Ma première rencontre avec le castor remonte à une vingtaine d’années et doit beaucoup au hasard. Alors que je plongeais dans le Rhône, un trou sous la berge d’où s’échappait un petit nuage de particules avait retenu mon attention. En mettant la tête dans cette cavité, je m’étais alors retrouvé nez à nez avec ce gros rongeur. Un face à face de plusieurs dizaines de secondes qui resta longtemps gravé dans ma mémoire.


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    Ce n'est pourtant que bien plus tard que je pus réitérer cette incroyable expérience. En effet, pour avoir la chance de pouvoir approcher ce sympathique animal dans son milieu naturel, il faut avant tout bien connaître ses habitudes.     

    Rencontre avec le plus gros rongeur d’Europe. © Rémi Masson, tous droits réservés
    Rencontre avec le plus gros rongeur d’Europe. © Rémi Masson, tous droits réservés

    Quel est son mode de vie et d'alimentation ?

    Le castor est exclusivement herbivore et sa nourriture se compose de feuilles, de plantes herbacées, de bourgeons et de l'écorce des arbres qu'il détache facilement grâce à ses puissantes incisives à croissance continue. Il lui arrive aussi d'abattre complètement des arbres, ce qui lui donne accès aux délicieux et tendres rameaux des frondaisons qui font son bonheur. Courageux, il n'hésite pas à s'attaquer à des arbres de plus d'un mètre de circonférence qu'il sculpte en tournant autour du tronc jusqu'à réduire la base à un cylindre d'une vingtaine de centimètre de diamètre. Par prudence, il cesse alors de le ronger, laissant le soin au vent ou à la simple force de gravitégravité de finir le travail.

    Le castor mange le plus souvent directement dans l’eau ou à proximité immédiate de celle-ci. © Rémi Masson, tous droits réservés
    Le castor mange le plus souvent directement dans l’eau ou à proximité immédiate de celle-ci. © Rémi Masson, tous droits réservés

    Le castor n'hiberne pas et reste donc actif toute l'année. Il réalise parfois aussi des provisions de branches coupées qu'il garde en réserve pour les périodes de disette hivernale. Les écorces constituent en effet sa seule nourriture pendant la mauvaise saison.

    Castor avec une provision de branches de saule, l'un de ses plats préférés ! © Rémi Masson, tous droits réservés
    Castor avec une provision de branches de saule, l'un de ses plats préférés ! © Rémi Masson, tous droits réservés

    Ces branches qui apparaissent blanches ou jaunâtres une fois privées de leur écorce sont généralement assez faciles à découvrir car elles se détachent nettement sur le fond sédimenteux des cours d'eau, d'autant qu'elles se trouvent le plus souvent près du bord ou immergées à faible profondeur.

    Où peut-on l’observer ?

    Il y a encore relativement peu de temps, observer un castor dans son milieu naturel relevait de l'exceptionnel. En effet, pourchassé pour sa fourrure, son castoréum (substance huileuse sécrétée par des glandesglandes situées à la base de la queue lui servant à délimiter son territoire mais aussi utilisée en pharmacologie et pour la confection de certains parfums) et même pour sa viande, ce gros rongeur est passé tout près de l’extinction.

    Heureusement, dès le début du XXe siècle, un premier statut de protection suivi d'autres mesures vont permettre d'éviter le pire. Des programmes de réintroduction ont ensuite permis de relever ses effectifs et son retour dans les régions où il avait disparu. Sa sauvegardesauvegarde a été un véritable succès, si bien qu'il est maintenant bien présent en France, notamment en vallée du Rhône où se trouvaient les dernières populations résiduelles. Aujourd'hui, on estime la population française de castors à environ 15.000 individus.

    Castor sortant de son terrier hutte dont l’entrée s’ouvre toujours sous l’eau. © Rémi Masson, tous droits réservés
    Castor sortant de son terrier hutte dont l’entrée s’ouvre toujours sous l’eau. © Rémi Masson, tous droits réservés

    Cette réussite s'explique aussi par l'image positive véhiculée par ce gros rongeur auprès du public. Peu farouche, il n'hésite d'ailleurs pas à s'installer au cœur même de grandes villes pour peu qu'il trouve sur place un habitat favorable.

    Ceci étant dit, l'habitat de prédilection du castor reste les fleuves et les rivières sauvages. Les annexes fluviales telles que les bras morts, anciens méandres d'un cours d'eau encore reliés ou non à la partie active et alimentés en partie par la nappe phréatiquenappe phréatique, sont également particulièrement appréciées.

    Castor de retour à son terrier. © Rémi Masson, tous droits réservés 
    Castor de retour à son terrier. © Rémi Masson, tous droits réservés 

    Si l'animal en lui-même est difficile à observer, les traces de son activité sont, elles, des plus visibles, notamment en hiverhiver, lorsque les végétaux sont réduits au minimum et l'espace plus ouvert. Au niveau de la ripisylveripisylve, cette bande de végétation large de quelques mètres qui borde le cours d'eau, les arbres taillés en crayon sont des indices remarquables de sa présence sur les lieux. Les berges terreuses laissent aussi souvent voir, notamment lorsqu'elles sont fortement pentues, les petits sentiers qu'il utilise pour entrer ou sortir de l'eau. Il est même possible parfois d'apercevoir les stries laissées par ses griffes lors de ses déplacements. Au printemps, ses crottes sont aussi facilement reconnaissables, au fond de l'eau, lorsque la végétation aquatique n'est pas encore très développée.

    Il joue un rôle important pour la biodiversité

    Le castor est un architectearchitecte qui joue un rôle important dans l'écosystèmeécosystème car son activité de bûcheron fournit de nouveaux habitats favorables à nombre d'espècesespèces. En rivière ou fleuve, les branchages immergés qui s'accumulent le long de la berge font barrage au courant et servent ainsi de nurserie pour les alevinsalevins et d'abri pour de nombreux poissons, dont quelques carnassiers comme les brochetsbrochets et perches. Les carpescarpes raffolent, elles aussi, de ces lieux rassurants aux mille et un recoins et n'hésitent pas à trouver refuge à l'entrée des terriers de castor.

    Un beau peuplier taillé en crayon, un indice de présence du castor des plus faciles à identifier. © Rémi Masson, tous droits réservés 
    Un beau peuplier taillé en crayon, un indice de présence du castor des plus faciles à identifier. © Rémi Masson, tous droits réservés 

    Sur la terreterre ferme, il limite aussi l'effondrementeffondrement des berges car les arbres coupés ne meurent pas. Ils font des rejets et s'enracinent ensuite plus profondément et plus solidement. En France, en revanche, il est relativement rare qu'il construise des barrages, contrairement à son cousin d’Amérique qui en a fait sa spécialité. Il lui arrive cependant d'en faire sur de petits cours d'eau afin d'en augmenter la profondeur. 

    En France, les barrages de castor sont peu fréquents. Ils concernent surtout des petits cours d’eau peu profonds. © Rémi Masson, tous droits réservés
    En France, les barrages de castor sont peu fréquents. Ils concernent surtout des petits cours d’eau peu profonds. © Rémi Masson, tous droits réservés

    Le castor utilise aussi souvent des branches coupées pour protéger l'entrée immergée de son terrier qui se compose d'un couloir menant à une pièce principale où se reposent la journée les membres de la famille castor.

    La queue, c’est un peu le couteau suisse du castor. Elle lui sert à la fois de gouvernail, de réserve de graisse et d’échangeur thermique. En cas de danger, il la frappe violemment à la surface de l’eau pour prévenir ses congénères. © Rémi Masson, tous droits réservés
    La queue, c’est un peu le couteau suisse du castor. Elle lui sert à la fois de gouvernail, de réserve de graisse et d’échangeur thermique. En cas de danger, il la frappe violemment à la surface de l’eau pour prévenir ses congénères. © Rémi Masson, tous droits réservés

    Cette famille compte en moyenne entre 2 et 6 individus. Elle est composée des parents, du ou des jeunes âgés d'un an et du ou des petits de l'année.

    La reproduction a lieu de janvier à mars et les petits naissent à la fin du printemps. Chaque famille occupe un territoire précis et parfois étendu (jusqu'à 3 km de linéaire). Les jeunes castors restent deux ans avec leurs parents. Au cours de la deuxième année, ils participent à l'apprentissage des petits puis, arrivés à leur deuxième anniversaire, ils sont priés de partir se trouver leur propre territoire, de force si besoin.

    Protégeons le castor, un animal fascinant qui œuvre pour la biodiversité. © Rémi Masson, tous droits réservés
    Protégeons le castor, un animal fascinant qui œuvre pour la biodiversité. © Rémi Masson, tous droits réservés

    Si les prédateurs naturels du castor (ours, loup, lynx...) ont disparu ou presque, d'autres ennemis guettent ce gros rongeur. Du point de vue biologique, du fait de sa taille (environ 1,20 m pour une vingtaine de kilos), seuls les chienschiens errants peuvent l'inquiéter. En revanche, les crues peuvent se révéler très meurtrières, notamment au printemps lorsque les eaux de pluie se combinent à celles issues de la fontefonte de la neige en montagne, période qui correspond aussi à celle de naissance des petits castors. Son espérance de vieespérance de vie serait en moyenne d'une vingtaine d'années.

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    « Silure curieux, venant me rendre visite tandis que l'on distingue derrière lui un rassemblement de silures dans le fleuve Rhône. Ce phénomène spectaculaire qui peut réunir pas loin d'une centaine de poissonspoissons constitue la plus importante massemasse de poissons d'eau douceeau douce rassemblés jamais décrite au monde. » 

    Ce phénomène de rassemblement de silures a été filmé et a donné lieu à la première étude scientifique au CNRS. Ce silure glane est le plus gros poisson d’eau douce d'Eurasie, il appartient à la famille des Siluridae qui en compte 16 espècesespèces. Il est considéré comme une des espèces invasives, provenant des eaux du Danube, et introduite dans les années 1980, pour la pêchepêche de loisirs, dite sportive : un spécimen de 2,75 mètres a été recensé en 2017, dans le Tarn. Le silure n'a pas un physiquephysique facile. Malgré son caractère plutôt placide, ce mastodonte d'eau douce, dont le poids pour les plus gros peut dépasser les 100 kilos, est surtout un super prédateur qui vit en groupe, au fond des eaux, se cachant sous des branchages ou dans des herbes, en attendant sa proie à la tombée du jour.

    Son énorme tête plate, représentant un tiers de son poids, porteporte six barbillonsbarbillons, dont deux très longes et mobilesmobiles, qui agissent comme des antennes lui servant à localiser une éventuelle proie, même enfouie sous la vase, ou tout mouvementmouvement à 10 mètres. Ce poisson carnassier peut vivre jusqu'à 40 ans et intrigue les scientifiques en raison de sa formidable capacité d'adaptation aux différents milieux qu'il colonise et des évolutions de son espèce : dernièrement, les silures glanes ont été observés guettant des pigeons sur le bord des berges d'une rivière et sortant de son milieu, l'eau, pour les attraper... Un prédateur très opportuniste !

    © Rémi MassonRémi Masson, tous droits réservés, Futura