En montrant en réalité virtuelle des images de leur propre corps à des volontaires, on crée une illusion proche de celle racontée par ceux qui ont vécu une « expérience extracorporelle », où l’on croit flotter à côté de son corps. Rien d’ésotérique dans ces travaux scientifiques mais de quoi étudier la conscience de soi.

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    L’expérimentatrice caresse le dos du sujet, qui, sur les écrans de son casque, voit la scène de dos. Suis-là où je crois être ? © Olaf Blanke

    L’expérimentatrice caresse le dos du sujet, qui, sur les écrans de son casque, voit la scène de dos. Suis-là où je crois être ? © Olaf Blanke

    Imaginez cette expérience saugrenue : plongé dans la réalité virtuelleréalité virtuelle grâce à un casque-écran, vous voyez devant vous... votre propre corps filmé par des caméras ! Où penserez-vous être ? Dans votre corps réel, qui se trouve sur l'image, là-bas, mais que vous sentez ici ? Ou bien derrière vos yeuxyeux, c'est-à-dire loin de ce corps ? Placés dans cette situation propice à la confusion, tous les volontaires se sentent là d'où ils voient plutôt que là où ils sont. « Video ergo sum » (je vois donc je suis) conclut Olaf Blanke, l'un des auteurs de ces deux études.

    Oui, deux, car dans la même revue Science, sont rassemblés les travaux de deux équipes indépendantes, l'une suisse, dirigée par Olaf Blanke (de l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne), et l'autre suédoise, conduite par Henrik Ehrsson, de l'Institut Karolinska, à Stockholm). Depuis des années, ces chercheurs s'intéressent à la notion du « moi » et à la conscience que l'on en a.

    Ce ne sont pas les premières expériences du genre mais celles-ci sont poussées assez loin, grâce à la réalité virtuelle, et fournissent le même résultat. Les scientifiques voulaient reproduire en laboratoire ce que l'on appelle les « expériences extracorporelles », parfois racontées par des personnes ayant survécu à un accidentaccident vasculaire ou cardiaque ou subissant des fortes migraines. La sensation est alors de voir son propre corps comme si l'esprit s'en était détaché et flottait quelques mètres au-dessus ou à côté.

    Où suis-je ?

    Pour s'approcher de cette situation, les deux équipes ont eu la même idée : filmer une personne de dosdos à l'aide d'une caméra, ou deux comme le fait Henrik Ehrsson pour simuler le relief, et transmettre les images aux écrans insérés dans un casque de réalité virtuelle, du type de ceux utilisés par exemple pour des jeux vidéosjeux vidéos. Ainsi, la personne regarde son corps de dos comme s'il était situé à une certaine distance devant ses yeux.

    Dans son casque, le sujet voit son dos, filmé par la caméra derrière lui. Henrik Ehrsson approche de la caméra un stylo que voit le sujet comme s’il arrivait sur sa poitrine. Dans le même temps, un autre stylo va toucher sa vraie poitrine. Où le sujet se ressentira-t-il ? De quoi s’y perdre… © Henrik Ehrsson

    Dans son casque, le sujet voit son dos, filmé par la caméra derrière lui. Henrik Ehrsson approche de la caméra un stylo que voit le sujet comme s’il arrivait sur sa poitrine. Dans le même temps, un autre stylo va toucher sa vraie poitrine. Où le sujet se ressentira-t-il ? De quoi s’y perdre… © Henrik Ehrsson

    Machiavéliques, les chercheurs imaginent alors une série de tests pour observer les effets de ce décalage entre vision et sensation corporelle (ce que l'on appelle le sens proprioceptif). Chez Henrik Ehrsson, le sujet voit s'approcher de sa poitrine un objet qui, en fait, est présenté devant la caméra. Pour parfaire l'illusion, un opérateur, avec un objet similaire, vient toucher réellement la poitrine. En interrogeant les sujets sur ce qu'ils ressentent, les expérimentateurs mettent en évidence que la sensation dominante est l'approche de l'objet présent dans le champ visuelchamp visuel. La vision l'emporterait donc sur le sens proprioceptif et le corps filmé de loin devient alors celui d'un autre.

    Olaf Blanke parvient aux même conclusions avec une autre mise en scène. Une main caresse le dos du sujet, qui observe donc ce geste de loin. Pour lui, l'être qu'il voit sur l'écran est bien son corps mais « lui », son esprit en quelque sorte, se situe en dehors, là où sont ses yeux. Un test permet de mesurer le trouble dans lequel se trouve le sujet : l'expérimentateur éteint l'écran, plongeant la personne dans l'obscurité, et la recule de quelques pas puis lui demande de revenir à sa position initiale. A chaque fois, le cobaye se trompe et avance trop loin, jusqu'à une position intermédiaire entre l'endroit où il se trouvait et celui où il voyait son double. L'erreur est d'autant plus remarquable que dans des circonstances normales, au contraire, les distances parcourues dans l'obscurité sont surestimées et les sujets devraient se positionner avant la position initiale. Si la caméra filme un mannequin, caressé lui aussi, cet effet de « décorporation » est atténuéatténué et disparaît avec une vulgaire planche.

    Suis-je vraiment sur la Lune ?

    Henrik Ehrsson confirme... avec un marteau. Il l'abat devant la caméra, comme s'il allait frapper le double virtuel. Des capteurscapteurs installés sur la peau du sujet détectent alors le stressstress ressenti par la personne, même elle sait pertinemment qu'on ne touche que l'image.

    Sans reproduire fidèlement les sensations évoquées par ceux qui ont le souvenir d'expériences extracorporelles, ces astucieux dispositifs permettent de s'en approcher dans les conditions du laboratoire. On peut ainsi étudier de plus près la conscience de soi et la manière dont, pour la réaliser, le cerveaucerveau additionne toutes les sensations, visuelles, auditives, olfactives et proprioceptives.

    Ces travaux intéressent aussi la Nasa, qui envisage d'envoyer sur la Lune des robotsrobots commandés par des astronautes restés sur Terre mais reliés à leur double par un système équivalent de réalité virtuelle.