Des crottes fossiles révèlent pourquoi les dinosaures ont régné si longtemps

Si l'on a l'habitude de représenter les paléontologuespaléontologues en train d'étudier des ossements fossiles ou des empreintes de dinosaures, les vestiges auxquels ils s'intéressent sont en réalité bien plus variés. Alors, certes, il faut avouer qu'il est moins glamour de dire que l'on étudie aussi des coprolithes, autrement dit... des excréments fossilisés. Et pourtant, ces objets, produits de la digestiondigestion d'animaux depuis longtemps disparus, s'avèrent être extrêmement riches en informations. Ils pourraient même aider à comprendre comment les dinosaures sont parvenus à régner sur le monde pendant si longtemps.

« Il n'y a jamais eu d'étude de ce type, jamais », commente Martin Qvarnström, paléontologue à l'université d'Uppsala, dans cet article de Science, en parlant de la nouvelle étude dont il est l'auteur principal. « Les gens veulent étudier des gros squelettes et non des crottes... » Les résultats publiés dans Nature font pourtant parler d'eux, et en bien ! Car il faut dire que l'approche est novatrice.

Excréments et régurgitations de dinosaures analysés sous toutes les coutures

Les premiers dinosaures sont apparus il y a environ 230 millions d'années, entrant en concurrence avec un autre groupe d'animaux : les pseudosuchiens, dont les représentants actuels sont les crocodiles. Alors que ces derniers semblent bien partis pour dominer le monde, la situation va soudainement s'inverser. Rapidement, les dinosaures vont se diversifier, prenant progressivement pied dans l'ensemble des niches écologiques. Ils finiront par assoir leur règne, qui va durer 160 millions d’années.

Les causes de ce revirement de situation sont depuis longtemps débattues. Si pour certains la bipédie et l'agilité des premiers dinosaures auraient été des facteurs déterminants, les dinosaures pourraient avoir montré d'autres atouts. Pour Qvarnström et son équipe, le régime alimentaire des premiers dinosaures pourrait ainsi avoir joué un rôle majeur. Mais comment savoir de quoi se nourrissaient ces animaux il y a 200 millions d'années ? En étudiant leurs excréments et régurgitations, pardi ! Quoi de plus représentatif en effet que ces « bromalites » (terme scientifique utilisé pour décrire ces restes fossilisés issus de la digestion) ?

Coprolithe d'un dinosaure carnivore (Smok wawelski) datant de la fin du Trias. © Grzegorz Niedźwiedzki

Elles contiennent en effet de très nombreux indices sur la nourriture ingérée par les dinosaures : insectes, restes de poissons, résidus de plantes, ossements... 532 bromalites collectées en Pologne ont ainsi été passées au crible. Outre une analyse chimique, les précieux restes ont été passés au scanner (microtomographie synchrotron) afin de déterminer de quoi ils étaient composés et de les associés aux différentes espèces connues.

L'analyse de ce coprolithe de grand poisson fossile révèle la présence d'écailles de poisson. © Martin Qvarnström

Un régime très varié, clé de la réussite

Les chercheurs ont ainsi pu observer l'évolution du régime alimentaire au fil du temps, pour chaque espèce identifiée, en regard de l'évolution climatique et environnementale.

L'analyse des bromalites a permis d'identifier le régime alimentaire de nombreuses espèces. © Qvarnström et al. 2024, Nature

Il apparaît tout d'abord que les précurseurs des dinosaures étaient principalement omnivoresomnivores et opportunistes, ce qui leur aurait donné une plus grande capacité d'adaptation que leurs rivaux. Puis, à la fin du TriasTrias, le climatclimat devient plus chaud et humide, entraînant le développement d'une végétation luxuriante qui va favoriser l'expansion des herbivoresherbivores. Les bromalites de ces derniers indiquent d'ailleurs que leur régime était très diversifié. Ils semblaient capables d'ingérer toute une variété de plantes, et même du charboncharbon. Un avantage qui leur aurait permis de supplanter alors les pseudosuchiens et les thérapsidesthérapsides herbivores.

L'abondance de nourriture aurait progressivement favorisé le développement de tailles gigantesques chez les herbivores. C'est ainsi qu'apparaissent les sauropodomorphes, dont le poids peut atteindre plusieurs dizaines de tonnes. En réponse à cette évolution morphologique des herbivores, les théropodesthéropodes carnivorescarnivores, comme le célèbre tyrannosaure, vont également atteindre des tailles record. Cette époque du gigantismegigantisme marque définitivement le début du règne des dinosaures.

Un couple de sauropodomorphes se nourrissant de la dense et diverse végétation du début du Jurassique. © Marcin Ambrozik

L'étude révèle donc à quel point la diversité du régime alimentaire a été un facteur majeur dans l'évolution des dinosaures. Elle aide également à mieux comprendre les processus évolutifs en général.