De nombreux journaux se sont alarmés du fait que le nombre de cochons avait dépassé celui des humains en Espagne. Une statistique erronée, chiffres à l’appui. Il n’en reste pas moins que l’élevage intensif de porcs souffre de graves dérives et engendre un énorme impact environnemental.

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    Depuis 2017, l'Espagne compte 50 millions de porcs, alertait le site britannique The Guardian le 19 août dernier. « Pour la première fois, leur nombre dépasse celui des humains (qui sont 46,5 millions) », révélait l'article. « Le nombre d'animaux a bondi de 9 millions depuis 2013 et l'élevage industriel de cochons génère désormais 4 millions de tonnes de viande et 6 milliards d'euros par an », ajoutait le journal.

    Ce titre choc a immédiatement été repris par l'ensemble de la presse mondiale, dont de nombreux sites français comme Capital, CNews ou Midi Libre. Mais c'est faux... Les chiffres cités par The Guardian reprennent ceux d'un autre journal espagnol, Público. Ce dernier se réfère aux statistiques du ministère de l'Environnement espagnol, chiffrant à 50,07 millions le nombre de porcs abattus en Espagne en 2017, contre 41,42 millions en 2013. Ces données sont bien exactes, mais elles comptabilisent les porcs abattus et non les porcs vivant dans les élevages, leur nombre s'élevant, lui, à 30,14 millions seulement au premier trimestre de 2018, soit bien au-dessous de la population espagnole.

    Le nombre de porcs par habitant en Europe. Source : calcul Futura, d’après données Eurostat. © C.D, Futura

    Le nombre de porcs par habitant en Europe. Source : calcul Futura, d’après données Eurostat. © C.D, Futura

    Les Espagnols ne sont pas champions de la production de porcs mais de la… consommation 

    Interrogé par Euronews, le journaliste du Guardian s'est borné à répondre que « si les cochons ont été abattus, c'est qu'ils ont bien existé ». Certes, mais cela revient à comparer un flux à un stock, ce qui n'a pas grand sens. Selon des sources du ministère de l'Agriculture, citées par Euronews, la différence importante entre le nombre effectif de cochons et le nombre d'animaux abattus s'expliquerait par le taux de féconditétaux de fécondité élevé et le fait que de nombreux animaux sont abattus dans les jours ou les semaines suivant leur naissance.

    L'industrie porcine espagnole est-elle si énorme ? Nous avons calculé le nombre de porcs par habitant d'après les données de l'organisme européen de statistiques Eurostat. L'Espagne compte 64 porcs pour 100 habitants, contre 224 au Danemark et 72 aux Pays-Bas. Elle n'est donc que troisième. De plus, l'Allemagne abat davantage de porcs et produit plus de viande que l'Espagne, avec 57,9 millions d'animaux abattus en 2017 (23 %) contre 50,1 millions pour l'Espagne (20 %).

    La production de porcs en Europe. Source : Eurostat. © C.D, Futura

    La production de porcs en Europe. Source : Eurostat. © C.D, Futura

    Chaque porc nécessite 15 litres d’eau par jour

    Concernant la consommation, en revanche, le pays ressort bien en première place : avec 54,9 kgkg par habitant et par an, les Espagnols devancent la Pologne (54,1 kg) et l'Autriche (51,8 kg). Les Français, eux, se « contentent » de 32,3 kg par an. 

    Ce qui est certain, c'est que l'Espagne a bien vu sa production fortement augmenter ces dernières années, comme le montrent les statistiques du ministère de l'Environnement espagnol. Selon Público, la croissance est tirée essentiellement par les exportations, qui ont augmenté de 6,2 % l'an dernier. Les Asiatiques, notamment les Japonais et les Chinois, apprécient de plus en plus le jambon ibérique, considéré comme un produit de luxe. Les producteurs espagnols sont ainsi les premiers importateurs de jambon en Chine, loin devant l'Italie et la France. Là-bas, un jambon entier de cochon noir ibérique, le fameux « Pata negra » qui se nourrit exclusivement de glands, peut coûter jusqu'à 3.000 euros.

    Cet élevage de plus en plus intensif s'accompagne de nombreuses dérives. En février 2018, l'association Animal Equality avait filmé dans une ferme espagnole des scènes d'une cruauté inégalée : porcs déformés par des hernies géantes et des abcèsabcès, ulcères gravement infectés, cannibalisme, animaux morts en putréfaction et des bêtes incapables de se tenir debout en raison de leur trop grande faiblesse. Certaines photos sont les plus choquantes jamais prises sur le territoire européen, avaient affirmé les militants de l'association, s'inquiétant également du fait que ces animaux dans un état déplorable puissent être envoyés dans les abattoirs et être déclarés « propres à la consommation ».

    L'élevage intensif génère également un impact écologique majeur. L'élevage est aujourd'hui le quatrième émetteur de gaz à effet de serre de l'Espagne après le transport, la production d'électricité et l'industrie, d'après le gouvernement. Les porcs sont aussi responsables de 27 % des émissionsémissions d'ammoniacammoniac dans l'atmosphère. De plus, chaque cochon nécessite 15 litres d'eau par jour pour la nourriture et le nettoyage, soit au total l'équivalent de la consommation des villes de Saragosse, Alicante et Séville cumulées. Dans plusieurs régions, les nitrates issus du lisier sont accusés de contaminer les nappes phréatiques. Plusieurs associations réclament à présent un moratoire contre l'installation de fermes de grande taille, alors que certaines localités continuent de subventionner leur installation.

    Devant les pressionspressions, le gouvernement espagnol a décidé de réagir et travaille sur un texte visant à instaurer des règles « permettant un développement de l'industrie porcine compatible avec les objectifs en matièrematière d'hygiène, de santé et de bien-être animal et d'environnement ». Il vise également à renforcer les exigences pour la gestion des boues et du lisier, dont l'Espagne est le principal producteur européen.

    Les algues vertes prolifèrent en Bretagne en raison des nitrates issus des déjections porcines. © Steluma, Flickr

    Les algues vertes prolifèrent en Bretagne en raison des nitrates issus des déjections porcines. © Steluma, Flickr

    En Bretagne, la prolifération des algues vertes

    Quid de la France, troisième producteur européen avec 23,4 millions de porcs abattus en 2017 (9 % de la production européenne) ? La Bretagne, où se concentrent 58 % des cochons français, est confrontée depuis de longues années au phénomène des algues vertes, qui prolifèrent en raison de la concentration élevée de l'eau en nitrates issus des déjections porcines. En pourrissant, ces dernières dégagent du sulfure d’hydrogène, un gazgaz malodorant et toxique.

    En 2009, un cheval était mort intoxiqué par des algues en décomposition sur une plage des Côtes d'Armor. Le 8 septembre 2016, un joggeur est décédé dans la baie de Saint-Brieuc (Côtes d'Armor) d'une intoxication aiguë peut-être attribuable au sulfure d'hydrogènesulfure d'hydrogène dégagé par les algues vertes. La situation est cependant en progrès. En 1995, le taux moyen de nitrates dans les cours d'eau bretons atteignait 51,6 mg par litre. En 2015, cette moyenne n'atteignait plus que 33,6 mg par litre, grâce aux efforts entrepris par les agriculteurs bretons pour réduire leur empreinte environnementale.