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    Dans le cadre de la Fête de la science du 10 au 14 octobre 2012, Hervé ThisHervé This, éminent physicochimiste plus connu pour ses interventions « science et cuisine », a répondu aux questions des internautes. Cette page regroupe les questions liées à l'accessibilité de la cuisine note à note. Sur cette page est retranscrite la première partie du tchat avec Hervé This, spécialiste de la cuisine note à note, qui a eu lieu en partenariat avec Futura-Sciences le 10 octobre 2012. © DR

    © Hervé This - Tous droits réservés

    © Hervé This - Tous droits réservés

    Bonjour à toutes et à tous, nous avons le plaisir d'accueillir Hervé This, le cofondateur de la gastronomie moléculaire. Il répond en direct à vos questions.

    GroupeTPE9 : Quelle est la grande différence entre la cuisine moléculaire et la cuisine traditionnelle ?

    La différence entre cuisine moléculaire et cuisine traditionnelle ? Interrogeons les mots. Cuisine traditionnelle, c'est assez flou, parce que la tradition des Provençaux n'a rien à voir avec celle des Bretons ou des Alsaciens. Cela étant, il faut quand même considérer que certains pensent, avec la terminologie « traditionnelle », à la cuisine qui se fait avec des viandes, poissonspoissons, légumes, fruits, œufs... De ce point de vue, la cuisine moléculaire n'apporte aucun changement : la définition de la « cuisine moléculaire », c'est d'utiliser des ustensiles modernes, des outils techniquement plus évolués que les casseroles, les fouets, les mortiers et pilons, etc. Je répète : la définition de la cuisine moléculaire est : « une cuisine qui se fait avec de nouveaux ustensiles, de nouvelles méthodes, de nouveaux ingrédients », avec « nouveau » = ce que n'avait pas Paul Bocuse dans sa cuisine en 1976, quand il a publié La Cuisine du marché.

    Ousmane : Je suis commis et je me demande en quoi votre cuisine est accessible au grand public.

    Prenez par exemple le « chocolat chantilly » : la recette est « Dans une casserole, mettre 200 g d'eau, 230 g de chocolat à croquer, chauffer. Puis quand le mélange est fait, poser la casserole sur des glaçons ou dans de l'eau froide, et fouetter ». On obtient alors comme une crème fouettée, mais c'est le chocolat qui moussemousse. Autrement dit, on a une mousse au chocolat sans œufs. C'est donc plus économique que la mousse au chocolat, puisqu'on ne paye pas les œufs ! Et l'eau peut être remplacée par jus d'orange, café, thé, etc. Vous le voyez, c'est donc parfaitement accessible à tous. D'ailleurs, je crois avoir vu il y a plusieurs mois, sur InternetInternet, une petite fille de 6 ans qui faisait une vidéo de démonstration. Autre exemple : la semaine dernière, avec des élèves d'école hôtelière, nous avons battu le record du plus gros volume de blanc d'œuf battu en neige à partir d'un seul œuf : 40 litres !!!!!! Le coût : 1 œuf, 1 casserole, 1 fouet... et de la Connaissance. N'est ce pas plus économique ?

    nanmum : Vous parlez de gastronomie moléculaire et non de cuisine moléculaire. Il y a une différence ?

    Merci de la question. Oui, une différence essentielle !!! La gastronomie moléculaire, c'est de la physiochimie, pour des chimistes, des physiciensphysiciens, dans des laboratoires. On part des phénomènes qui ont lieu quand on cuisine, mais pour en chercher les mécanismes. La cuisine moléculaire, d'autre part, c'est de la cuisine. Pour les cuisiniers, donc. 

    lucille : Pensez-vous que la cuisine note à note remplacera la cuisine traditionnelle ?

    En matière artistique, l'art ne procède pas par remplacement, mais par ajout. Mozart n'a pas remplacé Bach, et Lady Gaga ne remplace par les Beatles. Idem en peinture, en sculpture, en littérature, ou en cuisine. Donc au début en tout cas, la cuisine note à note s'ajoutera (en réalité, elle s'ajoute déjà aujourd'hui, car son développement est explosif, dans le monde). 

    julien a : Je viens de lire un article sur le gaspillage alimentaire et je trouve ça honteux : est-ce que votre manière de voir la cuisine va dans le bon sens ?

    Vous posez une question essentielle. Un rapport vient de confirmer le chiffre de 45 % de gaspillage, entre le champ et l'assiette. Selon les estimations de la semaine dernière, on oscille entre 35 et 50 %. Or ce gaspillage n'est pas le fait de la négligence, seulement, mais des circonstances qui entourent la cuisine. En été, quand vous mangez des fraisesfraises, il a fallu qu'elles soient mises dans des barquettes, et transportées, qu'elles attendent le client, etc. Or la cuisine note à note a été proposée exprès pour éviter cela. Ce qui signifie que si l'on évite 50 % de gaspillage, on multiplie la production agricole mondiale par 2 ! Pour éviter cela, il faudra enseigner aux agriculteurs à fragmenter les produits agricoles, ce qui aura de surcroît l'avantage que l'on évitera de transporter de l'eau (une tomatetomate, c'est 95 % d'eau). Je répète enfin partout que nous avons devant nous : - une crise de l'énergie - une crise de l'eau - 9 milliards d'humains à nourrir bientôt. Mais, inversement, nous ne devons pas tarder à apprendre à cuisiner les fractions que les agriculteurs pourront produire.

    Gatsu : Bonjour à tous. Première question naïve : quel est l'effet de l'ajout du sel sur la stabilité des blancs en neige ?

    Aucun... Mais je sais aussi que rien ne remplace l'expérience (qui est difficile à faire). Bon courage pour les tests. D'ailleurs, c'est ce genre de tests que je propose de faire dans les Ateliers expérimentaux du goût, ou bien dans les Ateliers science & cuisine (programme des collèges). 

    OrqueOrque : Monsieur This, je vous ai déjà entendu à la radio il me semble et je vous avais trouvé passionnant : collaborez-vous vous-même avec des grands chefs de la cuisine disons « traditionnelle » ? Merci à vous !

    Merci du message. Est-ce que je « collabore » ? Disons que je cherche à les aider. Et Pierre Gagnaire est mon ami, surtout. Pour la cuisine note à note, j'ai fait plusieurs ateliers (gratuitement bien sûr) pour les chefs des Toques blanches internationales. Et de nombreux cuisiniers viennent aux Cours annuels (cette année, les 4 et 5 février sur le thème « Manger : comment la considération de l'objectif détermine-t-elle la pratique culinaire ») et aux séminaires mensuels. Tout est public, et gratuit. 

    tex : Que pensez-vous des nouvelles émissions culinaires qui mêlent concours et convivialité, est-ce que votre cuisine déjà assez éloignée des sentiers battus pourrait trouver sa place dans ce genre de shows ?

    Qu'est-ce que je pense des émissions ? Je n'ai pas la télévision, mais si vous me dites qu'il y a de la convivialité, tant mieux : j'ai publié il y a quelques années un livre auquel je crois beaucoup, et dont le titre disait le projet : La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique. Est-ce que la cuisine note à note pourrait y trouver sa place ? OUI !!!!! Et ce serait merveilleux d'avoir une telle promotion. Je vous parie que cela viendra bientôt... puisque une équipe de télévision sort à l'instant du laboratoire ;-) 

    blondie : C'est une cuisine réalisable au quotidien ou uniquement réservée aux grandes occasions ?

    C'est une cuisine très facile à faire. Mieux : plus économique, plus rapide, plus facile. Mais pour l'instant, je pousse les chefs à préparer des recettes. Certaines sont déjà dans mon livre qui vient de sortir, et je vais en mettre le plus possible en ligne. D'autre part, permettez moi une précision : AFIN que la cuisine note à note s'introduise rapidement, j'aide d'abord les chefs étoilés à la faire, parce que l'expérience dit que l'espèceespèce humaine a besoin de l'argument d'autorité, qui fut utilisé par Parmentier pour généraliser la pomme de terrepomme de terre en France : en la faisant manger au roi, il a poussé tout le monde à vouloir des pommes de terre. Cette stratégie est celle que j'ai utilisée pour populariser la cuisine moléculaire, et je la reprends pour la cuisine note à note. Autrement dit, vous verrez d'abord dans la presse de la cuisine note à note chez des chefs étoilés, pour des menus très coûteux, avant de la voir chez tous les Français. Mais ne vous y trompez pas : ce qui m'intéresse, en tant qu'agent de l'État, payé par les contribuables français, c'est que tous puissent en bénéficier. Et, au passage, nous enrichirons les agriculteurs, ce qui est un projet politique essentiel.

    Joker : Bonjour, je souhaiterais m'initier à la cuisine note à note, certaines de vos recettes m'ont titillé les papilles... Cependant, je ne trouve que peu de composants dans le commerce. Existe-il un risque de santé important en mélangeant en mauvaises quantités, certains ingrédients, d'où une réglementation sur la vente ? Et où trouver les ingrédients ailleurs que sur Internet ? (Pas confiant sur la qualité, ni sur la provenance).

    Ça c'est une question compliquée pour un chat. Oui, pour l'instant, on ne trouve pas encore facilement tous les produits, mais j'ai mis sur le Forum Cuisine note à note d'Agroparistech une liste d'adresses. Pour les agents de consistance, c'est assez bien réglé. Pour la saveur, il y a encore à créer des sociétés qui vendront cela. Pour les odeurs, je pousse des jeunes entrepreneurs à faire des sociétés qui vendront des dilutions des composés odorants. Tout cela est en train de se faire gentiment... Mais vous devez (pouvez) savoir que nous en sommes au tout début, comme quand je présentais la cuisine moléculaire, il y a 30 ans. À l'époque, mes amis cuisiniers me demandaient comment se procurer de l'azote liquideliquide... et les sociétés ont finalement fait des filiales de distribution. Si vous demandez aux grosses sociétés des produits, ils seront poussés à faire ce qu'il faut. Militons. Pour la « formation », je ne doute pas, aussi, que nous aurons des formations. Il y en a eu une, le 8 juin dernier, à l'Ecole Cordon bleu, à Paris. Il y aura une formation lors du Téléthon prochain, je crois à l'Hôtel Renaissance La Défense (pas sûr, demandez leur).

    Risque santé ? Ce n'est pas vraiment le mélange que l'on doit craindre. Surtout, on peut mettre ce que l'on veut. Les composés odorants sont en quantités infimes, partie par million. Pour les composés sapides, pas beaucoup de problème. Pour les couleurscouleurs, il y a les colorants admis comme additifs, dont la sécurité a été testée depuis longtemps. Pour les consistances, j'aurais tendance à penser qu'il n'y a pas de problème. Et puis, pourquoi ne s'interroge-t-on pas plutôt sur les dangers des benzopyrènes, dont les viandes grillées sont pleines ? Il y a quoi rire (jaune)... ou militer pour plus de diffusiondiffusion de l'information saine, pas partisane, sur la toxicitétoxicité des ingrédients alimentaires, et cela passera par l'enseignement de la chimiechimie. Qu'est-ce qu'un composé, un produit, une moléculemolécule ? Sans comprendre cela, j'ai peur qu'on ait du mal à manger sain, et sereinement. Attention, aussi : notre monde est plein de marchands de peur !