Pour comprendre pourquoi les animaux dorment et pourquoi certains y consacrent davantage de temps que les autres, des chercheurs se sont adressés au champion du genre, le paresseux. Surprise ! Au lieu des 16 heures quotidiennes de sommeil mesurées sur des animaux en captivité, les paresseux, dans la nature, ne s'abandonnent aux bras de Morphée que moins de dix heures. L'étude est une première du genre et suggère que c'est dans leur milieu qu'il faut aller épier le sommeil des animaux.

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    Bryson Voirin, l'un des auteurs de l'étude, en train de capturer un paresseux. © B. Voirin

    Bryson Voirin, l'un des auteurs de l'étude, en train de capturer un paresseux. © B. Voirin

    Combien de temps le paresseuxparesseux dort-il ? « 15 à 20 heures par jour », « plus de 18 heures », « près de 16 heures » : les réponses varient d'une source à l'autre mais prêtent toujours au paresseux, alias Bradypus, un temps de sommeilsommeil de plus de la moitié de la journée. La dernière évaluation - 15,85 heures exactement - semblait inattaquable : elle avait été établie sur des animaux à l'aide d'un électroencéphalogrammeélectroencéphalogramme (EEG).

    Mais ce résultat n'a pas semblé définitif à Alexei Vyssotski, un neurophysiologiste de l'université de Zurich (Suisse) car il a été obtenu sur des paresseux en captivité, dont rien ne dit qu'ils dorment de la même manière que leurs congénères vivant dans leurs arbresarbres. Avec Niels Rattenborg, un spécialiste du sommeil des oiseaux à l'Institut Max PlanckMax Planck (Starnberg, Allemagne), ce chercheur a adapté pour le paresseux un petit boîtier électronique capable d'enregistrer un EEG et un électromyogramme (EMGEMG), indiquant le tonus musculaire. Un accéléromètreaccéléromètre mesure, lui, les mouvements. L'intérêt du dispositif est de ne pas être invasifinvasif. Les électrodes sont collées sur la peau, comme pour un EEG médical et l'installation ne nécessite pas d'anesthésieanesthésie.

    L'un des paresseux équipé de son boîtier. A gauche, des enregistrements sur 90 secondes. En <em>b</em>, les EEG et EMG à la fin d'une phase de sommeil avec mouvements oculaires (REM, rapid eye movement). Au niveau de la flèche noire, l'animal se réveille. En <em>c</em>, l'EEG au passage d'un sommeil non-REM à un sommeil REM. En <em>d</em>, une phase stable de sommeil profond, non-REM. © Niels C. Rattenborg <em>et al.</em>

    L'un des paresseux équipé de son boîtier. A gauche, des enregistrements sur 90 secondes. En b, les EEG et EMG à la fin d'une phase de sommeil avec mouvements oculaires (REM, rapid eye movement). Au niveau de la flèche noire, l'animal se réveille. En c, l'EEG au passage d'un sommeil non-REM à un sommeil REM. En d, une phase stable de sommeil profond, non-REM. © Niels C. Rattenborg et al.

    Le milieu naturel, laboratoire idéal pour l'éthologie

    Les appareils ont été fixés sur le crânecrâne de trois paresseux à gorge bruneparesseux à gorge brune (Bradypus variegatus), l'espèceespèce la plus répandue, vivant en liberté sur l'île Barro Colorado, au Panama. Les paresseux sont repartis équipés d'un petit chapeau métallique et ont immédiatement regagné les hautes branches de leurs domiciles habituels. Les chercheurs ont attendu cinq jours pour récupérer les animaux (repérés grâce à l'émetteur embarqué dans le boîtier électronique), leur ôter l'appareil et lire les résultats... surprenants.

    Au lieu des 16 heures de sommeil quotidien, c'est une moyenne de 9,63 heures qui a été mesurée. L'analyse fine des données, qui montrent simultanément le mouvement des animaux et leur tonus musculaire, a permis de reconstituer précisément les phases de leurs périodes de sommeil.

    Ces paresseux cobayes malgré eux apporteront sans doute des éléments pour avancer dans la longue enquête sur les mystères du sommeil. La technique utilisée, innovante, apporte également la démonstration que l'on peut étudier ce genre de comportement en milieu naturel. C'est sans doute la première fois que l'on peut suivre ainsi les activités musculaire et encéphalique d'animaux dans leurs activités naturelles.

    Et cette première a montré tout son intérêt. Pourquoi une telle différence de temps de sommeil avec les paresseux en captivité ? Les auteurs ne répondent pas mais évoquent deux hypothèses. En captivité, la solitude, voire la dépression, peuvent modifier le rythme d'activité. A l'inverse, dans le milieu naturel, un état d'éveil plus long est peut-être nécessaire pour éviter les dangers.

    Que la captivité apporte une tranquillité incitant au farniente ou une sensation traumatisante, elle pourrait affecter fortement la manière dont les animaux règlent leur cycle veille-sommeil. Pour observer ce genre de comportement, le meilleur laboratoire est donc la nature et les techniques actuelles, notamment l'électronique miniaturisée facilitent grandement ce genre d'expérience d'un nouveau genre...