faire repousser leur corps.