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Au cours de son périple de 4.000 km, Guillaume, jeune éléphant de mer mâle, a mesuré le refroidissement hivernal des deux cents premiers mètres. © Mamvis SMRU
L'idée est née il y a plusieurs années au sein d'une équipe d'océanographes de plusieurs pays qui, à l'origine, ne s'intéressaient qu'aux éléphants de mer. En partie recouvert par la banquise, l'océan Antarctique se prête mal aux observations depuis des navires en surface. Quant aux engins robotisés, ils coûtent cher et manquent encore d'autonomieautonomie. Or, les éléphants de mer, eux, y parviennent très bien. Depuis les îles où ils aiment se reproduire, toutes situées dans les régions plus clémentes du nord, comme les Kerguelen, ces mammifères marins partent chercher de la nourriture loin vers le sud, parcourant souvent plusieurs milliers de kilomètres. Durant leurs voyages, ils plongent régulièrement - une soixantaine de fois par jour - jusqu'à plus de mille mètres de profondeur et n'hésitent pas à se faufiler dans la banquise, profitant de ses nombreuses fissures.
Alors pourquoi ne pas en doter quelques-uns de systèmes de mesure couplés à des émetteurs radio ? La miniaturisation permet aujourd'hui de réaliser des appareils de faible volume qui ne gênent pas trop l'animal. Chez Mirounga leonina, l'éléphant de mer australéléphant de mer austral, la plus grande des espèces de la famille des phoques (les phocidés), le mâle pèse en moyenne deux tonnes.
Entre février et mars 2004, huit individus ont enregistré des profils de températures et de salinités sur une vaste zone entre les îles Kerguelen et le continent antarctique. © Mamvis SMRU
Des explorateurs naturels de contrées méconnues
Pour étudier en mer ces animaux que l'on n'observait jusque-là qu'à terre lors de la période des accouplementsaccouplements, des biologistes écossais du SMRU (Sea Mammal Research Unit)) ont confectionné un appareillage léger capable d'enregistrer les détails de leurs déplacements. En grande partie inclus dans de la résine et portant une antenne, l'instrument comporte des capteurs de pressioncapteurs de pression, de température et de salinitésalinité, un petit ordinateurordinateur pour mémoriser les données le temps de la plongée, une batterie et un émetteur radio pour envoyer les résultats vers les satellites du système ArgosArgos. Ainsi est né le projet Seaos (SouthernSouthern Elephant Seals as Oceanographic Samplers) qui réunit des équipes d'océanographes de quatre pays, le Royaume-Uni, les Etats-Unis, l'Australie et la France, en l'occurrence le laboratoire du Centre d’Etudes Biologiques de Chizé (CEBC).
Devant les premiers résultats, les chercheurs ont réalisé que l'intérêt des données recueillies dépassait largement le cadre de la biologie. Ces explorateurs bénévoles mesurent des paramètres clés de la circulation des eaux profondes. Températures et salinités, en effet, donnent à l'eau de mer sa densité et déterminent l'étagement vertical des couches d'eau, des plus lourdes, au fond, aux plus légères, en surface. Des mesures effectuées à différentes profondeurs et en de nombreux endroits permettent alors de dresser des cartes de ces couches en trois dimensions et d'obtenir une bonne estimation des courants profonds. Imparfaitement connu, surtout en profondeur, le courant circumpolairecircumpolaire antarctique est pourtant le plus puissant de la planète.
La formation de la banquise augmente la salinité des eaux situées juste dessous car seule l'eau est prise en glace. En mesurant les variations de salinité sous la banquise, on peut ainsi estimer la vitessevitesse de sa formation et son épaisseur. Le gelgel de l'eau en surface a une autre conséquence. En hiverhiver particulièrement, l'augmentation de salinité sous la banquise est telle que l'eau sous-jacente, alourdie par le sel, coule, littéralement, vers le fond, induisant de puissants courants verticaux, lesquels déclenchent secondairement une circulation horizontale dite thermohaline (car provoquée par les variations de température et de salinité). Cette mécanique de l'océan est bien connue des océanographes qui l'étudient depuis la fin du dix-neuvième siècle dans toutes les mers du globe... sauf sous la banquise, faute de moyens techniques simples à mettre en œuvre.
Sur une image satellite centrée sur le continent antarctique sont représentés les voyages des 58 éléphants de mer de l'expérience, entre 2004 et 2005, depuis les îles Kerguelen (en bleu), la Géorgie du Sud (en rouge), les îles Shetland du Sud (en orange) et Maquarie (en rose). © Mamvis SMRU
Une contribution à la surveillance de l'océan mondial
Entre 2004 et 2005, 58 éléphants de mer ont été dotés de ces instruments, qui restaient fixés plusieurs semaines avant de se décrocher et de se perdre au fond de l'océan. En tout, ces phocidés océanographes ont réalisé 16.500 profils de températures et de salinités, dont 4.520 sous la banquise. La profondeur moyenne des plongées était de 600 mètres, avec un record à 1.998 mètres. Guillaume, un des membres émérites de l'équipe de mammifères marins, a effectué en deux mois un aller et retour entre l'archipelarchipel des Kerguelen et le continent antarctique, totalisant deux mille kilomètres de navigation, avec une plongée jusqu'à 1.200 mètres. Les résultats, particulièrement copieux, viennent seulement d'être publiés, montrant des cartes des déplacements des animaux mais aussi les profils des températures et des salinités sur tous les trajets parcourus par les éléphants. Ces données alimenteront les études sur les courants océaniques de l'Antarctique.
Ils ont déjà été transmis, en direct, aux centres d'océanographie opérationnelle, où ils contribuent à mieux connaître l'océan mondial, son évolution et, en particulier, les conséquences du réchauffement climatiqueréchauffement climatique. D'autres campagnes de mesures sont désormais prévues qui, cette fois, mettront à contribution des phoques de Wedell.