La Terre semble bien avoir été formée à partir de corps célestes dont la composition est proche de celle de certaines météorites, les chondrites à enstatite. Mais les modèles qui s'appuient sur cette hypothèse conduisent à une énigme. Un groupe de chercheurs français du Laboratoire magmas et volcans (LMV) de l'université Blaise Pascal (à Clermont-Ferrand) pense l'avoir résolue : la composition chimique de la Terre primitive aurait été altérée par la destruction de sa croûte sous l'effet d'impacts de corps célestes.

au sommaire


    Environ 80 % des météoritesmétéorites que l'on trouve sur Terre sont des chondriteschondrites. Les autres sont des sidéritessidérites - constituées de ferfer presque pur avec du nickelnickel - et des achondritesachondrites, lesquelles sont proches des roches plutoniques et volcaniques. La composition chimique moyenne des chondrites est remarquablement similaire à celle de l'atmosphère du Soleil, d'où l'hypothèse que ces météorites proviennent du même matériaumatériau à l'origine de notre étoileétoile et qu'elles constituent donc une machine à remonter dans le temps permettant de comprendre l'origine du Système solaireSystème solaire.

    Au début des années 1950, le grand chimiste Harold Urey a exposé les résultats de ses travaux sur les météorites, et notamment les chondrites - qui sont particulièrement âgées puisqu'elles datent d'environ 4,56 milliards d'années, c'est-à-dire le début de la formation des planètes. Avec son élève Harmon Craig, il a classé les chondrites en fonction de leur richesse en fer et, surtout, selon leur contenu en particules de fer ou en fer oxydé lié à des silicates.

    Il s'est avéré qu'une classe particulière de chondrites, les chondrites à enstatite, était en mesure d'illuminer le mystère de l'origine de la Terre et de sa structure différenciée avec un noyau, un manteaumanteau et une croûtecroûte. En effet, lorsque l'on retire d'une chondrite à enstatite les particules de fer natif qu'elle contient, le résidu est chimiquement très proche des péridotites, les roches qui constituent une large part du manteau de la Terre. Mieux, le rapport entre la proportion de fer dans une chondrite à enstatite et ce résidu silicaté est également proche de celui entre le contenu en fer du noyau de notre planète et son manteau silicaté.

    Le magma basaltique naît par fusion partielle du manteau vers -100 à -60 km de profondeur. Au cours de sa remontée, ce magma peut arracher des fragments de roche mantellique et les entraîner jusqu'à la surface. Les nodules verdâtres de péridotites visibles sous forme de xénolithes dans ce basalte gris de la Roche de Sauterre, en Auvergne, constituent donc des échantillons naturels du manteau. © Laurent Sacco

    Le magma basaltique naît par fusion partielle du manteau vers -100 à -60 km de profondeur. Au cours de sa remontée, ce magma peut arracher des fragments de roche mantellique et les entraîner jusqu'à la surface. Les nodules verdâtres de péridotites visibles sous forme de xénolithes dans ce basalte gris de la Roche de Sauterre, en Auvergne, constituent donc des échantillons naturels du manteau. © Laurent Sacco

    La péridotite du manteau de la Terre viendrait des chondrites

    Cela suggère donc fortement que la Terre est le produit de l'accrétionaccrétion sous l'effet de la gravitationgravitation de petits corps célestes de composition très proche de celle d'une chondrite à enstatite. La chaleurchaleur accumulée par cette accrétion et celle dégagée par les isotopesisotopes radioactifs au tout début de l'histoire de la Terre aurait ensuite conduit à la fusionfusion des particules de fer, lequel aurait ensuite coulé jusqu'au centre de la Terre.

    Rappelons que, pendant longtemps, les astrophysiciensastrophysiciens et les cosmochimistes étaient divisés en deux écoles quant à l'origine des planètes. L'école anglo-saxonne voyait la formation des planètes comme une condensationcondensation rapide de zones de surdensité dans le disque protoplanétairedisque protoplanétaire entourant le jeune SoleilSoleil. L'école soviétique issue des travaux d'Otto Schmidt et surtout de Viktor Safronov soutenait quant à elle que les planètes s'étaient formées à partir de petits cailloux qui, par effet boule de neige, avaient engendré des corps célestes de quelques dizaines de kilomètres environ. Ces planétésimaux sont ensuite entrés en collision, conduisant à la formation des protoplanètes.

    Le programme Apollo et les observations des autres planètes dans le Système solaire de la fin des années 1960 à la fin des années 1970 ont montré que Schmidt et Safronov avaient raison et que des planètes comme MercureMercure et la LuneLune portaient encore la trace de l'important bombardement de météorites, astéroïdesastéroïdes et comètes accompagnant cette accrétion. L'origine de la Terre semblait désormais bien comprise...

    La presse multi-enclume du laboratoire Magmas et volcans. © LMV

    La presse multi-enclume du laboratoire Magmas et volcans. © LMV

    Une presse multi-enclume peut explorer la physique du manteau

    Toutefois, des analyses fines de la composition des chondrites à enstatite ont conduit les cosmochimistes à des énigmes. Si le matériau de base de la formation de la Terre est bien celui des chondrites à enstatite, alors pourquoi la composition chimique de sa croûte et celle de son manteau, déduite par exemple des nodules de péridotites retrouvés en surface dans des basaltes comme ceux de la Roche de Sauterre, en Auvergne, montrent-elles un appauvrissement en siliciumsilicium et un enrichissement en magnésiummagnésium par rapport à ces météorites ? Pourquoi constate-t-on aussi un enrichissement en éléments lithophiles (des élément ayant des affinités pour la croûte et le manteau plutôt qu'avec le noyau) réfractaires, tels que l'aluminiumaluminium ou le calciumcalcium et un appauvrissement en éléments lithophiles volatils, tels que le sodiumsodium ou le potassiumpotassium ?

    Des chercheurs du CNRS pensent avoir enfin trouvé la clé de cette énigme comme ils l'expliquent dans un article paru dans Nature Communications. En effet, la presse multi-enclume du laboratoire Magmas et volcans (LMV) de l'université Blaise PascalBlaise Pascal, à Clermont-Ferrand, produit des pressionspressions entre 3 et 26 GPa avec des températures pouvant atteindre 2.000 °C. Elle permet donc de reconstituer des conditions qui règnent jusque dans le manteau supérieur de notre planète. Cet engin peut servir également à explorer la physiquephysique et la chimiechimie de la jeune Terre au tout début de l'Hadéen, lorsque sa croûte et son manteau nouvellement formés étaient encore soumis à un intense bombardement de corps célestes, juste avant la collision avec Théia, la petite planètepetite planète de la taille de Mars, qui aurait engendré la Lune.

    Les étapes de la différenciation planétaire (ségrégation du noyau, cristallisation de l’océan magmatique et formation de croûte par fusion partielle), suivies de l’érosion par les impacts, ont fait évoluer la composition chimique de la planète. Ce scénario a pu se produire sur les différents embryons planétaires qui ont contribué à former la Terre. © Asmaa Boujibar et Denis Andrault

    Les étapes de la différenciation planétaire (ségrégation du noyau, cristallisation de l’océan magmatique et formation de croûte par fusion partielle), suivies de l’érosion par les impacts, ont fait évoluer la composition chimique de la planète. Ce scénario a pu se produire sur les différents embryons planétaires qui ont contribué à former la Terre. © Asmaa Boujibar et Denis Andrault

    Des planètes différenciées que modifie l'érosion collisionnelle

    Si le fer est bien tombé rapidement au centre de la Terre, d'autres éléments sont quant à eux montés en surface pour constituer la croûte au-dessus d'un océan magmatique primitif. Les chercheurs du LMV ont donc reproduit la genèse de cette croûte en faisant fondre des chondrites à enstatite à différentes pressions. Les liquidesliquides obtenus se sont révélés très riches en silicium et très pauvres en magnésium. Il devait donc en être de même pour la croûte primitive de la Terre par rapport à son manteau. Mais comme le bombardement était encore très violent durant les premières dizaines de millions d'années de l'histoire de la Terre, cette croûte était sans cesse détruite.

    La chaleur dégagée par les impacts était importante, de sorte qu'une partie de la croûte devait se vaporiser. Une partie des éléments volatils qu'elle contenait est donc partie dans l'espace par simple évaporation tandis que certains éléments réfractaires qui, eux, ne sont gazeux qu'à très haute température, se sont rapidement condensés à nouveau. Au final, la répétition de ce processus aurait conduit aux appauvrissements et enrichissements constatés.

    Ce scénario ne s'est probablement pas produit que sur Terre mais aussi sur toutes les protoplanètes suffisamment massives pour se différencier. Ces corps célestes ont effectivement existé puisque nous en trouvons certains restes sous la forme des sidérites et des achondrites. Voilà donc une clé supplémentaire pour les cosmochimistes occupés à reconstituer la cosmogonie du Système solaire.