Depuis 2015, l’ensemble des départements français ont entamé une vaste cartographie des cours d’eau. Si à l’origine ce projet semblait partir d’un bon sentiment, avec l’objectif de mieux connaître et préserver le réseau hydrologique français, le résultat est plutôt édifiant… à cause d’un trop grand flou dans la définition de ce qu’est un cours d’eau, de nombreux ruisseaux se voient en effet rayés de la carte… quittant ainsi la protection que leur assurait la loi.
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Tout est dans le titre. « Une cartographie réglementaire incohérente menace les rivières et les ruisseaux Français. » Avec cet article publié initialement dans la revue Environmental Science and Technology et traduit sous la forme d’un rapport disponible en ligne, trois chercheurs de l'Inrae (Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement) harponnent directement un projet de cartographie du réseau fluviatile français. Ou tout du moins, sa mise en œuvre.
Une définition trop vague qui laisse une trop grande marge d’interprétation
En 2015, l'État décide en effet de cartographier l'ensemble des cours d'eau sur le territoire, département par département. Cette décision fait suite à une révision de la définition formelle de ce qu'est un cours d'eau. Cette définition, jusque-là manquante dans le Code de l'environnement français, visait à clarifier la situation notamment pour apaiser les tensions existantes entre la police de l'eau, les agriculteurs et les municipalités. La définition affirme ainsi qu'un cours d'eau doit :
- posséder un lit d'origine naturelle ;
- être alimenté par une source autre que les précipitations seules ;
- avoir un débit suffisant une majeure partie de l’année ».
Ce dernier point laisse donc entendre que l'écoulement peut être intermittent. Quand on regarde autour de soi, on se rend en effet bien compte qu'en fonction des conditions climatiques, de nombreux cours d'eau ne coulent pas toute l'année, notamment les plus petits.
Mais alors que cette définition visait à clarifier les choses sur le terrain, elle a plutôt eu un effet inverse. Car qu'entend-on par « débitdébit suffisant » ? Ce flou s'est naturellement répercuté sur le projet de cartographie réglementaire. Il pourrait d'ailleurs avoir un impact majeur sur de nombreux écosystèmes.
Un quart des cours d’eau a disparu des radars
La cartographie des cours d'eau a en effet été déléguée à des agences gouvernementales comme l'Office français de la biodiversité, mais aussi aux agriculteurs ou aux syndicats agricoles, l'objectif étant de s'assurer l'adhésion des parties prenantes dans cette affaire. Or, près de 10 ans plus tard, le résultat de cette démarche est très préoccupant. En compilant l'ensemble des cartes départementales afin d'obtenir une carte nationale des cours d'eau, les chercheurs de l'Inrae se sont rendu compte que cette cartographie avait en effet été réalisée de façon très incohérente sur l'ensemble du territoire. Une incohérence qui est liée principalement à l'interprétation même de ce qu'est un cours d'eau, notamment sur la question de l'intermittence de l'écoulement.
Ainsi, si certains départements semblent avoir cartographié l'ensemble des petits ruisseaux, obtenant ainsi une très forte densité de cours d'eau, d'autres départements (parfois voisins) ont disqualifié ces mêmes ruisseaux, les référençant comme de simples « fossés ». Certains cours d'eau semblent ainsi s'arrêter net au niveau de la frontière départementale ! Les chercheurs estiment ainsi que sur l'ensemble du territoire, environ un quart (en longueur) des cours d'eau précédemment cartographiés a ainsi disparu des cartes hydrographiques. Et cela pose un réel problème.
Une disqualification qui porte préjudice à l’ensemble du réseau hydrographique
Car ces petits ruisseaux intermittents, très nombreux et souvent situés en altitude, sont essentiels à l'ensemble du réseau hydrographique. De plus, ils abritent souvent des écosystèmes très vulnérables. Mais en étant disqualifiés comme non-cours d'eau, ils ne sont plus soumis à la protection dont ils bénéficiaient jusque-là au titre de la Loi sur l’eau. Plus aucune réglementation ne leur est donc appliquée, en ce qui concerne notamment le pompage ou l'épandageépandage de pesticides, qui est normalement interdit dans un certain périmètre.
La disqualification de ces cours d'eau pourrait donc entraîner leur dégradation. Étant généralement situés en amont du réseau hydrographique, leur détérioration pourrait donc se répercuter sur de nombreuses rivières situées en aval. Les chercheurs notent d'ailleurs que cette disqualification est plus prononcée dans les bassins à forte couverture agricole. Les syndicats agricoles, fortement mobilisés dans cette campagne de cartographie, sont ici clairement montrés du doigt.
Or, comme le disent les chercheurs dans leur article : « l'effacement d'un cours d'eau sur une carte réglementaire peut se traduire par son effacement réel du paysage en le rendant vulnérable au remblaiement, au creusement de fossés, à la constructionconstruction de barrages ou aux prélèvements d'eau ».
Dans un monde où l’eau douce de qualité devient une denrée rare, et où la préservation des rivières devient essentielle, ce type de résultat peut avoir des conséquences désastreuses. L'étude met en lumièrelumière les effets totalement contre-productifs d'une décision a priori en faveur de l'environnement et révèle la nécessité de mettre en place un cadre réglementaire précis et cohérent, qui ne laisse pas de place à l'interprétation par des parties prenantes.