En publiant un rapport très favorable aux agrocarburants, l’Ademe s'est attiré de nombreuses critiques sur la méthode mais aussi sur les conclusions. Un point sur cette affaire n'est sans doute pas superflu.

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    Récemment, l'Ademe (Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie) a mis en ligne la synthèse du rapport intitulé Analyses de Cycle de Vie appliquées aux agrocarburantsagrocarburants de première génération consommés en France. Ce travail, conduit en 2007-2008 par Bio IntelligenceIntelligence Service, a porté sur l'ensemble des agrocarburants disponibles sur le marché : filières bioéthanol (betterave, maïsmaïs, blé, canne à sucresucre), biodiesel (colza, tournesoltournesol, sojasoja, palme, graisses animales, huiles alimentaires usagées) et huiles végétales pures. La synthèse conclut que l'ensemble des filière présente des bilans moins émissifs que les carburants fossiles avec des gains de 60 à 80%. Cependant, les apports de produits phytosanitaires des filières éthanol placent « les bilans des éthanols consommés en France à des niveaux plus élevés de potentiel d'impact sur la santé humaine que la filière essence française ».

    Dans un communiqué baptisé Ademe sur les agrocarburants : la vérité est dans les annexes !, Diane Vandaele, chargée de mission au RAC-F (Réseau Action ClimatClimat-France) dénonce cette synthèse : « D'une étude de 231 pages, l'Ademe publie une synthèse de 26 pages où les résultats sont tronqués ». Selon le RAC-F, qui a participé au comité technique de l'étude, la synthèse présente les agrocarburants sous un jour très favorable sans préciser que les résultats obtenus sont nettement moins bons que ceux des études précédentes. Pour D. Vandaele, « même en sous-évaluant les dépenses énergétiques de plusieurs étapes de fabrication, ce rapport aboutit à des efficacités énergétiques et des réductions d'émissionsémissions de GESGES pour certaines filières très médiocres ».

    Le RAC-F déplore aussi que la synthèse du rapport ignore l'impact du changement indirect d'affectation des sols, c'est-à-dire du changement de type de culture (qui peut devenir plus intensive) ou du déboisement (hors de France, l'exemple le plus connu est, en Indonésie, les déforestationsdéforestations pour laisser la place aux palmiers à huile). Pourtant, des chiffres précis sont disponibles dans la version complète. Si on intègre cet impact, pour Sébastien Godinot des Amis de la TerreTerre, « le jugement est sans appel : l'huile de palme produite après avoir rasé des forêts, destinée à produire des agrocarburants ou à remplacer l'huile alimentaire de colza française détournée pour les agrocarburants, est une catastrophe climatique ! En intégrant les émissions dues à la déforestation en Indonésie, le bilan GES de l'huile de colza est le double de celui du diesel qu'il remplace. » L'étude de l'Ademe admet cependant que ces changements d'affectation des sols pourraient modifier les résultats de l'étude, voire totalement les inverser, et estime qu'il serait nécessaire de lever l'incertitude concernant l'intérêt environnemental des agrocarburants à l'échelle de la planète.

    Les agrocarburants de seconde génération sont-ils la solution ?

    Par ailleurs, des procédés de deuxième génération pourraient permettre de transformer en énergieénergie la partie ligneuse des végétaux (paille, boisbois, déchetsdéchets...) afin de valoriser l'ensemble de la plante et de mobiliser des surfaces qui ne sont pas destinées à l'usage alimentaire. Afin de démontrer la faisabilité et l'efficacité environnementale, technique et économique de cette production, l'Ademe a décidé d'aider au financement du projet BioTFuel (à prononcer beautiful...). Porté par l'IFP (Institut français du pétroleInstitut français du pétrole), Total, Sofiproteol (Etablissement Financier de la Filière des Huiles et ProtéinesProtéines Végétales) et le CEA (Commissariat à l'Energie Atomique), ce projet cherche à produire du biodiesel. D'un coût global de 112 millions d'euros, il recevra une aide d'environ 30 millions d'euros. Comme pour les agrocarburants dits de première génération, une analyse de cycle de vie « du champ au réservoir » devrait être conduite afin d'analyser dans quelles conditions ces nouveaux agrocarburants peuvent contribuer à répondre aux défis environnementaux.

    L'association FNE (Fédération Nature-Environnement), elle, est encore plus critique. La France se serait lancée dans la production industrielle d'agrocarburants de première génération sans que leur intérêt énergétique ou environnemental n'ait été démontré et, ajoute la FNE, recommencerait son erreur avec les agrocarburants de deuxième génération. Qu'il s'agisse de valoriser des « déchets » agricoles ou d'implanterimplanter des cultures spécifiques (taillistaillis à courte rotation), la FNE appelle à la plus grande vigilance concernant la production de carburant à partir de biomassebiomasse.

    Marie-Catherine Schulz, chargée de mission agricultureagriculture, explique : « utiliser des terres agricoles pour implanter des taillis à croissance rapide, collecter les pailles au lieu de les incorporer dans nos sols pour reconstituer leur fertilité, sont des pratiques qui remettent en cause la capacité de notre agriculture à nous nourrir ». Jean-Claude Bévillard, responsable des questions agricoles à FNE, ajoute : « la vocation première de l'agriculture est de nourrir sainement les hommes, pas de d'alimenter les moteurs de nos voituresvoitures ! ». Selon l'association , il faut commencer par remettre en cause l'utilisation de la voiture.

    Les critiques du RAC-F semblent étayées par les lacunes de l'étude de l'Ademe et une synthèse exagérément brève. Mais doit-on pour autant condamner définitivement les agrocarburants ? N'est-il pas essentiel de laisser une marge de manœuvre à la recherche afin de permettre l'amélioration potentielle des techniques ? L'intérêt environnemental discuté des agrocarburants de première génération doit-il occulter celui que pourrait avoir la seconde génération ?