L'installation d'El Niño et de La Niña n'est finalement pas si naturelle qu'on le croyait ! Les émissions de gaz à effet de serre issues des activités humaines ont perturbé le cycle global de ces deux phénomènes. Depuis 50 ans, les causes qui mènent à leur installation, lourde de conséquences pour beaucoup de pays, semblent avoir changé. 


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    Le changement climatique est maintenant un facteur majeur dans la formation d'El NiñoEl Niño selon une étude parue le 14 octobre dans Geophysical Research Letters. Le cycle Enso (El Niño SouthernSouthern Oscillation) se caractérise par une phase chaude (El Niño) qui se produit en alternance avec une phase froide (La NiñaLa Niña), entrecoupées de phases neutres. Ce phénomène climatique naturel se caractérise par une anomalieanomalie de températures dans l'océan Pacifique équatorial : une large bandelarge bande océanique est soit plus chaude, soit plus froide que la normale, par phases d'un à trois ans. Le déclenchement  d'El Niño ou de La Niña est lié à l'orientation des vents qui soufflent sur les eaux de cette zone précise du Pacifique. Le phénomène reste imprévisible à l'avance, et les scientifiques ne peuvent faire que constater les signaux d'apparition de l'une des deux phases. L'installation des deux phénomènes climatiques a ensuite des conséquences radicalement différentes, si l'anomalie est froide ou chaude. En dehors de l'Europe, tous les continents sont affectés par El Niño et La Niña, d'où l'importance de comprendre le phénomène, et son évolution à travers le temps.

    Un changement à partir des années 1970

    Les scientifiques supposaient déjà que les conséquences de ces deux phénomènes pouvaient être renforcées par le réchauffement climatique. Mais les chercheurs ont cette fois découvert que leur apparition était désormais de moins en moins naturelle : en étudiant des stalagmites dans une île en Alaska, les scientifiques ont pu obtenir des informations climatiques sur les 3 500 dernières années. Ceux-ci ont permis de prouver que le cycle Enso était déjà présent, et en grande partie provoqué par l'activité solaire, ainsi que par les éruptions volcaniques.  L'activité solaire a largement influencé le déclenchement d'El Niño jusque dans les années 1970. Mais ces 50 dernières années, tout a changé : le cycle Enso ne suit plus totalement l'activité solaire, mais semble désormais davantage dirigé par la hausse des températures. Or celle-ci n'est pas liée à l'activité solaire, mais en grande partie aux émissionsémissions de gaz à effet de serre issues des activités humaines.

    Au cours des 2 000 dernières années, c'est l'activité solaire qui influençait majoritairement le cycle Enso, suivie des éruptions volcaniques. © WikiImages, Pixabay
    Au cours des 2 000 dernières années, c'est l'activité solaire qui influençait majoritairement le cycle Enso, suivie des éruptions volcaniques. © WikiImages, Pixabay

    Un point de basculement aurait été franchi dans le système climatique

    Leurs résultats montrent que lors des 2 000 dernières années, au moins, un fort rayonnement solaire avait tendance à provoquer le phénomène La Niña en raison de son impact sur l'océan et les vents. À l'inverse, un faible rayonnement solaire avait tendance à provoquer l'apparition d'El Niño, même si cette anomalie chaude est aussi largement influencée par les éruptions volcaniques. Mais ce constat observé dans le passé n'est plus valable depuis les années 1970 : El Niño est apparu même en cas de fort rayonnement solaire et le phénomène climatique répond désormais davantage à l'augmentation de la chaleurchaleur. Les scientifiques pensent donc qu'un point de basculement a été franchi dans les années 1970. Au vu de l'évolution actuelle des températures mondiales, il est donc probable qu'El Niño devienne plus fréquent (devant La Niña qui était jusqu'à maintenant plus courante), mais aussi plus fort avec des effets décuplés sur la météométéo des pays concernés.


    Qu'est-ce qui déclenche El Niño et La Niña ? Les scientifiques commencent tout juste à comprendre

    Article de Karine DurandKarine Durand, publié le 9 septembre 2023

    Les scientifiques commencent tout juste à comprendre ce qui déclenche, à la base, le changement d'orientation des vents responsables des phases El Niño et La Niña, et ce qui influence ensuite leur duréedurée. Le mécanisme est à l'origine issu d'un phénomène géologique, mais les émissions de gaz à effet de serre semblent dorénavant aussi jouer un rôle.

    L'automneautomne et l'hiverhiver 2023 vont être marqués par les effets du phénomène El Niño sur une grande partie du monde. Il s'agit d'une alternance naturelle de phases climatiques, connue sous l'appellation Enso (El Niño-Southern Oscillation) dans laquelle on trouve les années La Niña (un refroidissement d'une partie des eaux de l'océan Pacifique) et les années El Niño (un réchauffement de cette même zone). Chacune des deux phases se produit en alternance par période de 1 à 3 ans, et a des conséquences majeures sur la météo des continents américains, australien, asiatique et africain.

    Mais, juste avant le changement de régime au début de l'été 2023 avec le retour d'El Niño, La Niña avait résisté 3 années de suite, une récurrence assez rare. Le déclenchement de chacune de ces phases est lié à l'orientation des vents qui soufflent sur les eaux du Pacifique équatorial. Mais, jusqu'à maintenant, aucun scientifique n'est vraiment en mesure de dire ce qui déclenche, au niveau plus global, ce changement d'orientation des vents, ni même pourquoi les phases durent 1 à 3 ans.      

    El Niño est ici visible avec l'anomalie chaude (en rouge) des températures du Pacifique équatorial. Cette chaleur de l'eau de l'océan impacte la météo de nombreuses régions du monde. © Nasa
    El Niño est ici visible avec l'anomalie chaude (en rouge) des températures du Pacifique équatorial. Cette chaleur de l'eau de l'océan impacte la météo de nombreuses régions du monde. © Nasa

    Le nuage de cendres volcaniques serait le moteur principal des phases ENSO

    Pour remonter aux origines de ce mécanisme, il faut étudier le comportement de la « circulation de Walkercirculation de Walker », ou « cellule de Walker », une zone précise de l'atmosphèreatmosphère. « La circulation de Walker est fortement couplée entre l'océan et l'atmosphère, elle se déplace de manière cohérente vers l'Ouest pendant La Niña ou vers l'Est pendant El Niño », comme le précise une étude du CNRS. Les déplacements de la cellule vers l'ouest ou vers l'est sont le point de départ des phases El Niño et La Niña, mais ici aussi, qu'est-ce qui influence cette cellule ?

    S'il est certain que plusieurs causes entrent en jeu, l'une d'entre elles semble majoritaire : les éruptions volcaniques. Pour une étude publiée dans Nature, les chercheurs américains ont analysé les traces biologiques et géologiques des 800 dernières années pour comprendre les variations du mécanisme Enso : glace, arbresarbres, sédimentssédiments dans les lacs, coraux et roches. En étudiant les niveaux d'oxygène et d'hydrogènehydrogène présents à l'intérieur, les scientifiques ont pu en tirer des conclusions sur le climatclimat de l'époque, et sur le comportement de la cellule de Walker. À chaque éruption volcanique, la cellule de Walker s'est affaiblie en raison des particules de cendres qui perturbent le fonctionnement de l'atmosphère. Avec pour conséquence, l'arrivée de la phase El Niño, comme c'est le cas en 2023.

    La pollution issue des activités humaines allonge les phases El Niño et La Niña

    L'étude montre également que ces phases ont désormais tendance à être plus durables depuis la révolution industrielle : cela signifie que les émissions de gaz à effet de serre ont certainement un impact sur la cellule de Walker, tout comme les particules de cendres des éruptions volcaniques, ainsi que celles issues des grands feux de forêts. De ce fait, les chercheurs expliquent que nous devons nous attendre à des phases El Niño et La Niña pouvant durer plusieurs années de suite, de manière plus fréquente. L'objectif est maintenant de pouvoir créer un modèle de prévision capable de prédire l'arrivée de la prochaine phase Enso, et sa durée.


    On sait désormais pourquoi La Niña a duré 3 ans

    Article de Karine Durand, publié le 21 mai 2023

    Les gigantesques incendies qui ont dévasté les forêts australiennes en 2019-2020 sont probablement responsables de la durée exceptionnelle du dernier phénomène climatique La Niña. Selon des chercheurs américains, la fumée des feux a permis à l'océan Pacifique de se refroidir durablement.

    Le phénomène climatique La Niña touche actuellement à sa fin après une durée exceptionnelle de trois ans. Un triple La Niña n'est pas inédit dans l'histoire de la météo, mais une telle durée reste étonnante dans ce contexte de réchauffement climatiqueréchauffement climatique. La Niña se caractérise en effet par un refroidissement d'une partie des eaux du Pacifique, un phénomène qui impacte ensuite le climat mondial de différentes manières, en atténuant la chaleur globale. Le Centre national des recherches atmosphériques (NCAR) pense avoir trouvé la raison pour laquelle La Niña a duré aussi longtemps. Publiée dans Science Advances, l'étude explique que les fumées des incendies australiens de 2019-2020 ont réussi à refroidir les eaux du Pacifique situées à plusieurs milliers de kilomètres des flammes.

    Les incendies peuvent refroidir le climat, comme les éruptions volcaniques

    Le fait qu'un événement géologique majeur, comme une éruption volcanique, puisse refroidir le climat, était déjà bien connu des scientifiques. Mais il semblerait aussi que les plus grands feux de forêts du monde, comme ceux d'Australie, puissent avoir le même impact, et ainsi refroidir certaines zones du globe. Rappelons que les incendies de 2019-2020 avaient brûlé 18 millions d'hectares.

    La fumée des incendies avait encerclé tout l'hémisphère sudhémisphère sud, sans pour autant atteindre la haute atmosphère, contrairement à des cendres volcaniques. La fumée des incendies a par contre réussi à influencer la météo en modifiant la circulation des vents. Et c'est justement la direction des vents qui modifie les courants océaniques et permet ensuite aux eaux du Pacifique de se refroidir, menant au phénomène La Niña.