Une nouvelle année commence. Dans un monde qui peut sembler de plus en plus à la dérive, même aux plus optimistes d’entre nous. Alors pour retrouver un peu d’espoir, Futura a souhaité rencontrer Jane Goodall. Elle partage avec nous ses expériences de vie et nous livre ses impressions sur le monde. 


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    Une pandémiepandémie qui n'en finit pas. Des tensions qui s'exacerbent. Un climat qui part en vrille. En ce début d'année 2022, pour la première fois, je le reconnais, je me suis sentie réellement démunie. Impuissante. Et puis... une étincelle a rallumé le feufeu ! Cette rencontre avec Jane GoodallJane Goodall. Toujours aussi solaire. Toujours aussi forte. À presque 88 printemps, maintenant. Une grande dame. « Ensemble, nous pouvons bâtir un avenir meilleur. Un avenir dans lequel les Hommes et les autres animaux seront respectés, non pas pour ce qu'ils peuvent donner, mais bien pour ce qu'ils sont », lance-t-elle tout naturellement au détour de la conversation. Sans se douter qu'elle vient de me toucher en plein cœur.

    Le saviez-vous ?

    Jane Goodall est ce que l’on pourrait appeler une « self made woman ». Elle n’a pas eu l’occasion de faire des études scientifiques. Pourtant, sa passion pour les animaux a fait d’elle l’une des éthologues les plus respectées de la planète.

    J'ose même maintenant imaginer qu'elle et moi, nous avons quelques points communs. D'abord, celui de croire en l'humanité. En « la force indomptable de l'esprit humain qui jamais n'abandonnera ». De croire aussi, en la nature et en son formidable potentiel de résiliencerésilience. Et lorsque la douce Jane Goodall évoque pour moi son enfance, la boucle est bouclée. Je me sens définitivement connectée à elle.

    « Rusty », se souvient-elle, « il était le chien de l'hôtel au coin de la rue. Je passais tout mon temps à ses côtés. » Avec lui, pas de tableau noir, pas de devoirs, pas de notes. Juste le plaisir. « Il a été l'un de mes plus grands professeurs. C'est grâce à lui que j'ai découvert que les animaux ont une personnalité, un esprit et des sentiments propres. » Grâce à lui et à une qualité qui a peut-être tendance à faire un peu défaut dans le monde d'aujourd'hui, la patience.

    En vivant dans la forêt, au milieu des chimpanzés, Jane Goodall a réalisé son rêve. © Jane Goodall Institute, Derek Bryceson
    En vivant dans la forêt, au milieu des chimpanzés, Jane Goodall a réalisé son rêve. © Jane Goodall Institute, Derek Bryceson

    Dans la forêt avec les chimpanzés

    Jane Goodall, je la connaissais simplement jusque-là comme cette jeune femme qui, dans les années 1960, bien avant que je n'ouvre les yeuxyeux sur ce monde, avait bouleversé le regard que l'humanité posait sur les animaux. À force de beaucoup de patience - eh oui, on y revient -, elle avait réussi à gagner la confiance de chimpanzés sauvages. Et à observer comment ils savaient utiliser des outils. Une véritable révolution philosophique pour l'époque. « Même si je me sentais tout à fait dans mon élément, cela n'a pas été évident. Au début, je ne pouvais même pas m'approcher des chimpanzés. Ils me considéraient sans doute comme "un grand singe blanc sans poil" », ironise Jane. « Alors, quand j'ai finalement vu l'un d'eux en train de planter une brindille dans un trou puis de le retirer, couvert de termites qu'il voulait manger, je ne pouvais pas y croire. J'ai attendu d'observer d'autres chimpanzés faire de même pour en parler. » Une sage attitude dont certains pourraient aujourd'hui encore prendre de la graine.

    Mais si Jane Goodall est partie à la rencontre des chimpanzés, dans ce qui est aujourd'hui la forêt de Tanzanie, ce n'était pas avec l'idée de faire une découverte extraordinaire. « C'est vraiment arrivé par hasard », m'assure-t-elle avec une modestie qui l'honore. « Ce que j'espérais, c'était juste vivre un peu plus en connexion avec la nature. Il y a eu des moments difficiles. Lorsque j'ai assisté à des épisodes de violences de la part des chimpanzés. Mais j'ai vraiment passé dans les forêts de Gombe quelques-unes des meilleures années de ma vie. J'en garde des souvenirs merveilleux. Comme ce jour où Flint, le petit de Flo - une femelle dominante d'une cinquantaine d'années que j'aimais particulièrement - qui, à environ cinq mois savait tout juste marcher et s'est approché de moi pour toucher mon neznez. Sous le regard nerveux et protecteur de sa maman. Un instant tout simplement magique ! » Qui a mis Jane Goodall sur la voie d'une autre découverte, tout aussi chère à son cœur de maman. Une découverte vérifiée sur quatre générations de chimpanzés et qui montre à quel point l'attention d'au moins un adulte - pas nécessairement la mère biologique - dans la toute petite enfance peut impacter positivement toute la vie d'un enfant. Qu'il soit chimpanzé ou humain ne change sans doute rien à la donne.

    Flo avec le petit Flint sur son dos. © Jane Goodall Institute, Hugo van Lawick
    Flo avec le petit Flint sur son dos. © Jane Goodall Institute, Hugo van Lawick

    Des Hommes et des animaux

    « Nous avons encore trop tendance à oublier que nous faisons partie intégrante du règne animal. Que l'Homme n'est qu'un animal parmi les autres. Et malgré une intelligenceintelligence à nulle autre pareille, nous en arrivons aujourd'hui à détruire notre Terre. Notre maison. La seule que nous ayons », s'étonne Jane Goodall. « C'est à ce mépris que nous témoignons à notre Planète que nous devons les pertes de biodiversité que rapportent les chercheurs et le changement climatiquechangement climatique aussi. J'aimerais que chacun d'entre nous comprenne certes que nous avons tous un impact sur la Terre, mais surtout, que nous avons la possibilité de changer les choses. Le choix de limiter notre empreinte... »

    Depuis le début de la crise sanitairecrise sanitaire, « bloquée » dans la demeure où elle a grandi, en Angleterre, Jane Goodall ne relâche pas ses efforts. « La "digitaldigital Jane" est peut-être même encore plus connectée au monde que jamais. Et ses échanges avec des gens du monde entier lui donnent l'espoir que nous pouvons encore agir. » Un sentiment d'optimisme qu'elle partage d'ailleurs avec nous dans son livre paru aux Éditions Flammarion en octobre dernier... « Le livre de l'espoir ».

    Ce que la sagesse de cette grande dame nous recommande à tous, c'est de nous interroger avant de consommer. De nous demander, avant chaque achat, si son faible coût est lié à une forme d'esclavagisme ou si les matièresmatières premières utilisées sont nocives pour l'environnement. Ou encore, s'il a généré de la souffrance animale. « Si la réponse à une seule de ces questions est oui, n'achetez pas ! Je suis moi-même devenue végétariennevégétarienne lorsque j'ai pris conscience des émotions qui se cachaient derrière ce morceau de viande, dans mon assiette. La peur, la douleurdouleur. Et c'est sans parler des ressources qu'il faut mobiliser pour produire cette viande. L'eau, les terres, l'énergieénergie. Décider de réduire sa consommation de viande, c'est vraiment parmi les engagements les plus forts qu'un individu peut prendre pour la planète. »

    Pour protéger les animaux, Jane Goodall en est convaincue, il faut travailler en étroite collaboration avec les populations locales. © Brenda Miremba, JGI Uganda
    Pour protéger les animaux, Jane Goodall en est convaincue, il faut travailler en étroite collaboration avec les populations locales. © Brenda Miremba, JGI Uganda

    Changer nos habitudes

    Mais devenir végétarien ne suffira pas à protéger la biodiversité. « Mon lien avec la nature m'a appris que pour protéger les animaux sauvages, il faut protéger leur habitat, généralement la forêt. Et collaborer avec les populations locales. » C'est pourquoi le Jane Goodall Institute - dont les actions sont à découvrir, entre autres ici, sur le site de son antenne française - s'attache à travailler avec elles. « Comment voulez-vous que les populations se soucient de la protection des chimpanzés et de la forêt si elles ne savent pas comment nourrir leur famille, comment survivre ? »

    Tout est lié

    Ainsi le programme Tacare - pour Lake Tanganyika Catchment Reforestation and Education, mais vraisemblablement un joli jeu de mots avec l'anglais « take care » qui signifie « prenez soin de vous » -, par exemple, œuvre, depuis 1994 déjà, non seulement à la protection de la faunefaune sauvage et de l'environnement, mais aussi au développement économique et social des populations locales. « Une approche holistique qui permet d'avoir un impact important sur le terrain, pour tous les animaux - y compris les Hommes - et la nature. » Jane Goodall en est convaincue. « Car tout est lié. »

    C'est pour cela, par exemple, que Jane Goodall a tout de suite été « emballée » par le projet de Cyril Dion. Ce film, « Animal », qui montre les dégâts que nous avons causés sur notre Planète. Mais qui raconte surtout des histoires inspirantes et nous emmène à la rencontre de personnalités formidables. « Nous avons parfois le sentiment que les choix que nous faisons au quotidien sont insignifiants face à des problèmes qui touchent la planète entière. Mais c'est faux ! Collectivement, ces choix peuvent faire la différence. Je veux encourager chacun d'entre vous à faire sa part. Si petite soit-elle. Parce que même si je ne crois que peu en la capacité des politiques à changer, je crois très fort en la nôtre à prendre enfin les choses en main. »