Dans le cadre de la COP26 qui se tient à Glasgow jusqu'au 12 novembre, Futura vous propose une série d'entretiens avec des experts du climat pour décrypter le réchauffement climatique en cours, ses causes et ses conséquences, les risques auxquels nous devrons faire face si nous ne parvenons pas à maîtriser la hausse des températures et à ne pas dépasser les 1,5 °C, les solutions qui existent et celles à mettre en place. L'urgence climatique n'est pas un vain mot ! Aujourd'hui, nous donnons la parole à Florence Habets, chercheuse du CNRS au Laboratoire de géologie de l’École normale supérieure.


au sommaire


    Florence Habets, chercheuse du CNRS au Laboratoire de géologie de l'École normale supérieure, étudie l'évolution de la ressource en eau en France en fonction du changement climatiquechangement climatique.

    Futura : Quels sont les principaux facteurs qui impactent la ressource en eau ? Avec quelles conséquences ?

    Florence Habets : Aujourd'hui, ce sont surtout les activités humaines qui comptent mais le changement climatique pourrait bien devenir prépondérant dans le futur. Le dernier rapport du Giec pointe d'ailleurs sécheresses et inondations parmi les principaux impacts. L'Europe sera divisée avec un Nord plus pluvieux et un Sud, plus sec. Les régions méditerranéennes seront parmi les plus impactées par le déficit de précipitations, comme le golfe du Mexique ou la Californie où l'on constate déjà des sécheresses et des feux importants. Par ailleurs, la dynamique des précipitations évolue avec le dérèglement climatique, vers une intensification des pluies les plus fortes. Selon les lois de la thermodynamiquethermodynamique, un degré de plus conduit à un accroissement de 7 % de la vapeur d'eau dans l'atmosphèreatmosphère. Dans les faits, l'augmentation des précipitations intenses est encore plus importante comme dans les Cévennes. À Uccle (Belgique), qui dispose de données depuis 1900, les précipitations horaires les plus intenses s'accroissent de 14 %.

    Voir aussi

    Dossier : L'air et l'eau : deux fluides essentiels

    Futura : Quel sera l’impact pour la ressource en eau ?

    Florence Habets : Globalement, le changement climatique diminuera les ressources en eau et produira plus de sécheresses : en France et en Europe, elles augmenteront partout en intensité et de l'ordre de 20 à 30 % en duréedurée, et d'autant plus que la température globale augmentera, d'où l'importance de réduire nos émissionsémissions de gaz à effet de serre. En France, on projette une diminution de 10 à 20 % de la ressource en eau pour le nord de la France et au-delà de 30 à 40 % pour le bassin Adour-Garonne. Mais la ressource en eau varie aussi naturellement fortement à des échelles multidécennales : sur 20 à 30 ans, on peut avoir des débitsdébits supérieurs ou inférieurs de 20 % à 30% par rapport à la moyenne. Ces 30 dernières années, nous étions dans une période de faible débit. Le dérèglement climatique s'ajoute à ces variabilités naturelles, qui pourraient s'amplifier selon le Giec. Ce phénomène qui s'observe dans d'autres régions du monde est encore mal compris et mal reproduit par les modèles de climatclimat. Avec ces variations et incertitudes, il est très difficile d'anticiper l'évolution des crues centennales même si on pense qu'elles pourraient augmenter sur une grande partie de la France ; on peut néanmoins anticiper que les crues seront plus fréquentes et celles des petits fleuves seront plus intenses du fait des précipitations plus intenses. Il faut donc envisager dès maintenant des stratégies d'adaptation pour gérer la ressource en eau.

    Les débits annuels des fleuves connaissent de grandes variations multidécennales naturelles qui rendent difficiles l’évaluation de l’impact du changement climatique. © <em>EGU journals</em>
    Les débits annuels des fleuves connaissent de grandes variations multidécennales naturelles qui rendent difficiles l’évaluation de l’impact du changement climatique. © EGU journals

    Futura : Quels sont vos conseils ?

    Florence Habets : Pour réduire l'impact des précipitations intenses et des sécheresses, il faut pouvoir infiltrer l'eau dans les sols et vers les nappes souterraines, en ville comme en zone rurale. Les villes modifient fortement le cycle de l'eau, et doivent devenir plus perméables. Elles s'étendent cependant sur des surfaces moins grandes que les zones rurales, qui ont donc un impact marqué sur la ressource en eau. Il faut limiter l'artificialisation et l'imperméabilisation des sols, et favoriser tout ce qui ralentit le ruissellement et accroît son infiltration pour soutenir la recharge des nappes phréatiquesnappes phréatiques de façon naturelle. Il faut donc éviter les tassements, conserver les haieshaies comme on le fait en agroforesterieagroforesterie, les noues (fossés de rétention d'eaurétention d'eau) ou des sols aérés riches en micro-organismesmicro-organismes.

    Voir aussi

    Agriculture bio : l'objectif de 15 % en 2022 « inatteignable » selon un rapport

    Futura : Comment doivent évoluer les pratiques agricoles ?

    Florence Habets : Vers l'agroécologieagroécologie, l’agroforesterie, le bio ! Il faut aussi  préserver l'eau comme bien commun, ne pas mettre en péril la biodiversitébiodiversité ou l'alimentation en eau potable par une multiplication de retenues d'eau pour des usages agricoles. Malheureusement, ce n'est pas le message qu'envoie la Politique agricole communePolitique agricole commune européenne et son applicationapplication en France. Par exemple, le Varenne agricole de l'eau et de l'adaptation au changement climatique, réflexion lancée en mai dernier par le ministère de l'AgricultureAgriculture, évoque la mobilisation de nouveaux « gisementsgisements d'eau » pour l'agriculture ! Or l'agriculture doit aussi s'adapter au climat, tout comme elle doit réduire les pollutions aux nitrates et aux pesticidespesticides qui ont probablement déjà formé un cocktail nocif tant à la biodiversité qu'à la santé humaine, qui contaminera les sols et les nappes phréatiques pour longtemps.