C'est l'été. Comme chaque année, forêts et garrigues sont menacées par les incendies. À l'Iusti, institut salué internationalement pour ses travaux sur les écoulements couplés à des transferts de chaleur, on travaille notamment à la mise au point de modèles capables de prédire l'éclosion et la propagation des incendies de forêt. Traversée d'un labo fusant d'activités de recherche finalisées.

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    Affirmer, quitte à paraître un peu pompier, que les incendies de forêt qui ravagent, chaque été ou presque, des milliers d'hectares dans le Var, les Bouches-du-Rhône et la Corse ne seront bientôt plus qu'un lointain souvenir, n'a rien de fumeux. Les chercheurs marseillais de l'Institut universitaire des systèmes thermiques industriels (Iusti), en tout cas, y croient. Et font flèche de tout bois pour combattre ce fléau en élaborant des modèles chargés de reproduire sur ordinateurordinateur le comportement, dans l'espace et le temps, d'un incendie de forêt ou d'un feufeu se développant dans des structures artificielles (entrepôts, tunnels, sous-marins...). Autant être franc : construire des outils physico-mathématiques capables de prédire la croissance et la vitessevitesse de propagation d'un sinistre, né, par exemple, d'un mégot tombé sur une litièrelitière d'aiguilles de pin et attisé par un mistral en furie, est un casse-tête autrement diabolique qu'allumer un méchoui dans la garrigue ! C'est que les paramètres en lice ne se laissent pas facilement dompter. « La démarche que nous avons adoptée, commente Bernard Porterie, responsable de l'Équipe de recherches technologiques sur les feux, considère que le milieu combustiblecombustible dans lequel se développe un feu de forêt est hétérogène (une phase gazeuse suivie de n phases solidessolides végétales combustibles). Ce modèle de calcul "déterministe", beaucoup plus opérationnel que les anciens modèles qui comportaient peu de physiquephysique, s'appuie sur l'ensemble des phénomènes physiques, thermiques, radiatifs, chimiques et de dynamique des fluides expliquant le comportement général d'un feu. »

    Bref, un alambicalambic numériquenumérique bouillonnant d'équationséquations et prenant en compte tous les ingrédients-clés d'un incendie pour fournir une estimation aussi fine que possible de son évolution au bout d'une heure, deux heures, cinq heures...

    Le tout, dans un premier temps, grâce au renfortrenfort de l'informatique : « Nous effectuons d'abord des prédictions en déclenchant un feu de façon virtuelle et en observant le suivi d'un front en fonction du vent, de la massemasse végétale, de la pente, de la présence ou non de coupe-feucoupe-feu, de la dispersion des habitations, etc., autant de paramètres que nous pouvons modifier à volonté », dit Bernard Porterie. Place, ensuite, à la validation des calculs en situation réelle près de Corte (Corse), où l'Iusti, avec le laboratoire SPE 3 de l'université de Corse, procède à des « brûlages dirigés » sur des parcelles en pleine nature. Note globale ? Plus qu'encourageante.

    De quoi crépiter de satisfaction, n'était une difficulté majeure ralentissant la mise sur le marché de ces outils : la longueur prohibitive des temps de calcul, encore très supérieurs aux temps physiques et « ne permettant pas des prédictions opérationnelles à grande échelle ». Il n'empêche : les choses avancent, comme pourra s'en féliciter la fine fleur du métier invitée à Tanger, en novembre prochain, aux Journées internationales de thermique, qu'honorera de sa présence Pierre-Gilles de Gennes.

    <br />Les outils physiques développés à l'Iusti permettent de prédire l'impact d'un incendie sur une parcelle située sur le trajet d'un front de feu &copy; B. Porterie/CNRS Photothèque

    Les outils physiques développés à l'Iusti permettent de prédire l'impact d'un incendie sur une parcelle située sur le trajet d'un front de feu © B. Porterie/CNRS Photothèque

    Prêter main-forte aux soldats du feu est toutefois loin d'être la seule mission de l'Iusti, implanté depuis 1996 sur le campus scientifique de Marseille Château-Gombert, au nord de la capitale massaliote, et adossé à une école d'ingénieurs, Polytech. « Nul n'entre ici s'il ne s'intéresse aux milieux granulairesgranulaires, aux écoulements complexes et à la physique des transferts » : telle pourrait être la devise, intimidante, placardée au fronton de ce labo high-tech noyé dans la verdure et bercé par le chantchant des grillons...

    Mais comptez sur Roger Martin, son directeur, barbe blanche et voix rôtie par le soleilsoleil, pour vous convaincre que ces trois thèmes, unis comme la pierre à son chaton, permettent de plancherplancher tout à la fois sur la rentrée des engins spatiaux dans les couches denses de l'atmosphèreatmosphère d'une planète (TerreTerre, Mars, TitanTitan...) et les coulées de lavelave. Ajoutez le contrôle du bruit aérodynamique des avions supersoniques, les systèmes de refroidissement des moteurs automobilesautomobiles, les propriétés thermodynamiquesthermodynamiques des matériaux à haute température (1 200 °C), la sûreté des centrales nucléairescentrales nucléaires..., et voilà le cahier des charges de l'Iusti à peu près complet. Le tout soutenu par un credo boulonné aux gros - ou moins gros - appareillages (soufflerie hypersonique et supersonique, laserlaser, tubes à chocs, lits fluidisés circulants...) de l'unité : « Toujours passer par la compréhension d'un mécanisme fondamental pour faire sauter un "verrouverrou technologique". »

    D'où les multiples contrats (une quinzaine par an en moyenne) liantliant l'Iusti au monde industriel, une manne sans laquelle « nous ne pourrions faire que des calculs ou de petites expérimentations » et qui « nous impose d'être continuellement à l'affût des applicationsapplications potentielles de nos recherches », insiste Roger Martin. À voir les noms desdits partenaires (entre autres, tous les poids lourds de l'aviation, de l'automobile et de l'aéronautique), on est rassuré pour l'auréole de l'Iusti, encore agrandie par le prix Max Bredig de l'Electrochemical Society, décroché en 2004 par Marcelle Gaune-Escard, et la nomination aux fonctions d'éditrice associée du Journal of Fluids Mechanics d'Elisabeth Guazzelli, responsable du groupe « Écoulements des particules ».

    Car une des spécialités de l'Institut est l'étude des milieux granulaires, comprenez les matériaux formés d'une collection de particules, de toute nature et de tout calibre, « des grains de sablesable d'une dune de Mauritanie aux céréalescéréales stockées dans un silo, en passant par les hydrates en suspension dans des fluides très visqueux comme le pétrolepétrole », explique la nouvelle éditrice. Un secteur en pleine expansion, sachant que si l'écoulement des fluides classiques est aujourd'hui bien mis en équations, aucune modélisationmodélisation mathématique complète n'est disponible pour « décrire correctement les propriétés physiques et dynamiques d'un mélange fluide-particules (comme la peinture ou la pâte à papier) ou de particules seules ».

    <br />Cette chercheuse, spécialiste des milieux granulaires, étudie le comportement de sédiments dans un « canal à houle »

    Cette chercheuse, spécialiste des milieux granulaires, étudie le comportement de sédiments dans un « canal à houle »

    Autre satisfecit à faire rosir de fierté l'Iusti : avoir calculé, pour l'ESAESA 5, les flux de chaleurchaleur qu'aurait à rencontrer la sonde Cassini-Huygens lors de sa rentrée dans l'atmosphère de Titan, un cocktail composé de méthane, d'azoteazote et d'argonargon. Et avoir prouvé que ses calculs sur les processus physico-chimiques qui attendaient l'engin « n'étaient pas trop faux, puisque le bouclier a tenu, malgré les 15 000 °C ambiants et une vitesse de 4,5 km/s ! », commente Aziz Chikhaoui, responsable de l'équipe « Écoulements hypersoniques ». Une prouesse de haut vol rendue possible par une soufflerie hypersonique unique en son genre en France. Pour se faire une idée du mastodonte, imaginer un canon caparaçonné d'acieracier (7 tonnes), long de 20 mètres et divisé en 3 compartiments séparés par une membrane métallique. « On augmente jusqu'à 300 barsbars la pressionpression dans la première chambre, explique Aziz Chikhaoui, de telle sorte que la membrane qui la sépare de la deuxième chambre casse et propulse un piston de 35 kgkg à 200 m/s. » Lequel comprime de l'héliumhélium, jusqu'à 500 bars, puis déclenche une onde de choc qui va se propager dans la troisième chambre, où se trouve le gazgaz-test passé au crible pendant 100 microsecondes par spectroscopie.

    Suite de la visite sous un ciel bleu crépon bluffant de transparencetransparence, et rencontre avec l'équipe « Transferts de chaleur et de masse », pilotée par Lounes Tadrist, ravi de « développer des collaborations avec d'autres laboratoires comme avec des entreprises. Nous avons autant de plaisir à voir nos travaux sur les transferts de chaleur sous fortes contraintes déboucher sur la conception d'une nouvelle gamme d'extrudeuse par la société Clextral, que d'être responsables, avec l'ESA, d'une expérimentation sur la Station spatiale internationaleStation spatiale internationale pour mieux comprendre les phénomènes de transfert de chaleur avec changement de phase en micropesanteur ».

    Naviguant sans désemparer entre fondamental et appliqué, et soucieux de mettre à profit ses multiples connexions avec le milieu industriel pour « loger » les ingénieurs frais émoulus de Polytech, le navire Iusti, en « dynamique ascendante » (message du directeur), cingle énergiquement vers le futur. Sans faire de vaguesvagues, ce qui mérite d'être signalé pour un labo spécialisé dans les écoulements
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