Depuis des décennies, géophysiciens et géochimistes sont confrontés à des données contradictoires concernant l'état de convection du manteau de la Terre impliqué dans la dérive des continents. Des cosmochimistes viennent d'éclairer l'énigme sous un nouveau jour en montrant que le noyau de la Terre pouvait avoir piégé des particules de vent solaire au début de la formation de notre Planète.


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    La sismologie et la géochimie se sont constituées comme sciences avec un corpus déjà relativement important en quelques décennies au début du XXe siècle. Elles ont fait des progrès majeurs après la seconde guerre mondiale, accompagnant largement l'essor de la théorie de la tectonique des plaques au cours des années 1960 et 1970, largement épaulées par les progrès du paléomagnétisme. Il faut dire, en ce qui concerne la sismologie, qu'elle est une clé importante de la découverte de gisements de pétrolepétrole et qu'elle permet de détecter des explosions nucléaires souterraines et d'évaluer la puissance des essais. Cartographier le champ magnétiquechamp magnétique du fond des océans était aussi un bon moyen pour pouvoir détecter plus tard des perturbations dans les cartes magnétiques causées par un sous-marin nucléaire en perdition.

    Les géologuesgéologues ont heureusement pu bénéficier des progrès de ces sciences pour faire aussi de la recherche fondamentale et l'étude des ondes sismiquesondes sismiques a confirmé que le manteau silicaté de la TerreTerre, sous sa croûtecroûte, était bien animé de mouvements de convection pouvant contribuer à la dérive des continents. Le manteau est bien sûr largement solidesolide à une échelle de temps courte de quelques jours. Mais, tout comme les glaciersglaciers peuvent s'écouler comme de l'eau sur une échelle de temps de quelques années, les roches du manteau se comportent bel et bien comme de l'eau chauffée dans une casserole à l'échelle des millions d'années.

    Pour les sismologuessismologues, c'est tout le manteau de la Terre qui est dans un état convectif. Le noyau métallique de la Terre étant partiellement liquideliquide, il devait bien être en convectionconvection lui aussi, ce qui permet d'ailleurs de comprendre l’origine de son champ magnétique, mais manteau et noyau, malgré quelques couplages physiquesphysiques, devaient largement vivre leur vie chacun de leur côté, sans se mélanger chimiquement.


    La convection du manteau expliquée par le géophysicien Hans-Peter Bunge. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © The American Museum of Natural History

    L'énigme de la convection du manteau de la Terre

    Seulement voilà, les géochimistes ne pouvaient pas être d'accord.

    En effet, en analysant les compositions isotopiques des laveslaves produites au niveau de dorsales océaniquesdorsales océaniques, on trouvait des rapports d'isotopesisotopes d'héliumhélium et de néonnéon différents de ceux émis au niveau des volcansvolcans d'Hawaï, de l'île de la Réunion ou encore de l'Islande.

    Les MORBMORB (pour Mid-Ocean Ridge Basalts, en anglais) au niveau des dorsales médio-océaniques proviennent de la fusion partiellefusion partielle du manteau supérieur à faible profondeur, environ 20 kilomètres voire à 80 kilomètres suite à la remontée d'un diapirdiapir, un panache de roches chaudes mais solides.

    Mais les laves très fluides et chaudes faisant éruption au niveau des OIBOIB (pour Ocean-Island Basalts, en anglais), leur origine est différente. Elles sont associées à ce que l'on appelle des points chauds et la matièrematière ignée qui les constitue prendrait naissance à au moins 700 kilomètres de profondeur et plus probablement à la base du manteau inférieur, à plus de 2.500 kilomètres de profondeur.

    L'interprétation la plus simple de ces données c'est que le manteau n'est pas totalement en convection car sinon sa composition chimique serait uniforme et c'est ce que l'on constaterait dans les laves en surface. Mais, on l'a dit, les sismologues ont réfuté cette affirmation.

    Plusieurs solutions ont été proposées pour résoudre la contradiction, par exemple un manteau doublement convectif et une autre d'entre elles avait été exposée par Futura dans le précédent article ci-dessous. Avec un manteau doublement convectif, on serait donc en présence de deux réservoirs chimiques qui se mélangent peu. Le manteau supérieur, qui a largement dégazé au début de l'histoire de la Terre en contribuant à la naissance de son atmosphèreatmosphère pourrait donc avoir une composition chimique différente du manteau inférieur, gardant en mémoire une composition plus primitive de la Terre.

    Des gaz rares du vent solaire piégés dans les noyaux métalliques

    Mais voilà qu'une équipe de cosmochimistes de l'université de Heidelberg vient de publier un article dans Communications Earth & Environment faisant état d'une découverte qui permet d'envisager l'énigme de la convection du manteau de la Terre sous un nouveau jour. Ils sont parvenus à analyser précisément la composition isotopique de deux gazgaz rares, l'hélium et le néon, dans une météoritemétéorite métallique de type sidéritesidérite, trouvée en 1927 aux États-Unis : la météorite Washington County.

    Les chercheurs pensent avoir procédé suffisamment soigneusement pour s'affranchir de toute contaminationcontamination et obtenir des mesures qui sont bien le reflet de la composition de cette météorite alors qu'elle faisait partie du cœur métallique d'un petit corps céleste qui s'est différencié, comme la Terre au cours des premières dizaines de millions d'années de l'histoire du Système solaireSystème solaire.

    La composition en gaz noble trouvée est très proche de celle du vent solairevent solaire et selon les chercheurs tout indique que c'est pendant la formation du petit corps céleste parent de Washington County que le matériaumatériau qui la constitue a absorbé des particules du vent solaire.

    On avait remarqué que la composition isotopique en hélium et néon dans les laves des OIB était assez proche de celle du vent solaire, contrairement à celle des MORB. On peut donc commencer à s'interroger sur la thèse généralement admise jusqu'ici d'un isolement géochimique du cœur de la Terre avec son manteau.

    Si ce cœur dégaze au cours du temps dans le manteau des particules de vent solaire piégées au moment de la formation de la Terre, il est possible que ce dégazagedégazage soit suffisamment important pour expliquer l'anomalieanomalie géochimique des OIB par rapport aux MORB tout en ayant un seul état convectif dans le manteau.

    Affaire à suivre...


    La convection du manteau terrestre, redoutable énigme peut-être résolue

    Un article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 25/01/2008

    Depuis des décennies, géophysiciens et géochimistes s'affrontent au sujet de la structure convective du manteau terrestremanteau terrestre. Y a-t-il une ou deux couches ? Un chercheur français, Francis Albarède, pense avoir tranché la question, s'offrant le luxe de réconcilier les observations des deux communautés.

    Pour les géophysiciens, cela ne faisait aucun doute. De la même manière que le bruit que fait un instrument de musique nous renseigne sur la composition et la forme du matériau le composant, les ondes sismiques enregistrées partout sur la planète indiquaient un manteau terrestre complètement brassé par de lents mais vigoureux mouvementsmouvements de convection à l'échelle géologique des millions d'années.

    « Impossible ! » répondaient les géochimistes. Si tout le manteau était une seule couche convective, alors nous n'observerions pas de telles différences entre les rapports de certains isotopes d'éléments, comme l'hélium, selon que l'on étudie les laves provenant du manteau supérieur ou du manteau inférieur.

    On sait en effet que notre planète résulte de l'accrétionaccrétion de météorites et de planétésimaux possédant une certaine composition chimique initiale moyenne rappelant celle de l'atmosphère solaire. Or, au début de l'histoire convective de notre planète, un dégazage s'est produit qui a dû appauvrir le manteau en certains de ses éléments. Si le brassage de la matière affectait la totalité  du manteau, on n'observerait pas cet appauvrissement uniquement dans les laves venant du manteau supérieur mais dans toutes les laves : il doit donc exister deux couches convectives ne communiquant pas.

    Francis Albarède. © ENS Lyon
    Francis Albarède. © ENS Lyon

    Tout le monde a raison

    Les observations et les arguments dans un sens ou dans l’autre s’accumulaient depuis des années sans que l'un des camps l’emporte vraiment. Mais les choses pourraient bien changer avec la publication dans Science d'un article de Francis Albarède, du Laboratoire des sciences de la Terre (CNRS, ENS-Lyon, Université Lyon 1). Pour lui, les isotopes, qui étaient initialement présents dans un certain rapport, comme ceux d'hélium et de néon, ne résideraient plus dans leur réservoir d'origine depuis bien longtemps. Dissous dans l'ensemble du manteau au tout début de l'histoire de la Terre, ils auraient migré très tôt dans des roches réservoirs réfractaires à la fusion et suffisamment dures pour ne pas être étirées facilement par les mouvements de convection.

    L'ensemble du manteau serait bien en convection, qui brasserait donc une seule couche, comme l'indique les données sismologiques. Mais selon les conditions de fusion dans le manteau, les noyaux réfractaires pourraient libérer les isotopes d'hélium et de néon et enrichir le magmamagma produit par la fusion partielle du manteau, conduisant aux différences observées entre les laves des dorsales médio-océaniques et celles des points chaudspoints chauds, comme ceux d'Hawaï et d'Islande.

    Ce serait ainsi la solution de l'énigme et le moyen de rendre compatibles toutes les données géochimiques et géophysiques.

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    Les deux modèles pour la convection mantellique. © Rob Butler / Clare Gordon