Entre le 29 septembre et le 7 octobre 2017, un nuage radioactif de ruthénium-106 a survolé l’Europe depuis la Russie jusqu’au sud de la France. Des scientifiques apportent aujourd’hui la preuve de son origine : une expérimentation de recherche sur les neutrinos ayant mal tourné.


au sommaire


    Entre fin septembre et début octobre 2017, des particules radioactives inhabituelles de ruthénium-106 sont détectées par plusieurs réseaux de surveillance de pays européens, jusqu'à Stockholm et dans le sud de la France. Une pollution sans aucun danger, les concentrations atteignant à peine 46 µBq/m3 en France, mais très mystérieuse puisque le ruthénium-106, un isotope radioactif du ruthénium, n'existe pas à l'état naturel, et qu'un accidentaccident dans une centrale aurait impliqué la présence d'autres éléments radioactifs.

    Une mystérieuse pollution venue de Russie

    Plusieurs hypothèses sont alors envisagées, comme la chute accidentelle d'un ancien satellite alimenté au ruthénium-106 ou l'incinération de substances médicales radioactives (le ruthénium-106 étant notamment utilisé pour irradier certaines tumeurstumeurs). Mais très vite, les soupçons de l'ISRN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire) se portent sur le complexe nucléaire de Maïak en Russie, au sud de l'Oural, qui sert de site de retraitement de combustible usé. À Arguaïach, un petit village à 30 km de la centrale, les concentrations en ruthénium-106 excèdent ainsi 986 fois les taux enregistrés le mois précédent. Les autorités russes, tout en reconnaissant ces taux extrêmement élevés, ont pourtant toujours nié toute responsabilité, le conglomératconglomérat nucléaire Rosatom, propriétaire de la centrale martelant qu'il n'a enregistré « aucun accident ni panne » dans ses installations. Un responsable régional russe dénonce même à l'époque un complot de la France, pays considéré comme un concurrent au retraitement des déchets nucléaires.

    Les taux de radioactivité au ruthénium-106 (en mBq/m3) enregistrés en Europe au cours de l’automne 2017. © Olivier Masson et al, <em>PNAS</em>, 2019
    Les taux de radioactivité au ruthénium-106 (en mBq/m3) enregistrés en Europe au cours de l’automne 2017. © Olivier Masson et al, PNAS, 2019

    Du combustible étonnamment « frais »

    Aujourd'hui, une enquête signée par 69 scientifiques parue dans la revue PNAS le 29 juillet 2019, corrobore les premières suppositions des experts, à savoir l'origine russe de l'incident. En étudiant la signature radioactive de plus de 1.300 mesures du nuagenuage, les chercheurs ont déterminé que le ruthénium-106 provenait de combustible irradié datant de moins de deux ans. Or, Maïak est le seul site au monde à pouvoir traiter autant de combustible usagé dans un temps aussi court après leur irradiation. Normalement, les combustibles irradiés sont refroidis durant 5 à 10 ans avant d'être retraités le temps que les isotopes les plus radioactifs soient désintégrés. Cette pollution présente donc un caractère tout à fait inhabituel qu, selon les chercheurs, proviendrait d'une expérimentation ratée.

    L’usine de retraitement de combustible nucléaire de Maïak en Russie. © Apple Plans
    L’usine de retraitement de combustible nucléaire de Maïak en Russie. © Apple Plans

    À la recherche de neutrinos stériles

    Cette expérience, connue sous le nom de SOX, visait à trouver des preuves d'un type hypothétique de neutrinosneutrinos appelés neutrinos stériles. Menée par le CEA (Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives) et son homologue italien INFN (Institut national en physiquephysique nucléaire), elle consistait à placer une source radioactive puissante près du détecteur du neutrinos Borexino situé au Laboratoire national du Gran Sasso, près de L'Aquila, en Italie. Pour fabriquer cette source radioactive (quelques dizaines de grammes de cériumcérium-144), les chercheurs devaient utiliser du combustible irradié « frais », comme celui retrouvé dans le nuage.

    Les présomptions des chercheurs sont d'autant plus crédibles qu'un courriel daté du 8 décembre 2017 obtenu par le site Science News confirme des difficultés survenues lors de cette expérimentation. « Nous avons appris que lors de la purification de la matièrematière, des problèmes inattendus se sont produits, entraînant une perte d'activité ainsi qu'une augmentation des impuretés », indiquent les responsables du projet dans ce message adressé aux membres de la SOX. Maïak ne parviendra d'ailleurs jamais à produire le cérium-144 promis et l'expérience sera annulée. Rosatom, lui, continue de réfuter un quelconque incident.

    Kyshtym, 1957 : la troisième pire catastrophe nucléaire de l’histoire

    Le complexe de Maïak traîne pourtant derrière lui une sinistre réputation. C'est dans cette ancienne centrale qu'un des plus graves accidents nucléaires de l'histoire est survenu le 29 septembre 1957, à la suite d'une panne du système de refroidissement. Connue sous le nom d'accident de Kyshtym, l'explosion avait alors entraîné une fuite massive d'éléments radioactifs dans l'atmosphèreatmosphère et dans la rivière Techa, affectant plus de 270.000 habitants et contaminant plus de 800 km2 de territoire. Une vingtaine de villages avaient alors dû être évacués.


    La pollution radioactive au ruthénium 106 reconnue par la Russie

    Article de l'AFP publié le 21/11/2017

    L'agence de météorologiemétéorologie russe a reconnu qu'une concentration inhabituelle de ruthénium 106 avait été détectée fin septembre dans plusieurs régions de Russie. Celle-ci proviendrait d'un site de retraitement des combustibles nucléaires.

    L'agence russe de météorologie Rosguidromet a reconnu lundi qu'une concentration « extrêmement élevée » de ruthénium 106 avait été détectée fin septembre dans plusieurs régions de Russie, confirmant les rapports de plusieurs réseaux européens de surveillance de la radioactivitéradioactivité. Selon Rosguidromet, la concentration la plus élevée a été enregistrée par la station d'Arguaïach, un village du sud de l'Oural situé à 30 kilomètres du complexe nucléaire Maïak, touché par un des pires accidents nucléaires de l'histoire en 1957 et servant aujourd'hui de site de retraitement de combustible nucléaire usé.

    « Le radio-isotope Ru 106 a été détecté par les stations d'observation d'Arguaïach et de Novogorny » entre le 25 septembre et le 1er octobre, précise l'agence russe dans un communiqué, ajoutant qu'à Arguaïach, « une concentration extrêmement élevée » de ruthénium 106, « excédant de 986 fois » les taux enregistrés le mois précédent, a été détectée.

    Greenpeace va envoyer une lettre au parquet pour demander l'ouverture d'une enquête sur la dissimulation éventuelle d'un incident nucléaire.

    Ces deux stations sont situées dans le sud de l'Oural, près de la ville de Tcheliabinsk, proche de la frontière avec le Kazakhstan. L'agence russe précise que le ruthénium 106 a ensuite été détecté au Tatarstan puis dans le sud de la Russie, avant qu'il ne se fixe à partir du 29 septembre « dans tous les pays européens, à partir de l'Italie et vers le nord de l'Europe ».

    Dans un communiqué, Greenpeace Russie a appelé Rosatom, la société d'État russe qui gère l'activité de toutes les entreprises du secteur nucléaire en Russie, à « mener une enquête approfondie et à publier des données sur les évènements arrivés à Maïak ».

    Ce communiqué, publié sur le site InternetInternet de l'association, ajoute que « Greenpeace va envoyer une lettre au parquetparquet pour demander l'ouverture d'une enquête sur la dissimulation éventuelle d'un incident nucléaire ».

    Le site de Maïak a connu un grave accident nucléaire en 1957. © Ecodefense, Heinrich Boell Stiftung Russia, Slapovskaya, Nikulina
    Le site de Maïak a connu un grave accident nucléaire en 1957. © Ecodefense, Heinrich Boell Stiftung Russia, Slapovskaya, Nikulina

    La radioactivité avait été détectée en France par l'IRSN

    Mi-octobre, Rosatom avait assuré dans un communiqué cité par les médias russes : « Dans les échantillons relevés du 25 septembre au 7 octobre, y compris dans le sud de l'Oural, aucune trace de ruthénium 106 n'a été découverte à part à Saint-Pétersbourg », rejetant les conclusions des réseaux européens de surveillance de la radioactivité.

    Fin septembre, plusieurs réseaux européens de surveillance de la radioactivité avaient repéré du ruthénium 106 dans l'atmosphère. L'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) français avait ensuite indiqué, après une enquête, que « la zone de rejet la plus plausible se situe entre la Volga et l'Oural », sans être en mesure de préciser la localisation exacte du point de rejet. L'IRSN précisait que la source de la pollution ne pouvait provenir d'un réacteur nucléaire, car d'autres éléments radioactifs auraient été détectés, et faisait « l'hypothèse d'un rejet issu d'une installation » liée au cycle du combustible nucléaire ou de fabrication de sources radioactives.

    Le ruthénium 106 est un produit de fissionfission issu de l'industrie nucléaire, par ailleurs utilisé pour des traitements médicaux. « Les niveaux de concentration dans l'airair en ruthénium 106 qui ont été relevés en Europe et a fortiori en France sont sans conséquence tant pour la santé humaine que pour l'environnement », a noté l'IRSN.

    Depuis la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, en Ukraine soviétique, en 1986, qui avait contaminé une bonne partie de l'Europe, les craintes de l'Occident sur la sécurité des installations nucléaires soviétiques puis russes n'ont jamais été levées.


    Une pollution radioactive au ruthénium 106 détectée en Europe

    Article de Futura avec l'AFP paru le 13 novembre 2017

    Une pollution radioactive a été détectée en Europe à la fin du mois de septembre. D'après l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) français, elle proviendrait d'une zone située entre la Volga et l'Oural, mais les autorités russes nient toute responsabilité.

    Une pollution radioactive détectée en Europe à la fin du mois de septembre aurait son origine « entre la Volga et l'Oural » selon l'institut public français, mais les autorités russes ont nié vendredi toute responsabilité. Du ruthénium 106 avait été détecté dès fin septembre par plusieurs réseaux européens de surveillance de la radioactivité dans l'atmosphère.

    « La zone de rejet la plus plausible se situe entre la Volga et l'Oural, sans qu'il ne soit possible, avec les données disponibles, de préciser la localisation exacte du point de rejet », estime dans une note l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) français au terme de son enquête. Selon la même source, la pollution ne peut pas provenir d'un réacteur nucléaire, car d'autres éléments radioactifs auraient été alors détectés.

    Le saviez-vous ?

    Le ruthénium 106 est un radionucléide d’origine artificielle, absent dans l’air en temps normal.

    L'IRSN précise avoir du coup « fait l'hypothèse d'un rejet issu d'une installation » liée au cycle du combustible nucléaire ou de fabrication de sources radioactives, sans identifier un site en particulier. Le ruthénium 106 est un produit de fission issu de l'industrie nucléaire, par ailleurs utilisé pour des traitements médicaux.

    La France a « entrepris des démarches diplomatiques », indique-t-on au ministère de la Transition écologique, mais le mystère reste entier : aucun pays n'a déclaré à l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) être à l'origine de ce rejet.

    Des techniciens de l'IRSN près du panneau de contrôle du simulateur lors d'un exercice de sécurité nucléaire à la centrale nucléaire de Civaux, le 22 septembre 2015. © Guillaume Souvant, AFP/Archives
    Des techniciens de l'IRSN près du panneau de contrôle du simulateur lors d'un exercice de sécurité nucléaire à la centrale nucléaire de Civaux, le 22 septembre 2015. © Guillaume Souvant, AFP/Archives

    En Russie, les entreprises du nucléaire plaident non-coupables

    « Les niveaux de concentration dans l'air en ruthénium 106 qui ont été relevés en Europe et a fortiori en France sont sans conséquence tant pour la santé humaine que pour l'environnement », note l'IRSN.

    Le gouvernement précise de son côté avoir, par précaution, réalisé des « contrôles par sondage sur les champignonschampignons importés des pays concernés, qui n'ont révélé aucune contaminationcontamination à ce jour ». Les champignons sont en effet un aliment particulièrement à risque. « Si une quelconque contamination était détectée, les mesures appropriées seraient ainsi immédiatement prises et feraient alors l'objet d'une communication dans un objectif de complète transparencetransparence », assure le ministère.

    Depuis le 13 octobre, le ruthénium 106 n'est plus détecté en France

    Selon l'IRSN, une quantité « très importante » de ruthénium 106 a probablement été rejetée dans la zone d'origine mais seules des « traces » ont été détectées en France entre fin septembre et début octobre. « Depuis le 13 octobre, le ruthénium 106 n'est plus détecté en France », note l'IRSN, qui dispose d'un réseau de stations de surveillance de l'atmosphère.

    « Les entreprises de Rosatom n'ont rien à voir avec la fuite du ruthénium 106 » détectée en Europe, a de son côté affirmé à l'AFP le service de presse de la société d'État russe, qui gère l'activité de toutes les entreprises du secteur nucléaire -- militaires et civiles -- en Russie. La société kazakhe Kazatomprom, opérateur national chargé de la production du combustible nucléaire, a également démenti être à l'origine de la fuite. « Il n'y a pas de sites au Kazakhstan d'où une éventuelle fuite de cette substance pourrait se produire », a assuré le service de presse de Kazatomprom.

    Avec AFP


    Un vent d’iode 131 radioactif venu de l’est, inoffensif mais mystérieux

    Article de Jean-Luc GoudetJean-Luc Goudet paru le 15 novembre 2011

    L'IRSN a détecté des traces d'iodeiode-131, pour l'instant dans le nord de la France et en région parisienne, après avoir été alerté par des scientifiques tchèques. Les taux sont très faibles et sans effet sur la santé humaine mais ces traces sont tout à fait inhabituelles. « Quelque chose s'est passé quelque part » nous explique un responsable de l'IRSN.

    Au début du mois de novembre, des scientifiques tchèques ont noté des traces d'iode-131 dans l'atmosphère et ont alerté leurs collègues en Europe. Le 11 novembre, l'AIEA (International Atomic Energy Agency) relayait l'information dans un communiqué, parlant de « taux très bas ». L'iode-131 n'est pas radioactif longtemps puisque sa demi-période est de 8 jours, c'est-à-dire que sa radioactivité diminue de moitié les huit premiers jours (pour descendre ensuite plus lentement).

    Il est habituellement totalement absent dans l'atmosphère et son origine est humaine. Les centrales nucléaires en génèrent mais il reste alors confiné dans l'installation. D'autres sources de production existent pour alimenter le secteur médical, qui l'utilise en radiothérapieradiothérapie.

    Après cette alerte, en France, l'IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire) a « renforcé sa vigilance », et publie d'ailleurs un communiqué sur la détection de l'iode-131 et un rapport indiquant les niveaux de radioactivité découverte, rendus publics sur le Web. « "Renforcer la vigilance" signifie que nous avons utilisé des installations de collectes d'aérosolsaérosols à grand débitdébit, normalement destinées à des activités de recherche, pour mesurer spécifiquement cet élément » explique à Futura-Sciences Didier Champion, responsable Environnement et intervention de l'institut.

    Un moment clé de la spectrométrie gamma : Sébastien Aubry, du LMRE (Laboratoire de mesure de la radioactivité dans l'environnement) place un échantillon en compactage sur un détecteur Ge (Germanium) dans la chambre blindée du LMRE. © Rodolfo Gurriaran/IRSN
    Un moment clé de la spectrométrie gamma : Sébastien Aubry, du LMRE (Laboratoire de mesure de la radioactivité dans l'environnement) place un échantillon en compactage sur un détecteur Ge (Germanium) dans la chambre blindée du LMRE. © Rodolfo Gurriaran/IRSN

    Il faut en effet un débit d'air très important afin de capter suffisamment d'aérosols pour détecter des radioactivités très faibles, en dessous du seuil de détection des instruments à charboncharbon actif, de petites dimensions. Ces équipements « TGD » (très grand débit) du réseau Opera-Air avalent plusieurs centaines de mètres cubes par jour.

    Les filtres sont retirés puis analysés par spectrométriespectrométrie gamma en principe 5 à 6 jours plus tard, pour laisser décroître l'activité des radionucléidesradionucléides naturels à vie courte. Pour mesurer ce pic inattendu d'iode-131, l'IRSN a effectué les mesures immédiatement après le prélèvement.

    Des niveaux à la limite des seuils de détection

    Des traces ont été détectées en région parisienne et dans le Nord de la France, à Charleville-Mézières et à Bures. Pour l'instant, ces traces sont extrêmement faibles, de l'ordre de quelques microbecquerels par mètre cube (µBq/m3). Les valeurs indiquées par l'IRSN pour ses prélèvements terminés les 9 et 10 novembre) sont de :

    • 5,7 µBq/m3 à Charleville-Mézières ;
    • 4,9 µBq/m3 à Orsay (Essonne) ;
    • 12 µBq/m3 au Vésinet (Essonne) ;
    • 0,79 µBq/m3 à Bure (Meuse), mais sur des mesures effectuées du 2 au 7 novembre.

    Ces niveaux ne représentent aucun risque pour la santé humaine ni pour l'environnement. L'IRSN poursuit ses mesures dans d'autres régions et tentent de remonter la piste pour comprendre d'où vient cette effluve. On pense bien sûr à la centrale Daiishi de Fukushima mais la courte vie de l'iode-131 exclut cette hypothèse. Il faudrait un dégagement très récent et massif, les taux mesurés aujourd'hui étant cent fois plus faibles que ceux relevés à l'époque de l'accident de Fukushima.

    « La source est en Europe centrale ou de l'est, mais nous ne savons pas où, résume Didier Champion. Les pays touchés ne l'ont pas forcément mesuré et le pays d'origine ne le sait pas forcément ou ne l'a pas encore dit. Mais quelque chose s'est passé quelque part en Europe centrale ou de l'Est début novembre. »

    L'origine peut être un incident dans une centrale nucléairecentrale nucléaire ou bien dans une installation de production d'iode 131 à fins médicales. « Un rejet d'iode radioactif est déjà survenu en Belgique en 2008 » rappelle Didier Champion, faisant référence à un incident à la centrale de Fleurus.

    L'enquête continue donc et on attend des informations venues d'autres pays qui pourront aider à remonter la piste de l'iode 131...