La campagne de forages au fond du cratère géant de Chicxulub au Yucatàn (Mexique) est terminée et les résultats tombent. Il y a environ 65 millions d'années, les conséquences de cet impact d'astéroïde ont décimé de nombreuses espèces, dont les dinosaures non-aviens. Grâce à ces études en profondeur, on commence à mieux comprendre les mécanismes qui se déroulent durant le temps très court de la catastrophe. Les planétologues ont sans doute de quoi mieux expliquer les cratères qu'ils observent sur d'autres corps du Système solaire.

au sommaire


    Voici enfin les premiers résultats de l'expédition IODP/ICDP 364 dédiée à l'étude du mythique cratère de Chicxulub à l'aide de forages effectués en mer d'avril à mai 2016. Ils ont fourni 303 carottes d'une longueur totale de 835 m, correspondant à une épaisseur de roches comprise entre 506 et 1.335 m sous le fond de l'océan. Leurs analyses viennent d'être publiées dans un article du journal Science. C'est l'œuvre d'une équipe internationale d'une trentaine de spécialistes des géosciences, parmi lesquels figurent des chercheurs du CNRS, d'Aix-Marseille Université et de l'université de Bourgogne.

    Rappelons que l'un des objectifs majeurs de cette expédition était de réaliser le premier forage dans l'anneau central (ou « peak ring ») d'un cratère d'impact météoritique. Des structures de ce type sont observées au cœur de grands cratères d'impact à la surface des planètes rocheusesplanètes rocheuses du Système solaireSystème solaire mais le mécanisme de leur formation n'est pas encore bien compris. Les échantillons de roches devraient nous aider à y voir plus clair et finalement à mieux déchiffrer les archives de l'histoire de ces planètes.


    La plateforme de forage de l'expédition IODP/ICDP 364. © Dosecc Exploration Services LLC

    Pour le moment, on a découvert que le peak ring de Chicxulub est majoritairement constitué de roches granitiques, mélangées à de la roche fondue, qui ont été non seulement choquées mais aussi déplacées de plusieurs kilomètres vers la surface lors de l'impact, comme l'explique un communiqué du CNRS. Cela semble confirmer l'un des modèles de formation d'un anneau central, celui dit « par soulèvement dynamique suivi d'un effondrementeffondrement ».

    ----------

    Article initial de Laurent Sacco publié le 07/03/2016

    Il y a environ 65 millions d'années, un astéroïdeastéroïde ou une comètecomète frappait la Terre au Yucatàn (Mexique), créant le cratère de Chicxulub et entraînant la disparition des dinosaures. Ce cratère, qui se trouve partiellement sous l'océan Atlantique, n'est pas visible ni accessible car recouvert de sédiments. Une campagne de forage qui a débuté en avril 2016 nous permet d'en savoir un peu plus sur lui.

    Lorsque le géologuegéologue américain Walter Alvarez découvrit, vers le milieu des années 1970, dans la région de Gubbio (une ville italienne), une étrange stratestrate argileuse sombre montrant la disparition subite du planctonplancton marin, pourvoyeur en carbonates, il ne pouvait sans doute pas encore savoir ce qu'elle allait lui révéler. Avec son père, le prix Nobel de physiquephysique Luis Alvarez et, surtout, les chimistes Frank Asaro et Helen Michel, tous de l'université de Berkeley (États-Unis), il entreprit ensuite de faire parler cette couche en la datant et en l'analysant précisément.

    Ces chercheurs découvrirent, à leur grande stupéfaction, que cette strate contenait une quantité anormalement élevée d'un élément rare à la surface de la Terre, l'iridiumiridium. Ce métalmétal est en revanche assez abondant dans les comètes et les astéroïdes ; c'est pourquoi ils proposèrent que la crise biologiquecrise biologique survenue il y a 65 millions d'années et ayant conduit à la disparition des grands reptilesreptiles marins, des dinosaures non aviensaviens, des ammonitesammonites et des bélemnites était due à la chute sur la planète d'un petit corps céleste.

    Cependant, pour convaincre une majorité de leurs collègues sceptiques, il fallait démontrer que la couche d'argileargile noire, baptisée couche K-T, était bien présente partout sur Terre avec non seulement la même anomalieanomalie en iridium mais aussi la présence de quartz choquésquartz choqués, typiques de ceux retrouvés au voisinage des impacts de météoritesmétéorites connus.

    Chicxulub, un astroblème encore mystérieux

    C'est en fait Alan Hildebrand qui fit vraiment bouger les choses en réexaminant les carottes des forages effectués pour rechercher du pétrolepétrole dans la péninsulepéninsule du Yucatàn, au Mexique. Elles allaient lui permettre de faire la découverte de l'astroblèmeastroblème Chicxulub au début des années 1990.

    D'un diamètre égal à au moins 180 kilomètres, ce cratère fut causé par la chute d'un corps d'une dizaine de kilomètres de diamètre. L'impact libéra alors une énergieénergie équivalente à une explosion dont la puissance a été estimée à 5 milliards de fois la bombe d'Hiroshima. Le résultat fut l'injection d'une quantité de poussières dans l'atmosphèreatmosphère telle que l'ensoleillement de la Terre en fut fortement réduit pendant un certain temps, entraînant l'effondrement de la chaîne alimentairechaîne alimentaire, en commençant par une disparition massive des plantes.


    Le paléontologue Éric Buffetaut nous explique ce que l'Homme sait de la disparition des dinosaures. © Futura-Sciences

    De nos jours, les chercheurs en géosciences veulent en apprendre plus sur le cratère de Chicxulub. Ils aimeraient notamment savoir comment la vie a recolonisé les fonds marins sur lesquels cet astroblème se trouve en partie, bien que recouvert d'une épaisse couche de sédiments. Dans le cadre du Programme scientifique international de forages continentaux (en anglais International Continental Scientific Drilling Program ou ICDP) et du Programme international de découverte des océans (en anglais International Ocean DiscoveryDiscovery Program, ou IODP), une plateforme de forage sera bientôt mise en place dans le golfe du Mexique, à l'aplomb d'un des anneaux rocheux constituant le cratère de Chicxulub - ces anneaux sont l'équivalent des rides circulaires provoquées à la surface de l'eau par la chute d'un objet dans une mare.

    Comprendre la formation des cratères d'impact géants

    Le 1er avril 2016, à 30 km au large de la côte du Yucatán, la tête en diamantdiamant d'une foreuse devrait ainsi entamer son voyage à travers 500 mètres de roches calcairescalcaires, sous 17 mètres d'eau. Le forage devrait se poursuivre dans d'autres roches à 1.000 mètres de profondeur et conduire à la remontée en surface de multiples carottes de 3 mètres de long.

    Les spécialistes en géosciences examineront minutieusement ces carottes pour en déduire les changements au cours du temps des dépôts dans le bassin créé par l'impact. Les microfossilesmicrofossiles conservés dans ces roches seront analysés et l'on partira même à la recherche de fragments d'ADNADN. On devrait ainsi notamment pouvoir en déduire l'état de l'acidité des océans juste après l'impact et comment il a évolué, favorisant l'extinction de certaines espècesespèces.

    Toutefois, selon plusieurs chercheurs impliqués dans ce projet, l'intérêt principal du forage réside probablement dans son potentiel à nous livrer des informations utiles pour la planétologie comparée. En effet, les anneaux rocheux se forment lorsque l'énergie cinétiqueénergie cinétique du corps responsable d'un impact est suffisamment élevée pour que les matériaux sous-jacents se comportent comme un liquideliquide, bien qu'ils ne soient pas en fusionfusion.

    On n'observe de tels anneaux que près de grands cratères, aussi bien sur la LuneLune que sur Mars ou MercureMercure. Sur Terre, à part l'astroblème de Chicxulub, seuls deux autres cratères sont assez grands pour posséder, en théorie, des anneaux concentriques : celui de Vredefort, en Afrique du Sud, et celui de Sudbury, au Canada. Cependant, ces deux derniers sont âgés respectivement de 2 milliards et 1,8 milliard d'années. L'érosion a donc largement fait disparaître ces anneaux. Il existe des modèles numériquesmodèles numériques qui rendent compte de la formation de ces cercles de roches surélevés et on aimerait bien pouvoir comparer les prévisions de ces modèles (ils supposent que les roches formant ces anneaux sont formées de granits remontés vers la surface). Le cratère de Chicxulub devrait permettre de valider ces modèles que l'on pourrait alors appliquer avec plus d'assurance dans tout le Système solaire.