De nombreuses études ont mis en évidence la présence de polluants d'origine industrielle dans la graisse de mammifères marins : un phénomène qui inquiète d'ailleurs les biologistes du monde entier. Cette fois, en étudiant des échantillons de graisse de baleine, des scientifiques ont eu la stupéfaction de tomber sur des composés semblant provenir d'activités humaines alors qu'ils étaient parfaitement naturels !

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    © Wurtz-ArtescienzaLa baleine à bec de True vue par le célèbre cétologue Maurizio Wurtz

    © Wurtz-ArtescienzaLa baleine à bec de True vue par le célèbre cétologue Maurizio Wurtz

    « Il a été supposé que des substances produites par voie industrielle s'accumulaient dans les tissus des animaux, mais nos résultats montrent que des composés naturels en font autant » révèle Emma Teuten, chercheuse américaine au Département de Chimie Marine et Géochimie de la Woods Hole Oceanographic Institution (WHOI). Il lui a fallut six mois de travail méticuleux pour extraire un précieux milligramme à partir de 10 kilos de graisse d'un gros odontocèteodontocète (cétacé à dents). L'animal en question, appelé baleine à bec de True (Mesoplodon mirus) et appartenant à la famille des Ziphiidés qui contrairement aux baleines proprement dites ne portent pas de fanonsfanons mais des dents, s'était échoué en Novembre 2003 sur les côtes de Virginie aux Etats-Unis.

    Les MeO-BDE : aucune intervention de l'homme dans leur production

    De ce milligramme, la scientifique est parvenue à isoler deux composés chimiques de la famille des diphényléthers polybromés méthoxylés (MeO-BDE) et à démontrer qu'ils étaient bien d'origine naturelle, et non pas artificielle ! Ces MeO-BDE sont très proches des diphényléthers polybromés (PBDE). Or, les PBDE, eux, proviennent directement des activités industrielles. Ils sont utilisés comme substances ignifugesignifuges sur du matériel et des vêtements. Ces polluants sont hélas facilement retrouvés dans les organismes vivants car ils s'y accumulent de manière durable, le corps étant incapable de s'en débarrasser. On appelle ce phénomène 'bioaccumulationbioaccumulation', et il est loin d'être sans danger pour la santé.

    « Depuis des années déjà, les animaux sont exposés à des composés industriels, et la découverte de produits naturels de structure chimique semblable pourraient aider les toxicologuestoxicologues à expliquer comment et pourquoi des enzymes ont la capacité à métaboliser des composés tels que les PCB » insiste Emma Teuten qui vient de publier les résultats de ces recherches dans la revue Science. C'est grâce aux techniques de spectrométrie de masse appliquées aux sciences marines et à la recherche d'isotopes du carbonecarbone que la chimiste a démontré le caractère naturel de ces MeO-BDE présents dans la graisse de baleine, mais aussi dans tous les océans. En effet, ce genre de substances d'origine naturelle présente un signal radioactif (C14) détectable, ce qui n'est absolument plus le cas de celles issues de l'industrie pétrochimique puisqu'elle fonctionne avec des hydrocarbureshydrocarbures dont la totalité du Carbone 14 s'est depuis longtemps désintégrée !

    Une réponse à la base de la chaîne alimentaire ?

    Un doute subsiste encore selon la scientifique : « est-ce que la baleine que nous avons étudiée avait accumulé ces substances à partir de son alimentation (d'un calmarcalmar), et si c'était le cas, d'où est-ce que le calmar les avait récupéré ? ». Alors, d'où provient la contaminationcontamination ? Peut-être des invertébrésinvertébrés situés tout au bas de la chaîne alimentairechaîne alimentaire... On sait depuis peu que certaines éponges de l'Océan Indien produisent du MeO-PBDE sans doute pour dissuader d'éventuels prédateurs de se frotter à elles, ou empêcher la présence de parasitesparasites. D'un seul cas observé -d'une seule baleine qui aurait mangé un 'aliment avarié'- on ne peut donc pas généraliser mais il y a fort à parier qu'en approfondissant les études sur d'autres créatures marines, les chercheurs puissent découvrir d'autres « faux-polluants » de ce type...