Une nouvelle étude du CNRS démontre le lien entre la hausse des températures en Europe et la puissance des anticyclones qui ont causé la sécheresse historique de 2022. Contrairement à ce que beaucoup croyaient, les blocages anticycloniques ne sont pas plus longs que dans le passé, mais juste beaucoup plus intenses et étendus.


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    Pour ceux qui en doutaient encore, le changement climatique est la cause majeure de la sécheresse historique en Europe de l'Ouest au cours de l'année 2022. C'est ce que compte prouver cette étude du CNRS publiée le 17 février dernier. Pour démontrer le lien entre le réchauffement et le manque de précipitations de l'année dernière, les chercheurs ont utilisé la méthode des « analogues de circulation ». Celle-ci permet de comprendre comment le changement climatique anthropique influence la circulation atmosphérique, et donc les précipitations. « Cette méthode recherche les conditions de pression atmosphérique similaires aux conditions qui se sont produites pendant la sécheresse en 2022, et les compare à des conditions du passé lorsque le réchauffement climatique global était moins présent », explique le CNRS. C'est donc la période de 1836 à 1915, moins marquée par le réchauffement climatique, qui a été comparée à celle de 1942 à 2021.

    Un effet « montgolfière » avec des anticyclones plus hauts qui s'étalent en Europe

    En France, l'année 2022 a été marquée par une succession incroyable de périodes anticycloniques : la présence des anticyclonesanticyclones a barré le passage aux perturbations quasiment tout au long du printemps et de l'été. Soixante-six départements français ont connu une alerte sécheresse de niveau maximal en août. Notre pays a d'ailleurs connu un record d'ensoleillement en 2022, y compris sur des régions de la moitié nord, comme l'Ile-de-France. C'est justement cette récurrence de l'anticyclone qui a mené à une sécheresse exceptionnelle sur toute l'Europe de l'Ouest et les pays méditerranéens. Les périodes anticycloniques étudiées entre 1836 et 1915 n'étaient pas aussi étendues, pas aussi fortes, et surtout associées à des températures moins élevées, que lors des périodes anticycloniques contemporaines.

    Les chercheurs ont décelé de nombreuses anomaliesanomalies dans la circulation atmosphérique entre décembre 2021 et août 2022 : en particulier, un dôme de hautes pressions persistant sur la France au niveau de la troposphèretroposphère. La hausse des températures a conduit à ce que les auteurs de l'étude appellent un « ballon gonflable » sur la France, les îles britanniques et une partie de la péninsulepéninsule ibérique : le dôme anticyclonique s'est élevé bien plus haut que ceux du passé. « C'est l'effet montgolfière, explique Davide Faranda, l'un des auteurs de l'étude. Le CO2 fait monter la température et la température fait augmenter la pression. C'est ce qui fait monter et voler une montgolfière. C'est la même chose avec l'anticyclone : il monte jusqu'à la tropopausetropopause, et comme il ne peut plus aller plus haut, il s'étale. »

    Le phénomène La Niña n'a eu aucun impact sur la sécheresse en Europe

    Rappelons qu'au niveau du climatclimat mondial, cette année 2022 a été marquée par le phénomène La NiñaLa Niña, une anomalie froide d'une partie des eaux du Pacifique qui influence la météométéo de nombreux pays : sécheresse dans l'Ouest américain, et à l'inverse, pluies diluviennes en Australie, par exemple. En Europe, son impact n'a encore jamais été prouvé. Le CNRS n'a pu trouver aucun lien entre La Niña et les caractéristiques des anticyclones en Europe : « nous avons cherché des périodes dans le passé pendant lesquelles il y avait des anticyclones qui ressemblaient à ceux de 2022. Nous avons ensuite regardé s'il y avait des différences entre les valeurs observées au niveau des anticyclones », précise le chercheur Davide Faranda. En comparant les caractéristiques des anticyclones pendant La Niña et son phénomène inverse, El NiñoEl Niño (une anomalie chaude des eaux du Pacifique, qui a d'autres conséquences), les chercheurs n'ont trouvé aucune différence significative.     

    La bande bleue montre l'anomalie froide des températures dans l'océan Pacifique : La Niña a des conséquences sur les précipitations de beaucoup de pays, mais pas ceux d'Europe. © WMO
    La bande bleue montre l'anomalie froide des températures dans l'océan Pacifique : La Niña a des conséquences sur les précipitations de beaucoup de pays, mais pas ceux d'Europe. © WMO

    Une sécheresse six fois plus probable en raison du réchauffement

    L'étude montre que le changement climatique lié aux émissionsémissions de gaz à effet de serregaz à effet de serre issues des activités humaines a donc donné lieu à des anticyclones plus forts : avec « des anomalies de pression atmosphérique plus grandes et plus étendues et des températures plus élevées à la surface. Cela a entraîné une expansion de la zone touchée par la sécheresse et une intensification de l'assèchement des sols par l'évapotranspiration », comme le précise le CNRS. Cependant, la longueur de ces blocages anticycloniques n'a pas changé depuis 200 ans : « nous n'avons pas constaté d'augmentation dans la duréedurée de ces phénomènes de blocages anticycloniques, ils sont juste plus intenses », selon Davide Faranda.

    D'une manière générale, les calculs montrent que la sécheresse de surface des sols a été rendue cinq à six fois plus probable avec le changement climatique, et la sécheresse de profondeur trois à quatre fois plus probable.


    Les vagues de chaleur répétitives et les sécheresses sont-elles directement liés au réchauffement climatique ?

    Une base de donnéesbase de données révèle que les plus grandes catastrophes climatiques survenues dans le monde depuis les années 1930 sont, soit directement liées au réchauffement issu des émissions de gaz à effet de serre, soit aggravées par celui-ci. Le lien le plus évident concerne celui des vaguesvagues de chaleurchaleur, suivi des incendies.

    Article de Karine DurandKarine Durand, publié le 9 août 2022

    Dans les années 2000, une nouvelle science est née, la science de l'attribution : celle-ci tente de comprendre si les catastrophes climatiques sont liées, ou non, aux émissions de gaz à effet de serre liées à l'activité humaine. Le journal The Guardian a compilé les données d'attribution de l'organisme Carbon Brief concernant les récentes catastrophes naturellescatastrophes naturelles, afin de savoir si celles-ci sont attribuables au réchauffement climatique d'origine humaine.

    Les résultats sont édifiants : plus d'une douzaine d'événements météo majeurs survenus depuis 2012 sont directement liés au réchauffement climatique, ou nettement aggravés par celui-ci. Comment peut-on réussir à attribuer un événement météo au réchauffement climatique ? Par le biais de modélisationsmodélisations qui comparent des scénarios climatiques, sans émissions de gaz à effet de serre liées aux activités humaines, avec l'évolution du climat actuel. Les simulations sans ces gaz à effet de serre issus des activités humaines depuis la Révolution industrielle montrent une évolution du climat différente de celle que nous connaissons actuellement, avec des événements météo moins extrêmes.   

    Des catastrophes météo aggravées par un réchauffement à « seulement » +1 °C

    Parmi les récentes catastrophes climatiques étudiées :

    Les incendies américains, canadiens et australiens sont directement liés au réchauffement climatique selon la science de l'attribution. © Saeed Khan, AFP, Archives
    Les incendies américains, canadiens et australiens sont directement liés au réchauffement climatique selon la science de l'attribution. © Saeed Khan, AFP, Archives

    D'autres événements comme les inondations meurtrières de juillet 2021 en Allemagne et en Belgique, ou encore les récentes inondations d'avril 2022 en Afrique du Sud ont été jugées comme largement aggravées par le réchauffement climatique.

    Des catastrophes meurtrières qui se sont toutes produites dans un contexte de réchauffement à « seulement » +1 °C, alors que nous nous dirigeons à au moins +2,5 °C d'ici la fin du siècle, si ce n'est 3 ou 4 °C dans les pires scénarios envisagés.

    Vagues de chaleur et sécheresses sont les conséquences les plus évidentes du réchauffement

    Parmi les 500 catastrophes climatiques référencées dans la base de données de Carbon Brief, 71 % sont jugées « davantage possibles » ou « nettement aggravées » en raison du réchauffement climatique. Les conclusions sont frappantes en ce qui concerne les vagues de chaleur (93 % attribuées au réchauffement climatique), les sécheresses (68 % attribuées au réchauffement climatique) et les inondationsinondations (56 % attribuées au réchauffement climatique). Les récentes vagues de froid et tempêtestempêtes de neige sont à l'inverse jugées moins probables et moins graves en raison du réchauffement climatique. En ce qui concerne les caniculescanicules, Carbon Brief estime qu'un mort sur trois au cours des 30 dernières années est la conséquence directe du changement climatique provoqué par l'activité humaine.   

    À quel point les catastrophes climatiques peuvent-elle être attribuées au réchauffement de la Planète ? En premier, les canicules, en deuxième, les vagues de chaleur sous-marines et en troisième, les incendies. © <em>The Guardian</em>, Carbon Brief
    À quel point les catastrophes climatiques peuvent-elle être attribuées au réchauffement de la Planète ? En premier, les canicules, en deuxième, les vagues de chaleur sous-marines et en troisième, les incendies. © The Guardian, Carbon Brief

    Plus surprenant, les études de Carbon Brief révèlent que les catastrophes météo liées au changement climatique ne sont pas aussi récentes que ce que l'on pensait jusqu'à maintenant. La hausse des températures aurait commencé à avoir des effets sur la météo dès les années 1930, à l'instar du Dust BowlDust Bowl dévastateur survenu aux États-Unis : une série de gigantesques tempêtes de poussières qui a ravagé les cultures du Kansas, Oklahoma et Texas de 1932 à 1940.

    Les données de Carbon Brief montrent finalement que les effets négatifs du réchauffement climatique ont commencé bien plus tôt que ce que l'on pensait et qu'ils sont présents partout dans le monde de manière de plus en plus évidente.