Si le mot « fjord » nous fait tout de suite penser à la Norvège, une équipe de géologues vient pourtant de retrouver des traces de ces grandes vallées sculptées par les glaciers dans une tout autre région du monde : la Namibie. Ces paléo-fjords nous permettent d’en savoir plus sur l’avant-dernière glaciation qu’a connue la Terre, mais également sur le rôle que jouent les fjords dans le cycle du carbone et la régulation du climat.


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    Les fjords sont généralement caractérisés par des vallées étroites aux falaises élevées incisant la côte, envahies par la mer. Ils marquent le paysage littoral des pays situés dans les hautes latitudes, comme la Norvège, témoignant de la dernière glaciation qu'a connue la Terre. Ces grandes vallées résultent du travail d'abrasionabrasion des glaciers dans le socle continental. Elles représentent donc des sites précieux pour comprendre la dynamique des glaciers durant les grandes périodes de glaciation. Mais ce n'est pas tout. Les fjords sont également des centres de dépôts sédimentaires très importants. De ce fait, ils jouent un rôle majeur pour le stockage du carbone organique et ont donc la capacité d'influencer le climat. Leur étude est donc essentielle pour comprendre l'évolution du climat terrestre au cours des temps géologiques. Cependant, il existe peu d'exemples de fjords datant de l'ère pré-CénozoïqueCénozoïque, qui permettraient d'étudier les glaciations antérieures à la dernière glaciation du QuaternaireQuaternaire ayant modelé les fjords norvégiens. La rareté des paléo-fjords serait à associer à leur morphologiemorphologie, qui les rend particulièrement sujets à l'érosion.

    Des traces d’anciens fjords en Namibie

    Cependant, une équipe de chercheurs menée par Pierre Dietrich de l'université de RennesRennes a découvert tout un réseau de paléo-fjords sur la côte nord-ouest de la Namibie. Ces fjords se sont formés durant l'avant-dernier épisode glaciaire datant de la fin du PaléozoïquePaléozoïque. Cette période a duré de -360 à -260 millions d'années, ce qui en fait une glaciation particulièrement longue dans l'histoire de la Terre. À cette époque, la Namibie faisait partie du supercontinent Gondwana. « Il s'agit du premier exemple de fjords fossilesfossiles intégralement préservés », explique Pierre Dietrich. « Le paysage désertique du nord de la Namibie est en réalité un paléo-paysage glaciaire ! »

    Cette grande vallée aride de Namibie est en fait un ancien fjord datant de la glaciation de la fin du Paléozoïque. © Pierre Dietrich, Université de Rennes
    Cette grande vallée aride de Namibie est en fait un ancien fjord datant de la glaciation de la fin du Paléozoïque. © Pierre Dietrich, Université de Rennes

    Le réseau de paléo-fjords de Namibie se caractérise aujourd'hui par des vallées incisant une série de plateaux. Ces vallées, occupées désormais par des rivières, sont larges de 1 à 5 kilomètres et font 80 à 130 kilomètres de long. Leur passé glaciaire ne fait pas de doutes pour les géologues : leur fond ainsi que leurs flancs sont marqués par les traces du passage des anciens glaciers. Stries et rayures, ainsi que diverses marques de frottement et d'abrasion de la glace, marquent les roches du socle. Ces traces permettent d'ailleurs d'établir le sens d’écoulement de l’ancienne masse glaciaire. Les chercheurs ont également trouvé des sédimentssédiments glaciogéniques datant d'environ 300 millions d'années, composés de nombreux débris rocheux. Grâce à ces témoins de la glaciation ainsi qu'aux sédiments post-glaciaires les surmontant, les géologuesgéologues ont pu reconstruire la dynamique de la couverture glaciaire de l'époque.

    Le passage des glaciers a laissé de nombreuses traces, comme les stries visibles sur les flancs de cet ancien fjord. © Pierre Dietrich, Université de Rennes
    Le passage des glaciers a laissé de nombreuses traces, comme les stries visibles sur les flancs de cet ancien fjord. © Pierre Dietrich, Université de Rennes

    Une couverture glaciaire de presque deux kilomètres d’épaisseur

    La profondeur des incisions, avec des fjords atteignant jusqu'à 1,7 kilomètre de profondeur, ainsi que la présence de nombreux et imposants blocs erratiquesblocs erratiques, impliquent la présence d'une couverture glaciaire recouvrant totalement les vallées durant la première phase de glaciation. L'épaisseur de glace aurait ainsi dépassé 1,7 kilomètre. La glace s'écoulant dans ces vallées aurait été alimentée par une grande calotte située plus à l'est. Cette phase de maxima a été suivie par une diminution de l'épaisseur de la glace. Il n'est pas exclu que cette période glaciairepériode glaciaire ait été marquée par plusieurs cycles de maxima-minima, pour finir par la fontefonte totale de la glace et l'invasion de la mer dans les fjords. « Les fjords contrôlent d'ailleurs très fortement la stabilité des calottes parce qu'ils drainent la glace depuis les calottes vers des régions où la glace fond et se désintègre. Plus il y a de glace qui flue, plus les fjords s'élargissent sous l'effet de l'érosion, ce qui augmente l'effet de drainagedrainage des fjords. Au fil du temps, les calottes deviennent ainsi de plus en plus sensibles aux variations climatiques », ajoute Pierre Dietrich.

    Carte retraçant le tracé des paléo-fjords de Namibie. © Joshua Stevens, Pierre Dietrich, <em>Nasa Earth Observatory</em>
    Carte retraçant le tracé des paléo-fjords de Namibie. © Joshua Stevens, Pierre Dietrich, Nasa Earth Observatory

    L'étude des paléo-fjords de Namibie permet également de mieux comprendre le changement climatiquechangement climatique radical qui s'est opéré entre la glaciation de la fin du Paléozoïque et le réchauffement continu qui a suivi. Ces paléo-fjords, de même que ceux localisés aujourd'hui en Amérique du Sud et en Afrique du Sud, ont pu faciliter le dépôt et le stockage sur le long terme du carbonecarbone organique. L'enfouissement de grandes quantités de matériel organique dans les vallées glaciaires pourrait notamment avoir contribué à une baisse du CO2 atmosphérique au début du PermienPermien. Cet état de fait aurait permis de réguler en partie le réchauffement associé à l'affaiblissement des grands réservoirs de carbone du Carbonifère.

    Les résultats de cette étude, publiée dans la revue Geology, montrent l'importance de la géomorphologiegéomorphologie et de la sédimentologie pour reconstruire les climats et les dynamiques glaciaires du passé.