Le 22 avril 1970, quelques milliers de personnes célébraient la toute première Journée de la Terre. Objectif : sensibiliser le monde à l’importance de protéger notre belle planète pour les générations futures. C’était il y a 50 ans. Et aujourd’hui, c’est une journée de la Terre toute particulière que nous fêtons. En pleine crise du coronavirus et confinés chez nous. Une situation qui semble donner un peu d’air à la planète. Mais pour combien de temps ?


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    Il y a quelques mois, en novembre 2019, on enregistrait à New Delhi (Inde) -- la capitale réputée être la plus polluée du monde --, du côté de l'ambassade américaine, une concentration de 810 microgrammes de particules fines dites PM2, 5 par mètre cube d'airair. Un taux 32 fois supérieur aux recommandations de l'Organisation mondiale de la santéOrganisation mondiale de la santé (OMS). Une pollution de l'air telle, que des compagnies aériennes ont été contraintes de dérouter leurs vols.

    Arvind Kejriwal est le chef du gouvernement de Delhi. © @ArvindKejriwal, Twitter

    Mais le 22 mars dernier, pour limiter la propagation du coronaviruscoronavirus, et comme un peu partout dans le monde, des mesures de confinement ont été prises dans le pays. Et des données du Central Pollution Control Board montrent que 25 jours plus tard, la concentration en particules fines PM2, 5 a chuté à quelque 44 microgrammes par mètre cube d'air. Le résultat d'une baisse significative du trafic routier et d'un arrêt des chantiers de constructionconstruction tout autant que de la mise à l'arrêt de 11 des 12 centrales à charbon situées dans un rayon de 300 kilomètres autour de la capitale indienne.

    Pour comparaison, à la même période, en 2019, la concentration était d'environ 82 microgrammes de particules fines PM2, 5 par mètre cube d'air. La moyenne annuelle pour 2019, de près de 99 microgrammes par mètre cube d'air.

    Ces photos prises à quelques mois d’intervalle permettent de se faire une idée claire de l’effet du confinement sur la qualité de l’air à New Delhi. © @Jeff_Portland, Twitter

    Dans le monde, le ciel redevient bleu

    Les observations satellites de la Nasa (États-Unis) confirment l'effet bénéfique du confinement sur la pollution de l'air en Inde. « Je n'ai jamais vu des niveaux d'aérosols aussi bas dans la région à cette époque de l'année », commente Pawan Gupta, chercheur, dans un communiqué. Dans l'État du Pendjab, au nord-ouest de l'Inde, des habitants ont même rapporté, pour la première fois depuis des décennies, avoir vu l'Himalaya.

    Une occasion unique d’en apprendre plus sur les effets d’une réduction soudaine des émissions de certains secteurs

    Pourtant, dans le sud du pays, la situation semble différente. Les niveaux d'aérosols apparaissent parfois même supérieurs à la moyenne de ces quatre dernières années. En cause, peut-être, les conditions météorologiques, des incendies agricoles ou d'autres facteurs non encore identifiés. « Nous avons là une occasion unique d'en apprendre plus sur les effets d'une réduction soudaine des émissionsémissions de certains secteurs. Cela va nous aider à distinguer comment les sources humaines et naturelles d'aérosols affectent notre atmosphère », se réjouit Robert Levy, responsable du programme aérosols à la NasaNasa.

    Les cinq premières cartes ci-dessus montrent les profondeurs optiques des aérosols (AOD) sur l’Inde entre le 31 mars et le 5 avril, de 2016 à 2020 — données du satellite Terra. La sixième carte illustre l’anomalie de l’AOD en 2020 par rapport à la moyenne 2016-2019. Une AOD supérieure ou égale à 1 révèle des conditions brumeuses. Une AOD inférieure à 0,1, en revanche, suggère une atmosphère « propre ». © NASA Earth Observatory images by <a href="https://earthobservatory.nasa.gov/about/joshua-stevens" target="_blank">Joshua Stevens</a>, using <a href="https://terra.nasa.gov/about/terra-instruments/modis" target="_blank">Terra MODIS</a> analysis courtesy of Pawan Gupta/USRA/Nasa
    Les cinq premières cartes ci-dessus montrent les profondeurs optiques des aérosols (AOD) sur l’Inde entre le 31 mars et le 5 avril, de 2016 à 2020 — données du satellite Terra. La sixième carte illustre l’anomalie de l’AOD en 2020 par rapport à la moyenne 2016-2019. Une AOD supérieure ou égale à 1 révèle des conditions brumeuses. Une AOD inférieure à 0,1, en revanche, suggère une atmosphère « propre ». © NASA Earth Observatory images by Joshua Stevens, using Terra MODIS analysis courtesy of Pawan Gupta/USRA/Nasa

    En Europe, la pollution de l’air chute

    Fin mars, des observations du satellite Sentinel-5P dans le cadre du programme Copernicus -- un programme européen de surveillance de la Terresurveillance de la Terre -- avaient aussi montré une chute spectaculaire de la pollution de l’air au-dessus de l'Europe depuis le confinement. Des données rendues publiques plus récemment font état, dans certaines villes, d'une baisse de 45 à 50 % des niveaux de dioxyde d'azoteazote (NONO2) -- considéré comme un bon indicateur de pureté de l'air -- comparés à la même période l'année dernière. Concernant Paris, la baisse entre 2019 et 2020 - 13 mars au 13 avril -- est même de 54 % !

    L'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris, France), de son côté, a développé un outil qui permet de visualiser quotidiennement les prévisions de concentrations de dioxyde d’azote et de particules fines en situation normale - notée cas de référence - et en situation de confinement telle que nous la vivons depuis mi-mars. Ces prévisions s'appuient sur un modèle de qualité de l'air éprouvé, sur les prévisions météorologiquesprévisions météorologiques du jour et sur les hypothèses suivantes dans la période de confinement : -60 % du trafic routier, -30 % des activités industrielles et +20 % du chauffage résidentiel.

    Un outil similaire a été mis en ligne, quelques jours plus tôt, concernant plus précisément la France et se basant sur les hypothèses suivantes dans la période de confinement : -70 % du trafic routier « particuliers », -20 % du trafic routier « commercial », -30 % des activités industrielles, -90 % du trafic aérien et non routier et +20 % du chauffage résidentiel.

    L’interface interactive de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris - France) permet de visualiser les prévisions de concentrations de différents polluants de l’air, avec ou sans confinement. © Ineris
    L’interface interactive de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris - France) permet de visualiser les prévisions de concentrations de différents polluants de l’air, avec ou sans confinement. © Ineris

    En France aussi, moins de pollution de l’air

    En parallèle, Atmo France -- qui fédère le réseau national des associations de surveillance de la qualité de l'air -- fait le point sur les concentrations moyennes journalières en oxydes d'azoteoxydes d'azote (NOx). Et constate qu'elles ont fortement baissé à proximité des grands axes routiers depuis la mise en place du confinement. Elles apparaissent désormais quotidiennement inférieures à celles d'un dimanche habituel. À Lille, la baisse des concentrations en NOx entre le 1er et le 17 mars et le 18 et le 31 mars 2020mars 2020 est de 30 %. Elle s'élève à 50 % pour Bordeaux et atteint même les 70 % à Paris et Toulouse et les 75 % à Nantes.

    Le saviez-vous ?

    La source principale des émissions d’oxydes d’azotes (NOx) en ville est le trafic routier. Leur concentration donne donc une bonne idée de la pollution due à ce trafic. D’autant qu’elle apparait moins sensible aux variations de température que l’est celle du dioxyde d’azote (NO2) seul.

    Les NOx sont également des précurseurs d’autres polluants. Lorsqu’ils réagissent avec des composés organiques volatils (COV), ils peuvent ainsi produire de l’ozone troposphérique.

    La comparaison est aussi faite par rapport à la même période en 2019. Là encore, les graphiques parlent d'eux-mêmes. Mais Atmo France précise qu'il est bon de garder à l'esprit que des conditions météorologiques différentes entre les deux années ont aussi pu avoir une influence. Et que d'autres polluants de l'air -- comme l'ozoneozone ou les pollenspollens -- n'ont pas autant bénéficié des réductions des activités du fait du confinement. L'impact sur les particules fines -- aussi issues des activités agricoles et du chauffage et fortement influencées par les conditions météorologiques -- est moins marqué.

    Pour une meilleure représentativité, les données présentées ici concernent l’ensemble de l’agglomération pointoise. © Atmo France
    Pour une meilleure représentativité, les données présentées ici concernent l’ensemble de l’agglomération pointoise. © Atmo France

    Qu’en est-il des émissions de CO2 ?

    Mais qu'en est-il des émissions de CO2, dans tout ça ? Les experts reconnaissent que l'impact du confinement est encore difficile à évaluer. Les chiffres définitifs des estimations des émissions annuelles mondiales par le Global Carbon Project ne sont en effet généralement donnés qu'au printemps de l'année suivante. Car les données ne sont pas publiées en temps réel. Et la difficulté demeure aussi d'attribuer ou non à la situation de crise du coronavirus, une baisse des émissions.

    Toutefois, le site Carbon Brief, spécialisé en sciences du climatclimat, a tenté une évaluation se basant sur des ensembles de données et des projections qui couvrent les trois quarts des émissions annuelles de CO2CO2 dans le monde. Résultat : les mesures de confinement pourraient être à l'origine d'une baisse des émissions de 2 Gt, l'équivalent de 5,5 % des émissions totales de 2019. La baisse la plus sensible jamais enregistrée. Mais une baisse qui resterait toujours en dessous de celle qui permettrait de maintenir le réchauffement climatiqueréchauffement climatique à +1,5 °C, estimée à 7,6 % par an.

    Et après le confinement ?

    Pour tous les experts, ces baisses spectaculaires des pollutions atmosphériques montrent à quelle vitessevitesse la qualité de l'air pourrait s'améliorer si des mesures étaient prises pour limiter les émissions. Mais ils craignent aussi que cette diminution ne soit pas durable. Et qu'au déconfinement, les émissions repartent à la hausse. Selon le European Environmental Bureau (EEB), c'est déjà le cas en Chine. La plupart des grandes villes du pays sont revenues à des niveaux de NO2 comparables à ceux qu'elles présentaient avant la crise du coronavirus.

    Voir aussi

    La pollution de l'air est le fléau qui réduit le plus l'espérance de vie dans le monde

    « Pendant cette pandémiepandémie, ce qui se passe en Chine a souvent constitué un aperçu de ce qui se passe ailleurs dans le monde quelque temps plus tard », remarque Margherita Tolotto, responsable de la politique de l'air dans un communiqué de l’EEB. La pollution de l'air constituant un problème de santé majeur -- la pollution au NO2 serait à elle seule responsable de 68.000 décès chaque année en Europe --, elle appelle les dirigeants à réfléchir sérieusement à des programmes de déconfinement qui tiendraient compte de cette problématique.

    Les concentrations en NO<sub>2</sub> au-dessus de la Chine, selon les données de l’ESA. © ESA/EEB/James Poetzscher
    Les concentrations en NO2 au-dessus de la Chine, selon les données de l’ESA. © ESA/EEB/James Poetzscher

    Sera-t-elle entendue ? Seul l'avenir nous le dira. Mais d'ores et déjà la ville de MilanMilan (Italie) vient d'annoncer qu'elle va transformer 35 kilomètres de routes en espaces cyclables et piétonniers. Les travaux pourraient commencer dès ce début mai dans l'un des quartiers les plus commerçants de la ville avec l'aménagement de nouvelles pistes cyclables notamment. La totalité du projet devra être achevée d'ici la fin de l'été.

    « Nous devons rouvrir l'économie. Mais nous devons le faire sur une base différente », a déclaré Marco Granelli, maire adjoint de Milan au Guardian. Voir ce confinement comme une occasion unique de poser un nouveau regard sur nos villes. Penser le futur au présent...


    Covid-19 : bon pour le climat, vraiment ?

    La pandémie de Covid-19Covid-19 est-elle une « bonne » chose pour le climat comme beaucoup semblent l'énoncer un peu vite sur les réseaux sociauxréseaux sociaux ? Rien n'est moins sûr. Détails.

    Article de Julien Hernandez paru le 24/03/2020

    La pandémie ne serait pas si bonne que ça pour le climat sur le long terme. © Georgejmclittle, Adobe Stock
    La pandémie ne serait pas si bonne que ça pour le climat sur le long terme. © Georgejmclittle, Adobe Stock

    Mettons de côté le caractère peu éthique de considérer une pandémie comme une « bonne chose » pour le climat, pour savoir si cette pandémie et ses conséquences sur nos activités humaines sont une bonne chose pour le climat.

    « Nous sommes le problème », ce hashtag a fait fureur sur les réseaux sociaux, initialement en réaction à la pollution qui a drastiquement baissé en Chine ou encore aux eaux de Venise qui se sont clarifiées après le confinement général. Étant donné que la relation causale qui unit « activité humaine » et « changement climatique » est maintenant admise par la communauté scientifique, il semble cohérent d'affirmer que le confinement général est à l'origine de ces conséquences positives pour l'environnement. Mais sont-elles vraiment positives ? Là est la question. À court terme : très certainement. Sur le long terme, cela pourrait être un désastre. Et spoiler : c'est bien le long terme qui nous intéresse dans cette lutte.

    Se souvenir du passé 

    « Les émissions ont toujours tendance à rebondir après une crise. » Ces mots sont ceux de François Gemenne, directeur du The Hugo Observatory et spécialiste en géopolitique de l'environnement, chercheur en science politique à l'université de Liège (Cedem) et à l'université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (Cearc), et chercheur associé au Ceri au Médialab de Sciences Po. En Chine, le confinement prend fin et on constate déjà que les émissions reviennent de plus belle. Dès lors, François Gemenne nous rappelle que « le climat a besoin d'une baisse soutenue et régulière des émissions de gaz à effet de serregaz à effet de serre, pas d'une année blanche ».

    Les gouvernements font des plans de relance, potentiellement néfastes pour le climat. © lazyllama, Adobe Stock
    Les gouvernements font des plans de relance, potentiellement néfastes pour le climat. © lazyllama, Adobe Stock

    Ne pas sous-estimer les gouvernements

    Les gouvernements et les populations du monde entier sont peu actifs dans la lutte contre le changement climatique, où depuis plus de 30 ans les premiers cris d'alerte des scientifiques se faisaient entendre déjà. Et après une crise, ils entreprennent naturellement des plans de relance. Par exemple, le Canada a annoncé récemment un plan massif de soutien aux secteurs pétrolier et gazier. Côté transport, ce sera pour le secteur aérien et même pour les bateaux de croisière, mastodontes de la pollution atmosphérique

    Même si ces plans de relance sont l'occasion de partir sur de bonnes bases, en planifiant une nouvelle économie bas carbonecarbone on peut craindre au contraire que l'on tente seulement de sauver notre économie énergétique classique. La relance économique pourra aussi servir d'arguments forts pour faire (encore plus) barrage à la lutte contre le changement climatique. La Tchéquie et la Pologne n'ont pas perdu de temps et demandent déjà l'abandon du Green New Deal européen.

    Les conséquences des mauvais arguments

    Non, il ne faut pas appliquer les mêmes mesures pour le climat que contre le Covid-19. Néanmoins, il faudrait être prêt à accepter certaines privations de liberté pour le climat aussi (moins drastiques), comme nous le faisons aujourd'hui pour la pandémie. 

    De même, les formules évangéliques et spirituelles concernant la nature qui reprendrait ses droits n'ont aucun sens. En effet, bien des épidémiesépidémies terribles ont décimé des populations avant que l'Homme ne vienne perturber le climat. Pour conclure, si on accepte d'agir pour le climat, il faut penser rationnellement cette lutte sur le plan scientifique, social, politique mais aussi (et surtout) philosophique.