Un groupe de géochimistes pense avoir découvert au Canada des roches ignées provenant d’un réservoir mantélique qui serait resté inchangé depuis le très jeune âge de la Terre, lorsqu'elle n'avait que quelques dizaines de millions d’années.

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    La tectonique des plaques et les mouvementsmouvements de convectionconvection à l'intérieur de la Terre rendent très difficile la conservation d'archives géologiques datant de la période de l'Hadéen, lorsque la Terre subissait encore d'intenses bombardements météoritiques. Il semblerait toutefois que des roches datées d'environ 4,28 milliards d'années aient bel et bien été retrouvées dans baie de Hudson, au niveau de la ceinture verte du Nuvvuagittuq.

    Les laves qui viennent d'être trouvées sur l'île de Baffin et la côte ouest du Groenland ne sont pas aussi vieilles. Mais selon un groupe de chercheurs, dont Richard Carlson de l'Institut Carnegie, elles proviendraient d'un réservoir mantélique formé dans le manteau terrestre il y a 4,55 à 4,45 milliards d'années, comme ils l'expliquent dans un article de Nature.

    Le message de l'hélium

    Pour parvenir à cette conclusion, les chercheurs ont fait appel à la puissance de la géochimie isotopique et en particulier à l'un des isotopesisotopes de l'héliumhélium, connu pour être une clé de l'histoire de la Terre, l'hélium 3. Les géochimistes se sont plus particulièrement intéressés au rapport 3He/4He dans les roches ignéesroches ignées datées du cénozoïquecénozoïque, c'est-à-dire plus jeunes que celles datant de la disparition des dinosauresdinosaures, il y a 65 millions d'années.

    Les laves collectées sur l'île de Baffin et la côte ouest du Groenland sur lesquelles on a mesuré ce rapport proviennent d'une grande profondeur à l'intérieur de la Terre. Elles correspondent en effet aux premières manifestations du point chaudpoint chaud de l'Islande, à l'origine des spectaculaires images des éruptions de l'Eyjafjöll. Rappelons qu'un point chaud est parfois issu de la remonté d'un panache de matièrematière chaude existant dans le manteau inférieur, juste au-dessus du noyau de la Terrenoyau de la Terre. Sous l'effet de la décompression, cette matière fond en partie à l'approche de la surface pour donner du magmamagma.

    Un rapport élevé en 3He/4He indiquerait que le magma dont sont issues ces laves est très proche de celui ayant la composition initiale du manteau de la Terre, avant que celui-ci ne subisse un dégazagedégazage libérant ces gazgaz rares qui, légers, ont majoritairement quitté la planète.

    Formé par l'accrétionaccrétion de matériaux météoritiques d'origine principalement chondritique, le manteau a vu sa composition évoluer au cours du temps. Sa partie supérieure est riche en éléments radioactifs et leur désintégration a contribué à maintenir une certaine quantité d'hélium 4 mais pas d'hélium 3.

    Selon certains géologuesgéologues, ce rapport ne serait aujourd'hui élevé que dans des zones très profondes du manteau inférieur restées inchangées. Cela expliquerait bien les observations réalisées dans les laves des points chauds formant des îles comme l'Islande ou Hawaï.

    Dans le cas des roches examinées par les chercheurs, des rapports isotopiques des isotopes du plombplomb ainsi que ceux du néodymenéodyme, plus précisément 143Nd/144Nd, sont consistants avec une source mantélique âgée de 4,55 à 4,45 milliards d'années. Cela ferait donc bien de ces laves des fenêtresfenêtres sur l'histoire très primitive de la Terre.

    Une remise en cause de l'histoire précoce de la Terre

    Ainsi de nombreux chercheurs pensaient que la composition chimique du manteau était initialement semblable à celle des météoritesmétéorites appelées chondriteschondrites. L'extraction des éléments légers aurait formé ensuite la croûte continentalecroûte continentale. Cette formation des continents aurait modifié la chimiechimie du manteau, amenant un appauvrissement en certains éléments dit incompatibles.

    Rappelons que lorsqu'un magma cristallise partiellement, la composition chimique des cristaux et celle du magma résiduel ne sont pas identiques. En particulier, certains éléments comme le ferfer ont tendance à se concentrer dans le magma et à se raréfier dans le solidesolide. On parle d'éléments incompatibles. De ce fait, une partie importante de certains éléments initialement répartis de manière homogène dans la Terre ont migré lors de sa différentiationdifférentiation.

    « Nos résultats mettent en question cette hypothèse, affirme Carlson. Ils suggèrent qu'avant l'extraction des continents, le manteau était déjà appauvri en éléments incompatibles par rapport aux chondrites, peut-être en raison d'une différenciation de la Terre précoce, ou peut-être parce que la Terre a été formée de blocs de constructionsconstructions appauvris en ces éléments. »

    Sur les deux possibilités, Carlson favorise la différenciation précoce, ce qui impliquerait un océan de magma mondial sur la Terre nouvellement formée. Cette massemasse superficielle de magma aurait produit une croûte qui existait avant la croûte actuelle. « Dans notre modèle, une croûte primitive a été formée par la solidificationsolidification de l'océan de magma. Instable à la surface de la Terre parce qu'elle était riche en fer, elle a fini par couler, emportant des éléments incompatibles avec elle jusqu'à la base du manteau, où certains vestiges demeureraient aujourd'hui. »

    Or, les études sismologiques du manteau profond révèlent certaines zones, l'une sous le Pacifique Sud et une autre sous l'Afrique, qui semblent être fondues et, éventuellement, chimiquement différentes du reste du manteau. « Je nourris l'espoir que ces zones identifiées et localisées grâce aux ondes sismiquesondes sismiques pourraient être les vestiges du manteau primitif contenant les éléments incompatibles précédents » ajoute Carlson.