Récemment, deux grands pays d'élevage, la Hollande et la Nouvelle-Zélande ont décidé de réduire drastiquement leur cheptel pour des raisons environnementales, ce qui provoque évidemment de grandes manifestations de protestation de la part des éleveurs. Dans le même temps, la Chine a inauguré une nouvelle porcherie urbaine de 26 étages, pouvant contenir jusqu'à 660 000 cochons. C'est une excellente occasion de faire le point sur l'élevage dans le monde et de se demander : élève-t-on déjà trop d'animaux par rapport à ce que la Planète peut supporter ? Ou sont-ils « seulement » mal répartis ?


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    La population du monde va bientôt franchir le cap des 8 milliards d'habitants, très probablement avant la fin de l'année 2022L'humanité a franchi le cap du premier milliard autour de 1800, après des millénaires de croissance lente, le deuxième milliard a mis seulement 130 ans à arriver (en 1930). Le troisième n'a mis que 30 ans (en 1960), le quatrième, 15 ans (en 1974), le cinquième, 13 ans (en 1987), les sixième et septième, seulement 12 ans (en 1999 et 2011) et le huitième aura mis à peine 11 ans (en 2022).

    Il faut se rendre compte que, à chaque jour « normal » sur terre, 360 000 bébés viennent au monde, alors que « seulement » 160 000 personnes meurent (toutes causes confondues). L'humanité s'accroit donc quotidiennement de 200 000 personnes, l'équivalent de la population de villes comme Rennes ou Reims tous les 10 jours, l'équivalent de la population de Paris !Heureusement, les démographesdémographes nous disent que ça ne va pas continuer indéfiniment. Il est maintenant très probable que l'on dépassera avant la fin du siècle les 10, puis les 11 milliards, mais que l'on n'atteindra jamais les 12 milliards.

    Légende de l'imageÉvolution de la population mondiale. © Bruno Tertrais, <em>Le défi démographique : mythes et réalités</em> (2018)
    Légende de l'imageÉvolution de la population mondiale. © Bruno Tertrais, Le défi démographique : mythes et réalités (2018)

    Les humains ne sont pas les seuls frappés par la surpopulation, les animaux également

    Chacun sait que, malheureusement, l'action de l'Homme diminue de façon très rapide et absolument dramatique la biodiversité sur la Planète. La déforestation, l'urbanisation, l'épandage de pesticidespesticides, la chasse etc. font de tels dégâts que l'on prévoit maintenant une nouvelle extension globale des espècesespèces.

    D’après l’index « planète vivante » du WWF, la taille de la faune sauvage terrestre a diminué de 69 % entre 1970 et 2020. Mais le plus préoccupant encore est la diminution, difficile à évaluer mais bien réelle, de la faune microscopique des sols (bactéries, champignons, etc.), qui est à la base de leur fertilité…  © WWF
    D’après l’index « planète vivante » du WWF, la taille de la faune sauvage terrestre a diminué de 69 % entre 1970 et 2020. Mais le plus préoccupant encore est la diminution, difficile à évaluer mais bien réelle, de la faune microscopique des sols (bactéries, champignons, etc.), qui est à la base de leur fertilité…  © WWF

    Mais ceci est en partie compensé par l'augmentation très importante de la population des animaux élevés pour leur viande, leur lait, leurs œufs, leur laine, etc. Par exemple, l'on compte actuellement sur terre 1,7 milliard de bovins, lesquels consomment énormément de ressources, puisqu'à eux seuls, ils pèsent plus que l'humanité entière ! On compte actuellement une vachevache ou un buffle pour cinq humains sur terre. Mais la répartition n'est pas du tout homogène, puisqu'en Amérique, on en est déjà à une vache pour deux humains. Certains pays ont été beaucoup plus loin que d'autres dans la surpopulation bovine, qu'on la mesure par densité de bovins au kilomètre carré ou par nombre de bovins par habitant. 

     Où sont élevés les 1,7 milliard de bovins dans le monde ? © Bruno Parmentier 
     Où sont élevés les 1,7 milliard de bovins dans le monde ? © Bruno Parmentier 
    Dans certains endroits du globe, on compte plus de 250 bovins en moyenne par KM<sup>2</sup> ! © livestockgeor-wiki
    Dans certains endroits du globe, on compte plus de 250 bovins en moyenne par KM2 ! © livestockgeor-wiki

    Mais ce n'est pas tout ! Par exemple en Europe, on observe que ce sont dans les mêmes régions qu'il y a à la fois la plus forte densité de vaches, de porcs et de poulets. Cela pose d'énormes problèmes d'approvisionnement, puisque l'on ne peut pas les nourrir avec les végétaux locaux et que, pour ce faire, on importe massivement du maïsmaïs et du sojasoja. Le soja mangé par les animaux d'élevage européen couvre environ 20 millions d'hectares en Amérique latine, soit l'équivalent de la surface agricole utile de la France...

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    La Commission européenne veut interdire les importations de produits issus de la déforestation

    En Europe, ce sont souvent dans les mêmes régions que l’on observe la plus grande densité de bovins, de porcs et de poulets, comme en Bretagne, en Hollande, au Danemark, en Pologne, en Lombardie, etc. © FAO
    En Europe, ce sont souvent dans les mêmes régions que l’on observe la plus grande densité de bovins, de porcs et de poulets, comme en Bretagne, en Hollande, au Danemark, en Pologne, en Lombardie, etc. © FAO

    En France, la région Bretagne, qui compte 3,3 millions d'habitants, élève également 750 000 vaches, 7,3 millions de cochons, 34 millions de poules pondeuses, 125 millions de poulets et 70 millions de dindes ! Elle est évidemment incapable de les nourrir tous avec ses propres végétaux et en importe massivement, en particulier 95 % de ses protéinesprotéines végétales viennent d'Amérique latine.

    Départements qui comptent plus de vaches et de cochons que d’habitants. © Bruno Parmentier. Source : JulesGrandin 
    Départements qui comptent plus de vaches et de cochons que d’habitants. © Bruno Parmentier. Source : JulesGrandin 

    Cette forte concentration provoque des problèmes de pollution de tous ordres, en particulier à cause des déjections qui entrainent des pollutions des sols, des nappes phréatiquesnappes phréatiques et des bords de mers.

    Mais aussi, il convient de mentionner que la contribution des émissionsémissions de gaz à effet de serregaz à effet de serre des bovins est absolument considérable, car ils émettent énormément de méthane lors de leur rumination, un gaz malheureusement 23 fois plus réchauffant que le gaz carboniquegaz carbonique, ce qui fait qu'en gros une vache réchauffe autant la Planète qu'une voiture.

    On peut toujours argumenter que la prairie sur laquelle elle broute, fixe, elle, du gaz carbonique, contrairement à l'autoroute sur laquelle circule la voiturevoiture. Mais c'est un argument relativement faible puisque l'on peut faire remarquer que, s'il n'y a pas de vache sur la prairie, ou s'il n'y a pas de prairie, il y aura à cet endroit d'autres plantes qui fixeront le gaz carbonique ; la fixation de ce gaz n'est donc pas intrinsèquement liée à la présence de vaches.

     Les bovins émettent énormément de méthane lors de leur rumination… suffisamment pour réchauffer presqu'autant la Planète qu’une voiture. © Bruno Parmentier
     Les bovins émettent énormément de méthane lors de leur rumination… suffisamment pour réchauffer presqu'autant la Planète qu’une voiture. © Bruno Parmentier

    La Nouvelle-Zélande envisage de diminuer fortement sa production laitière, qui est pourtant sa principale source de revenus !

    On peut observer que onze pays du monde élèvent plus de bovins qu'ils ne comptent d'habitants ! Parmi ceux-là, la Nouvelle-Zélande, petit pays de moins de 5 millions d'habitants (l'équivalent d'une région française) mais énorme éleveur, puisqu'il en est à 15 millions de vaches, plus 30 millions de moutons, soit 3 vaches et 6 moutons par habitant !

    Le gouvernement de la Nouvelle-Zélande, qui veut tenir ses engagements en matièrematière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, s'est aperçu que la moitié des émissions du pays viennent des pets et autres rots de ses vaches et de ses moutons... qu'il a donc décidé de taxer !

    Le projet consiste à inciter financièrement les propriétaires d'élevages bovins et ovins à transformer leurs exploitations en forêts. Le gouvernement prévoit en effet de réduire d'environ 20 % d'ici à 2030 les surfaces consacrées à l'élevage de bœufs et de moutons. Les fonds récoltés serviront à financer la transition et à faire des recherches pour réussir à élever des ruminants qui produisent moins de gaz à effet de serre.

    Un projet qui pourrait bien mettre le pays en crise quand on songe qu'il est actuellement le premier exportateur mondial de produits laitiers et que les produits agricoles et agroalimentaire représentent 57 % des exportations du pays. Affaire à suivre assurément !

     Onze pays du monde élèvent plus de bovins qu’ils ne comptent d’habitants. En Uruguay et en Nouvelle Zélande, c’est trois fois plus ! (chiffres FAO et Ined). © Bruno Parmentier 
     Onze pays du monde élèvent plus de bovins qu’ils ne comptent d’habitants. En Uruguay et en Nouvelle Zélande, c’est trois fois plus ! (chiffres FAO et Ined). © Bruno Parmentier 

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    La sécheresse augmente nécessairement le prix de certains aliments, par Bruno Parmentier

    Les Pays-Bas croulent sous les déchets de leurs élevages

    Les Pays-Bas, petit pays densément peuplé de 17 millions d'habitants, élèvent aujourd'hui 3,7 millions de bovins, mais aussi 11 millions de cochons et 100 millions de poulets. Son agricultureagriculture est très intensive et très polluante... et là aussi, très exportatrice. Dans ce cas, ils se sont fixés sur la production gigantesque de déchetsdéchets azotés issus des déjections animales, beaucoup trop importante pour être absorbée par les sols agricoles. Rappelons que le protoxyde d'azoteprotoxyde d'azote largement émis par la décomposition de ces déjections (fumiers de vaches, fientesfientes de poulets, lisiers de porcs) est, lui, 298 fois plus réchauffant que le gaz carbonique !

    Nombre de bovins par personne dans l'Union européenne. © Bruno Parmentier
    Nombre de bovins par personne dans l'Union européenne. © Bruno Parmentier

    Le gouvernement dit que, pour lutter efficacement contre l'azote, il faut qu'un tiers des exploitations agricoles arrête ses activités, et qu'un autre tiers se reconvertisse, ce qui fait quand même 60 % des fermes. Cela veut dire que 30 000 et 50 000 entreprises agricoles du pays sont dorénavant en danger. Ils ont débloqué 7 milliards d'euros pour aider à la transition, et comptent en particulier sur le départ à la retraite des 60 % d'agriculteurs qui ont plus de 50 ans.

    On voit bien sur cet exemple les contradictions de plus en plus difficiles à gérer en Europe entre l'indépendance alimentaire, le commerce international de ces produits (qui rapporte beaucoup de devises et contribue à lutter contre la faim dans le monde) et les exigences de l'écologieécologie et de la limitation du réchauffement...

    À l’inverse, la Chine investit dans des élevages méga intensifs

    Du temps de Mao, quand les Chinois n'étaient que 700 millions, ils ne consommaient en moyenne qu'environ 15 kilos de viande par an et par personne. Aujourd'hui, ils sont 1,4 milliard et ils consomment plus de 60 kilos de viande par personne (contre 80 en France !). Autrement dit, la Chine a multiplié par 8 sa consommation de viande en quelques décennies seulement. Cela ne s'est évidemment pas fait sans investissements énormes. Heureusement pour la survie de l'humanité, ils sont encore très largement intolérants au lait et en consomment peu. Ils n'ont donc « que » 88 millions de bovins (à peine plus de 0,6 par habitant). Mais ils se rattrapent largement sur le porc, le poulet et le canard.

    Songeons qu'il y a environ un milliard de cochons sur terre, dont la moitié est en Chine, soit environ 500 millions de têtes. Dans la période récente, ils ont été massivement touchés par l'épidémieépidémie de fièvre porcine africaine qui les a obligés à abattre 40 % de leur cheptel. Maintenant qu'ils ont à peu près vaincu cette maladie, ils veulent reconstituer leur potentiel de production, et diminuer drastiquement leurs importations, lesquelles avaient flambé au plus fort de la crise. On parle bien là de centaines de millions de cochons, et ils ne vont pas les produire dans des petites exploitations de 50 porcs ! D'autant plus que les petits paysans qui avaient de petits élevages ont souvent fait faillite au moment de l'épidémie et n'avaient plus les moyens d'investir.

    D'où leur fierté d'avoir ouvert en pleine ville un immeuble de 26 étages pouvant élever 600 000 porcs chaque année. On vend les porcs à l'âge de 6 mois, donc il y en aura 300 000 en permanence. Ils mangent chacun en moyenne 1 kilo de nourriture par jour, il faut dont acheminer 300 tonnes de céréalescéréales et oléagineuxoléagineux quotidiennement. Ils doivent aussi stocker, puis traiter (par méthanisation) les 500 litres de lisier que chaque porc produit dans sa vie, et trouver les espaces pour épandre les reliquats de cette méthanisationméthanisation...

    Mais qui sommes-nous pour dire à 1,4 milliard de Chinois comment ils doivent produire leur nourriture, alors que nous mangeons encore plus de viande qu’eux ?

    Cela paraît évidemment totalement déraisonnable aux yeuxyeux de Français pour lesquels un élevage « industriel » commence à une centaine de truies... Mais qui sommes-nous pour dire à 1,4 milliard de Chinois comment ils doivent produire leur nourriture, alors que nous mangeons encore plus de viande qu'eux, plus plein de laitages ? Et d'ailleurs, cet élevage est très spectaculaire parce qu'il est en ville et en hauteur, mais ils ont déjà au moins un élevage à la campagne et à plat qui produit plus de 2 millions de cochons à l'année !

    Dans les deux cas, il y a très peu d'hommes qui rentrent dans ces bâtiments pour les maintenir en confinement strict et tenter de juguler l'épidémie « à la chinoise ». L'essentiel du travail est effectué par des robots télécommandés et la surveillance via de très nombreuses caméras, y compris à infrarougeinfrarouge pour détecter les fièvresfièvres, des technologies que les Chinois maîtrisent parfaitement !

    Un autre monde décidemment : un élevage de porc moyen en France produit 3 400 porcs par an !

    Élevage de cochons en Chine, dans la ville d’Ezhou, à proximité de Wuhan. Capacité de production 650 000 animaux par an sur 26 étages. Capture d'écran, Weibo
    Élevage de cochons en Chine, dans la ville d’Ezhou, à proximité de Wuhan. Capacité de production 650 000 animaux par an sur 26 étages. Capture d'écran, Weibo

    Tout ceci doit nous encourager à consommer beaucoup moins de viande en Europe

    Ces exemples montrent à quel point notre consommation effrénée de viande, de lait et d'œufs représente un désastre pour la Planète. Songeons qu'un Français moyen carnivorecarnivore consomme à lui tout seul dans sa vie 7 bœufs, 33 cochons et 1 300 poulets, plus 20 000 œufs et 32 000 litres de lait.

     Entre 1961 et 2020, la population du monde est passée de 3 à 7,8 milliards, soit un facteur multiplicatif de 2,6. Dans le même temps, on a multiplié par 6,2 la production d’œufs et 4,7 la production de viande dont 14,9 la production de poulets. On mange donc beaucoup mieux sur une Planète de 8 milliards d’habitants que quand il n’y avait que 3. (Chiffres FAO). © Bruno Parmentier
     Entre 1961 et 2020, la population du monde est passée de 3 à 7,8 milliards, soit un facteur multiplicatif de 2,6. Dans le même temps, on a multiplié par 6,2 la production d’œufs et 4,7 la production de viande dont 14,9 la production de poulets. On mange donc beaucoup mieux sur une Planète de 8 milliards d’habitants que quand il n’y avait que 3. (Chiffres FAO). © Bruno Parmentier

    Si toute l'humanité adoptait la gastronomie française lorsque nous serons 10 milliards, cela voudrait dire qu'il faudrait élever 70 milliards de bœufs, 330 milliards de cochons et 13 000 milliards de poulets... Pas sûr ce que les ressources de la Planète suffisent !

    Bravo donc les agriculteurs et les éleveurs ! Mais on ne pourra pas continuer cette croissance. Pour vivre en paix avec la Planète et surtout entre nous, il importe que ceux qui consomment beaucoup trop de viande diminuent fortement leur consommation, pour que ceux qui n'en mangeaient jamais puissent y accéder de temps en temps. Au nom de quoi refuserions nous la « poule pour le dimanche » aux Africains ? Cela suppose donc de ne pas trop augmenter la taille du cheptel mondial, et de le répartir autrement sur la Planète. Nettement moins en Nouvelle-Zélande, aux Pays-Bas et en Bretagne... davantage en Asie et en Afrique en particulier.

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    Bruno Parmentier : « le monde a atteint son quota de ruminants »

    De fait, en Europe, nous avons pratiquement atteint notre quota de ruminants, compte tenu des prairies disponibles, et les conséquences du réchauffement de la Planète font qu'elles produiront moins d'herbe et de foin à l'avenir, comme nous avons pu le constater avec les sécheressessécheresses de l'été 2022. Toute nouvelle vache qui est ajoutée au troupeau est donc rapidement, ou au moins partiellement, transformée en granivoregranivore et mange du maïs et du soja d'Amérique latine. Ceci, entre autres, provoque plus de déforestation en Amazonie.

    Une fois que les chèvres ont mangé le dernier arbuste, il ne reste plus qu’à migrer et laisser le désert s’installer. © Adobe stock, Sandra
    Une fois que les chèvres ont mangé le dernier arbuste, il ne reste plus qu’à migrer et laisser le désert s’installer. © Adobe stock, Sandra

    Dans de nombreux pays du Sud, l'introduction de nouvelles chèvres accentue le surpâturage et transforme progressivement les savanes en désertdésert ; à titre d'exemple, le Sahara ne cesse de gagner sur le Sahel, le désert de Gobi envahit la Mongolie et la Chine, et l'Australie se désertifie entièrement. Dans toutes ces régions, il convient donc de ne trop pas augmenter la taille des troupeaux... sans même parler des émissions de méthane qui réchauffent la Planète.

    On peut probablement aussi avancer que la Planète ne peut pas supporter beaucoup plus qu'un milliard de cochons. Heureusement, il reste quelques marges de manœuvre pour les animaux qui ont le meilleur taux de rendement dans la transformation de protéines végétales en protéines animales : les volailles et les poissonspoissons d'élevage, eux-mêmes en partie nourris avec des insectesinsectes.