Après des années de recherches et avec des moyens lourds, une équipe internationale a dressé la carte d’un territoire urbanisé de trois mille kilomètres carrés autour du temple d'Angkor, au Cambodge. Le système d’irrigation mis en place il y un millier d’années apparaît encore plus sophistiqué que ce que l’on pensait. Mais les habitants ont peut-être épuisé leur milieu…

au sommaire


    Un grand axe de communication, formé d’un canal flanqué d’une route. Image fournie par les Pnas

    Un grand axe de communication, formé d’un canal flanqué d’une route. Image fournie par les Pnas

    Un millier d'étangs artificiels, des centaines de kilomètres de canaux, des digues et même 74 temples, le tout étalé sur trois mille kilomètres carrés et désormais minutieusement cartographié : c'est le bilan d'un immense travail international qui réunit depuis sept ans des chercheurs cambodgiens, australiens et français. Couronnant cet ambitieux projet baptisé GAP (Greater Angkor Project), la carte de cette cité inconnue vient d'être publiée dans la revue scientifique PNAS (Proceeding of the National Academy of Sciences of United States). Elle éclaire d'un jour nouveau la civilisation khmère et l'histoire qui s'est jouée ici entre le 9ème et le 16ème siècle.

    Pourtant, tout ce qui a été ainsi cartographié... n'a pour l'essentiel encore jamais été vu. Ces restes de bâtiments et de réseaux hydrauliques sont en effet enfouis sous la terre ou la végétation dense, et la surface est bien trop vaste pour que l'on puisse envisager des fouilles exhaustives sur le terrain. Mais on supposait depuis longtemps l'existence de ce vaste territoire aménagé par les hommes.

    Les archéologues ont eu recours à des moyens aériens et spatiaux. La photographiephotographie aérienne a déjà permis l'étude précise de structures encore visibles. L'avion a aussi permis de repérer des structures plus ou moins enfouies. La méthode est classique en archéologie. MursMurs, bâtiments ou routes trahissent en effet leur présence par de légères variations de teintes quand le couvert végétal n'est pas trop épais.

    Les traces d’un village serré autour d’un temple. Image fournie par les Pnas

    Les traces d’un village serré autour d’un temple. Image fournie par les Pnas

    Angkor l’antique vue du ciel

    La méthode a été largement améliorée grâce au radar aéroporté Airsar, à synthèse d'ouverture, fourni par le JPL (Jet Propulsion Laboratory, qui fait partie de la Nasa) et installé dans un DC-8. Cet instrument (que l'on retrouve dans certains satellites, comme ERS-2 et Envisat) fournit des images (contrairement à un radar traditionnel) et met en évidence des différences dans la nature du sol, notamment d'humidité. C'est lui qui a fourni l'essentiel des informations ayant servi à la cartographie des aménagements khmers. Le tout a été complété par des données satellitaires pour l'altimétriealtimétrie (fournis notamment par LandsatLandsat et Spot). Ce magnifique bilan n'est donc pas le fruit d'un coup de chance des chercheurs mais bien celui d'un labeur minutieux et patient !

    Sur les trois mille kilomètres carrés s'étalent des habitations, des cultures mais surtout un complexe réseau d'irrigationirrigation occupant à lui seul un millier de kilomètres carrés. Cette découverte n'est pas une surprise totale car de nombreux vestiges avaient déjà été mis au jour et l'ensemble urbain autour du temple d'Angkor avait été baptisé depuis longtemps la « cité hydraulique ». Mais c'est l'ampleur démesurée et la complexité des structures dévoilées par l'étude GAP qui ont étonné les chercheurs. Il s'agit manifestement du plus vaste aménagement hydraulique connu de la période pré-industrielle.

    Des canaux et des digues, encore bien visibles. Image fournie par les Pnas

    Des canaux et des digues, encore bien visibles. Image fournie par les Pnas

    Grâce à cet ensemble de canaux et de retenues, les habitants de la région étaient régulièrement approvisionnés en eau, indépendamment des caprices de la moussonmousson. Ils pouvaient également irriguer à loisir leurs cultures. Pour l'instant, les données semblent montrer que l'occupation de la région a connu des périodes d'intensifications ponctuelles et qu'un pic a eu lieu entre le 11ème et 13ème siècle, comme le supposait Bernard-Philippe Groslier, qui a étudié la région d'Angkor durant plus de vingt ans entre les années 1950 et 1970. Mais la lecture des données n'est pas aisée. Les scientifiques décrivent la zone comme un palimpseste (au sens propre, un manuscrit effacé sur lequel on a réécrit) pour décrire la superposition d'aménagements réalisés au cours des siècles.

    Cette exploitation agricole a-t-elle été trop loin ? L'hypothèse que la déforestationdéforestation, la surpopulation et la dégradation des sols constituent la cause de l'abandon de ce vaste territoire urbanisé avait déjà été émise par Groslier. Elle reste d'actualité au vu des impressionnantes structures révélées par cette étude. Les chercheurs ont donc encore devant eux quelques années de travail...