Il y a plus de trois millions d’années, nos ancêtres se sont mis à marcher sur leurs deux jambes. Mais l’étude d’un pied fossile d'enfant de 3,3 millions d'années montre que les plus jeunes avaient des adaptations leur permettant de grimper aux arbres comme les singes.

au sommaire


    Le petit pied, de la taille d'un pouce, fait partie d'un squelette presque complet datant de 3,3 millions d'années, qui appartient à une petite fille Australopithecus afarensis. Zeresenay Alemseged, professeur à l'université de Chicago, et un des auteurs de cette recherche, a découvert ce fossile en 2002 dans la région de Dikika en Éthiopie.

    Prénommée Selam, ce qui signifie « paix », la petite fait partie de la même espèce que Lucy, et a été trouvée dans la même région (lire l'article au bas de celui-ci). Selam, aussi connue sous son nom de code DIK-1-1, devait avoir deux ans et demi à sa mort. La presse l'a parfois surnommée « le bébé de LucyLucy », ce qui est une erreur car Selam a dû vivre plus de 100.000 ans avant Lucy.

    Dans cet article paru dans la revue Science Advances, les scientifiques décrivent l'examen du pied gauche de Selam, quasiment complet. Mesurant entre 5 et 6 cm, il a été trouvé à environ un mètre du crânecrâne. Il possède tous les tarsestarses, les bases des cinq métatarsesmétatarses et une partie des métatarses. La chevillecheville est typiquement humaine.

    Le saviez-vous ?

    Lucy est un australopithèque qui vivait il y a 3,2 millions d’années. Elle mesurait environ 1,1 m et pesait de l’ordre de 25 kg.

    Un pied surtout humain avec une adaptation pour grimper

    Jeremy DeSilva, principal auteur de l'étude, a expliqué dans un communiqué que c'était « le pied le plus complet d'un ancien juvénile jamais découvert ». Jusque-là, l'un des pieds fossiles les plus complets était celui du fossile OH 8 (Olduvai Hominid 8), un Homo habilis, datant de 1,8 million d'années.

    Le pied de Selam sous différents angles, à gauche. La barre représente 1 cm. À droite, le fossile de Selam (en bas) comparé à un fossile de pied d'un <em>Australopithecus</em> adulte (en haut). © DeSilva <em>et al.</em>, <em>Sciences Advances</em> 2018

    Le pied de Selam sous différents angles, à gauche. La barre représente 1 cm. À droite, le fossile de Selam (en bas) comparé à un fossile de pied d'un Australopithecus adulte (en haut). © DeSilva et al., Sciences Advances 2018

    Le fossile de Selam montre que l'australopithèque pouvait bien marcher sur ses deux jambes, ce qui est un atout pour échapper aux prédateurs. « Sinon, si vous êtes un mauvais marcheur, vous allez être mangé par les léopards. » Les jeunes Australopithecus afarensis avaient déjà beaucoup de caractéristiques de la bipédie présentes également chez les adultes.

    À deux ans et demi, Selam marchait déjà sur ses deux jambes, mais des indices sur son pied suggèrent qu'elle devait aussi passer du temps dans les arbres ou accrochée à sa mère. La structure du squelette du petit pied montre qu'elle avait un orteil plus mobilemobile, ce qui lui permettait de s'agripper à des branches et d'escalader : son gros orteilgros orteil avait quelque chose de proche de celui des singes. Les enfants passaient peut-être plus de temps que les adultes dans les arbres...

    Cette aptitude à grimper pouvait aider les plus jeunes, plus vulnérables, à trouver une solution, autre que la marche, pour se mettre à l'abri. « Si vous viviez en Afrique il y a trois millions d'années sans feufeu, sans structures et sans aucun moyen de défense, vous feriez mieux de monter dans un arbre quand le soleilsoleil se couche. »


    Une petite Lucy raconte la vie de l'australopithèque

    Article de Jean-Luc GoudetJean-Luc Goudet paru le 22 septembre 2006

    Découvert en Ethiopie après cinq ans d'effort et dans un état remarquable, le squelette d'une enfant d'Australopithecus afarensis, de la même famille que la célèbre Lucy, s'apprête à nous en apprendre beaucoup sur la vie de cette espèce.

    Elle n'avait que trois ans lorsqu'elle est morte, il y a 3,3 millions d'années, au milieu de la savane et son petit corps a rapidement été enseveli sous un flot de boue entraînée par la crue d'une rivière. Aujourd'hui, elle a reçu un nom, Selam, qui signifie paix en éthiopien, et lui a été donné par Zeresenay Alemseged, le chercheur éthiopien (du Département Évolution Humaine de l'Institut Max PlanckMax Planck, Leipzig, Allemagne), qui dirige l'équipe ayant mis au jour le squelette.

    Selam passionne déjà la communauté scientifique. C'est une Australopithecus afarensis, c'est-à-dire l'espèce à laquelle appartient Lucy, l'australopithèque la plus connue mais de 100.000 ans sa cadette, découverte en 1974 à quelques kilomètres de là, dans la même région de l'Afar.

    De nombreux fossiles d'australopithèques, dont il aurait exister une dizaine d'espèces, ont déjà été trouvés en Afrique et bien d'autres restes d'A. afarensis sont entre les mains des paléoanthropologues. On commence à bien connaître ces animaux, plus grands que des chimpanzéschimpanzés, qui savaient marcher et vivaient dans le milieu ouvert de la savane plutôt que dans les arbres des forêts denses. Mais Selam est un cas à part pour deux raisons.

    Le crâne de Selam a été complètement dégagé et le scanner a montré des dents de lait. À l'âge adulte, les australopithèques avaient un cerveau de taille semblable à celui des grands singes actuels. © Zeresenay Alemseged <em>et al.</em>, <em>Nature</em>

    Le crâne de Selam a été complètement dégagé et le scanner a montré des dents de lait. À l'âge adulte, les australopithèques avaient un cerveau de taille semblable à celui des grands singes actuels. © Zeresenay Alemseged et al., Nature

    Une moisson de découvertes à prévoir

    Tout d'abord, ses restes sont nombreux et bien conservés. L'équipe a déjà dégagé le crâne, des vertèbres et, surtout, une épaule complète, avec son omoplateomoplate. Or, c'est justement une partie montrant des différences notables avec, d'une part, les gorillesgorilles et les chimpanzés et, d'autre part, les humains. A. afarensis montre à ce niveau une structure intermédiaire entre ces deux groupes et la petite Selam nous apporte le plus beau spécimen d'épaule de son espèce.

    La seconde raison est son âge. Les squelettes de jeunes sont très rares car leurs os encore fragiles se conservent mal. La rapiditérapidité avec laquelle le corps a dû être recouvert par des sédimentssédiments est sûrement à l'origine de l'état exceptionnel de ces restes.

    L'histoire de Selam ne fait que commencer. L'équipe n'a révélé sa trouvaille que cette semaine et vient tout juste de donner des précisions dans le magazine Nature le 21 septembre. Pourtant, voilà plus de cinq ans que les chercheurs ont repéré Selam sur le site de Dikika, au nord-est de l'Ethiopie, et grattent patiemment pour la dégager de sa gangue de grèsgrès. Le travail n'est pas terminé et il reste encore des côtes et des vertèbres à sortir.

    Mais déjà, Selam a commencé à livrer quelques secrets d'australopithèque. À trois ans, elle avait encore ses dents de laitdents de lait et quelques dents définitives étaient en en train de pousser, comme l'a révélé un premier scanner du crâne. La petite messagère de la préhistoire a encore beaucoup de choses à nous dire...