Les bateaux de pêche raclant les fonds marins avec leurs filets dégagent autant de CO2 que les trajets en avion au niveau mondial, selon une étude signée par 26 experts. Ils réclament une plus grande protection pour les zones les plus à risque, et notamment en Europe.


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    La pêche au chalut, qui recourt à un long filet conique remorqué par un navire, est régulièrement remise en cause pour sa non-sélectivité sur les espèces capturées et les dégâts causés aux fonds marins. En 2016, le chalutage en eau profonde (plus de 800 mètres ou 400 mètres dans les zones vulnérables) a été interdit dans les eaux européennes, mais elle demeure légale dans les eaux internationales qui représentent 60 % des mers et océans du globe. Chaque année, 4,9 millions de km2 seraient ainsi raclés par les chaluts, soit 1,3 % de la surface océanique.

    Le saviez-vous ?

    L’océan contient près de 40.000 milliards de tonnes de carbone, principalement sous forme de carbone inorganique dissous dans l’eau de mer. Environ 200 millions de tonnes de carbone fixé par les organismes marins atteignent le fond des océans ; ce carbone peut être stocké durant des millénaires.

    Les sédiments marins constituent le premier réservoir de carbone à long terme de la Planète

    Or, la pêche au chalut crée des dégâts considérables dans les fonds marins : elle détériore les habitats naturels et arrache les organismes posés sur le fond. Mais ce n'est pas tout : selon une nouvelle étude parue dans Nature et signée par 26 experts en climatologie, biologie et économie, cette pratique entraînerait le dégagement de 600 à 1.500 millions de tonnes de CO2 par an, soit davantage que le transport par avion (918 millions de tonnes en 2018).

    « Les sédiments marins constituent le premier réservoir de carbonecarbone à long terme de la Planète. La perturbation de ces réserves de carbone va reminéraliser le carbone sédimentaire en CO2, ce qui est susceptible d'accroître l'acidification des océans, de réduire le pouvoir tampon de l'océan et de contribuer à l'accumulation de CO2 atmosphérique, s'inquiètent les auteurs. Ces 1.500 millions de tonnes relâchées dans l'océan ne représentent que 0,02 % du carbone sédimentaire marin total, mais cela équivaut à 15 à 20 % du CO2 atmosphérique absorbé par l'océan chaque année ». La perte de carbone des fonds marins est ainsi comparable à celle causée dans les sols terrestres par l'agriculture, et dépasse celle de l'aviation.

    Pourcentage des eaux territoriales de chaque pays constituant les 10 % de zones prioritaires à protéger. © Enric Sala et <em>al.</em>, <em>Nature</em>, 2021
    Pourcentage des eaux territoriales de chaque pays constituant les 10 % de zones prioritaires à protéger. © Enric Sala et al., Nature, 2021

    Protéger 28 % de l’océan

    Les chercheurs ont cherché à savoir comment réduire cet impact et préconisent la création de zones protégées là où le stockage du carbone est le plus élevé et où la pêche industrielle au chalut est la plus importante. Il s'agit notamment des eaux territoriales chinoises, de la côte atlantique européenne et des zones de remontée d'eau productives (voir figure). « Il suffirait ainsi de protéger 3,6 % de l'océan pour éliminer 90 % du risque de perturbation du carbone sédimentaire », affirment les auteurs. Et bonne nouvelle : ces zones sont situées majoritairement dans les eaux nationales, ce qui les rend accessibles à une réglementation adéquate. Dans un objectif de protection plus large, comprenant également la préservation de la biodiversitébiodiversité et la fourniture de nourriture (préservation de stocks de poissonpoisson), il faudrait en revanche protéger 28 % de l'Océan mondial. À l'heure actuelle, seulement 2,7 % de l'Océan fait l'objet d'une protection.

    La pêche au chalut n'est cependant pas la seule menace qui pèse sur les fonds marins. L'exploitation minière pourrait, elle aussi, aboutir à une perturbation des sédiments, bien que cette activité soit encore peu développée. Outre la séquestration de long terme, la pompe à carbone océanique pourrait elle-même vaciller en raison du réchauffement climatiqueréchauffement climatique et de l'acidification des océans.

    Voir aussi

    Réchauffement climatique : jusqu'à 35 % de poissons de moins dans les océans


    Les chalutages profonds ravagent les fonds marins

    Article de Quentin Mauguit publié le 10/09/2012

    Les chaluts de fond causeraient de gros dégâts environnementaux en eaux profondes. La mise en mouvementmouvement des sédiments provoquée par les filets modifierait profondément la physionomie des grands fonds, notamment dans les canyons sous-marinscanyons sous-marins méditerranéens.

    Des chaluts de fond sont utilisés depuis près d'un siècle en Méditerranée. Aux débuts de cette pêche, les navires opéraient à proximité du littoral, en eaux peu profondes. Mais, à partir des années 1960, les flottes de chalutiers se sont progressivement éloignées vers le large et les grandes profondeurs, allant jusqu'à ratisser les canyons sous-marins.

    Durant leur utilisation, les chaluts sont littéralement tirés sur les fonds marins. Les dégâts environnementaux occasionnés à proximité des côtes (arrachage de la flore, mise en suspension des sédiments, etc.) ont fait l'objet d'études et de vives polémiques. En revanche, peu d'informations sont disponibles sur les effets du chalutage en eaux profondes, notamment dans la partie supérieure du talus continental (à plus de 200 m sous la surface).

    Une étude publiée dans la revue Nature par Pere Puig de l'Institute of Marine Sciences de Barcelone vient de confirmer ce que de nombreuses personnes pensaient. La pêche au chalut perturbe également les fonds marins profonds. Elle y réalise un véritable travail de terrassementterrassement, détruisant directement ou indirectement, par le dépôt de sédiments, les reliefs complexes sources d'abris pour la vie.

    Cette photographie a été prise au sommet du flanc nord du canyon sous-marin La Fonera en Espagne. Les fonds marins semblent avoir été littéralement labourés. © Puig <em>et al.</em> 2012, <em>Nature</em>
    Cette photographie a été prise au sommet du flanc nord du canyon sous-marin La Fonera en Espagne. Les fonds marins semblent avoir été littéralement labourés. © Puig et al. 2012, Nature

    Des flux de sédiments multipliés par deux

    Les scientifiques ont été interpellés en analysant des images bathymétriques en haute résolutionrésolution des parois d'un canyon nommé La Fonera (au nord-ouest de la ville de Palamos en Espagne). La zone nord du site, d'une superficie de 40 km², présentait un relief anormalement lisse et peu pentu. Elle n'est pourtant pas située en un lieu propice aux écoulements de sédiments, ce qui aurait pu tout expliquer. En revanche, elle fait régulièrement l'objet de campagnes de pêche.

    Le canyon a été équipé, 980 m sous la surface, de sondes chargées de mesurer le flux de limonlimon descendant vers les profondeurs durant six mois. Des carottagescarottages ont également été réalisés. Les résultats obtenus ont été comparés jour par jour et heure par heure avec les activités de pêche répertoriées dans la région au cours des 4 dernières années.

    D'importants mouvements de limon ont été observés lors de chaque campagne de chalutage. Le passage des engins de pêche rabote bien les fonds et met donc de la matièrematière en suspension qui s'accumulera au fond du canyon. En 136 jours, près de 5.300 t de limon auraient ainsi été déplacées (mesure réalisée entre 4 et 50 m au-dessus du fond), une quantité équivalente à ce que peuvent déplacer une tempêtetempête ou les pluies hivernales. Par ailleurs, les sédiments ont présenté une composition différente sur les zones de pêche par rapport à des données récoltées sur un site non perturbé.

    Selon les chercheurs, les flux de limon seraient deux fois plus importants au sein des zones de pêches qu'ailleurs et ce depuis 1970. Ils vont maintenant étudier l'impact que cela peut avoir sur la biodiversité du fond du canyon, mais on se doute déjà qu'il n'est pas négligeable. Les dépôts profonds du limon mis en suspension par les chaluts risquent en effet de provoquer la destruction, en les recouvrant, des habitats de nombreuses espèces benthiquesbenthiques. Elles sont donc amenées à disparaître, tout comme leurs prédateurs...