La slow fashion, c’est une autre manière d’envisager la mode. Et des marques, des créateurs, des fabricants, des associations œuvrent au quotidien pour transformer cette niche en phénomène de société. En pleine période de soldes, Fiona Cappelletto, étudiante de Kedge Business School, et Simona D’Antone, professeur en marketing, nous racontent leurs histoires.
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Le coup d'envoi des soldes d'hiver 2025 a été donné il y a quelques jours. En ligne. Dans les boutiques. Partout, c'est la course aux bonnes affaires. Partout ? Pas tout à fait. Parce que quelques-uns ont décidé de faire voltevolte-face. D'entrer en résistancerésistance contre le rouleau compresseur de la fast fashion. Et de porter haut les couleurscouleurs de la slow fashion. Les puristes aimeront que l'on parle plutôt de mode lente - par opposition à mode éphémère ou même mode jetable -, mais « ce terme, "mode lente" n'est pas vraiment employé dans l'écosystème français », nous précise Fiona Cappelletto, étudiante de Kedge Business School. Son mémoire s'est intéressé au phénomène et elle a accepté de nous en dire un peu plus.
« L'origine de la slow fashion est à chercher dans le mouvementmouvement de la Slow Food fondé en 1986 par Carlo Petrini en Italie. Il incite non seulement à ralentir la cadence de nos vies, mais aussi à se reconnecter à un territoire et à son environnement. La slow fashion s'inscrit dans le même mouvement social et économique qui promeut une alternative à un modèle capitaliste qui, il faut le reconnaître, a fait faillite. Voyez, nous connaissons une croissance extrêmement faible et les bénéfices attendus pour la société ne sont pas au rendez-vous, explique en introduction de notre échange, Simona D'Antone, la professeure associée de marketing qui a accompagné l'étudiante dans son travail. Pour parler de fast fashion, on dit aussi parfois "mode durable", mais le terme est un peu trop connoté environnement alors que le mouvement est plus complet. Il intègre une notion de décroissance. » Le mot est lâché. Et il fait peur à certains. Pourtant, il ne devrait pas. « La décroissance n'empêche pas le développement. On peut développer une entreprise sans viser la croissance à tout prix. Et le terme "slow" rend bien cette idée », estime Simona D'Antone.
Qu’est-ce que la slow fashion, cette mode qui prend son temps ?
Le mémoire sur lequel a travaillé Fiona Cappelletto, d'ailleurs, intègre cette notion. « Nous nous projetons dans un avenir dans lequel nous remettons en question ce principe de croissance à tout prix sur lequel repose le capitalisme. La slow fashion est un maillon de la chaîne. Il n'existe pas de définition très précise, car le concept est récent. Mais disons que ce mouvement de "mode lente" correspond à une volonté de réduire nos modes de consommation et de production et à les améliorer. » Le tout sans réellement avoir à se priver.
“Remettre en question le principe de croissance à tout prix”
Car toutes les études le montrent, nous consommons aujourd'hui beaucoup plus de vêtements que ce dont nous avons réellement besoin. Selon les chiffres de l'Agence de la transition écologique (Ademe), plus de 100 milliards de vêtements sont vendus chaque année dans le monde. Et en Europe, la quantité de vêtements achetés a augmenté de 40 % en 15 ans. Des vêtements de moindre qualité, que nous conservons moins longtemps. Encouragés par l'industrie de la fast fashion qui propose désormais, dans certains magasins, jusqu'à 24 collections par an, alors qu'il n'y en avait pas plus de 2 en l'an 2000. Et ce n'est rien comparé à ces plateformes que nous connaissons tous qui mettent en ligne de nouveaux modèles tous les jours. Résultat, la filière textile est devenue l'une des plus polluantes au monde : 4 milliards de tonnes de gaz à effet de serre. Ses émissionsémissions dépassent celles des vols internationaux et du transport maritime !
Les associations, elles, croulent littéralement sous les dons empoisonnés de vêtements hors d’usage. Des produits « non recyclables et non réutilisables » mis sur le marché par la fast fashion, selon la Croix rouge. Les plateformes de type Vinted séduisent de plus en plus et récupèrent, quant à elles, ce qui reste revendable. De la seconde main qui alimente toujours une dynamique consumériste.
Comment la slow fashion tente de construire de nouveaux consommateurs
Et ce sont des acteurs qui luttent au quotidien contre ce raz de maréemarée que l'étudiante a rencontré. Des acteurs qui déploient des trésors d'ingéniosité pour proposer des alternatives. « Ils ont un objectif politique. Celui de changer ce que l'on met derrière l'idée de "s'habiller". De construire de nouveaux consommateurs », explique Simona D'Antone.
Dans son mémoire, justement, Fiona Cappelletto recense des mécanismes qui ont un impact vérifié sur la constructionconstruction - comprenez, l'information, l'éducation - et la responsabilisation - comprenez ici le fait qu'il passe à l'action, qu'il fasse le choix d'acheter mieux - du consommateur. La marque de vêtements durables Loom, un exemple du genre, a ainsi pris l'initiative d'afficher le coût environnemental de ses vêtements sur son site InternetInternet. Pour sensibiliser les clients. Loom propose aussi une newsletter qui n'est pas destinée à promouvoir ses produits et à encourager les achats, mais qui donne des conseils d'entretien et de réparation des vêtements.
D'autres proposent des alternatives aux rendez-vous à la mode. L'association militante Fashion Revolution organise ainsi chaque année une « Fashion Revolution Week » destinée à réinventer le monde de la mode. La plateforme vintage Crush On combat la folie du Black Friday en rejoignant le mouvement Green Friday qui encourage des choix plus éthiques. Acheter moins, acheter mieux, réparer, réutiliser et reconditionner.
Le cabinet de conseil en mode écoresponsable Pando, quant à lui, recommande à ses clients la mise en place de questionnaires de co-construction des produits. Ces derniers interrogent les consommateurs sur ce qu'ils espèrent trouver dans un futur produit. « C'est important parce que cela permet d'intégrer ces attentes au processus de design et d'ainsi mieux répondre aux besoins. Avec l'idée de créer un sentiment d'engagement pour renforcer le lien entre les vêtements et les consommateurs. Et d'éviter les piles d'invendus », nous explique l'étudiante. De quoi s'inscrire dans les grandes idées de la slow fashion : la réduction du nombre de collections pour recoller seulement aux changements des quatre saisons, d'une part, et la proposition de pièces uniques et intemporelles, d'autre part. Le tout visant à transformer les achats en véritables expériences.
“Nous connaissons mieux les marques que la nature”
« Pour les acteurs de la slow fashion, il s'agit d'abord de déconstruire les critères de choix habituels des consommateurs. Parce que nous vivons dans un monde où nous sommes sollicités depuis le plus jeune âge par les marques. Nous connaissons mieux les marques que la nature. Et nous apprenons à évaluer les vêtements sur leur prix affiché. Mais le coût réel est souvent bien différent. Si on intègre par exemple la duréedurée de vie du TT-shirt, notre point de vue peut changer. C'est ce type de travail que font les entreprises de la slow fashion. Nous apprendre à évaluer différemment les propositions. Nous en avons besoin si nous voulons transformer le système, nous éclaire Simona D'Antone. Et les propositions de loi actuelles en France vont dans ce sens. Celui d'une évaluation de la valeur des choses qui va au-delà du coût personnel et des bénéfices individuels, qui s'étend à la société et à l'environnement. »
Marques, politiques et consommateurs pour un même objectif
Des propositions de loi quelque peu mises en sommeilsommeil par l'instabilité politique qui règne actuellement dans notre pays. Mais Fiona Cappelletto est optimiste. « Il y a de plus en plus d'acteurs qui s'engagent sur la voie de la slow fashion. » Des associations, des indépendants ou des fédérations comme la Fédération de la mode circulaire. Des jeunes marques nées pour changer la mode - à défaut du monde. « Ces marques arrivent peu à peu à diffuser cette nouvelle logique », estime Simona D'Antone, et ainsi des grands groupes commencent également un processus de transformation. Fiona Cappelletto l'a constaté en incluant dans ses investigations des entreprises telles qu'Etam. « Leurs tentatives sont poussées aussi par les réglementations », confirme l'étudiante.
« C'est notre façon de "faire le marché" qui doit changer. Si nous voulons que cela fonctionne, nous ne pouvons surresponsabiliser personne. Les marques ont leur part de responsabilité, mais les lois doivent également évoluer. Et nous avons aussi besoin d'un véritable changement culturel. Les marques doivent arrêter de subir et devenir actrices du marché. Dans le sillage de la slow fashion, nous espérons que c'est une nouvelle façon de voir le marketing qui va émerger. Un marketing pas seulement au profit des entreprises, mais aussi avec une utilité sociétale », conclut Simona D'Antone.