L’invention d’une nouvelle technique de microscopie est un événement rare et toujours bénéfique. Une équipe européenne de biologistes moléculaires viennent d’en présenter une. Pour sa première utilisation, elle a visualisé les protéines qui accrochent entre elles les cellules du derme, un point clé et pourtant mal connu. Un résultat plein de promesses...

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    La technique mise au point par Achilleas Frangakis ne fait appel à aucun nouveau procédé et n'utilise que des instruments déjà existants. L'innovation réside toute entière dans une idée astucieuse, combinant microscopie électronique et congélation.

    Pour étudier la surface d'organismes ou de cellules, la microscopie électronique est un outil précieux mais elle requiert une lourde préparation. En microscopie électronique à balayage, les échantillons doivent être au préalable recouverts d'une couche métallique qui réfléchira les électrons. Elle nous donne ces magnifiques images en noir et blanc de têtes d'insectesinsectes ou d'acariensacariens en gros plan. Appliquée à des cellules, elles ne peuvent cependant montrer que des structures assez dégradées. En microscopie électronique à transmission, les échantillons sont plongés dans des bains successifs de produits fixateurs et colorants (des métauxmétaux lourds).

    Achilleas Frangakis et ses collègues ont fait appel à une variante : la cryo-microscopîe, consistant à congeler les cellules. On obtient un échantillon suffisamment solidifié pour le soumettre au feu électronique du microscope électroniquemicroscope électronique. Mais il faut alors faire vite. Les chercheurs font encore mieux en réalisant une tomographietomographie, c'est-à-dire une image en 3D, une amélioration, connue elle aussi, de la microscopie électronique à transmission. Une série de clichés est réalisée sous différents angles, enregistrés par un ordinateurordinateur qui reconstitue ensuite une image en trois dimensions, colorée pour montrer les différentes structures. C'est la tomographie cryo-électronique.

    L'équipe d'Achilleas Frangakis est parvenue à marier ces différentes techniques pour obtenir une méthode originale, capable de donner des images très précises. "Jamais auparavant on n'avait obtenu d'images avec une telle résolutionrésolution de structure aussi proches de leur état naturel" s'enthousiasme Achilleas Frangakis. Ces résultats viennent d'être publiés dans Nature.

    Molécules de cadhérine interagissant entre elles. L’image combine la structure connue de ces protéines (les filaments gris portant des éléments rouges) avec ce qu’en montre la tomographie (zones colorées). Cliquez sur l'image pour agrandir. © Achilleas Frangakis EMBL

    Molécules de cadhérine interagissant entre elles. L’image combine la structure connue de ces protéines (les filaments gris portant des éléments rouges) avec ce qu’en montre la tomographie (zones colorées). Cliquez sur l'image pour agrandir. © Achilleas Frangakis EMBL

    Gros plan sur des protéines adhésives

    Cette équipe du European Molecular Biology Laboratory (EMBL) a appliqué ce procédé sur des cellules de peau humaine. Première utilisation, première réussite. Leur tomographie originale a donné des images inédites des protéinesprotéines membranaires, en particulier des cadhérinescadhérines. On connaît depuis longtemps cette famille de grosses molécules, dont il existe de nombreuses formes et qui parsèment la membrane des cellules, la traversant de part en part. Bien sûr, on sait qu'elles jouent un rôle primordial dans les échanges entre la cellule et le monde qui l'entoure, ses voisines et le milieu extracellulaire. Mais leur étude est délicate. Grâce à la microscopie optique, il est possible de les voir en place sur la membrane. Mais la résolution obtenue est faible. On peut faire mieux à l'aide des outils de la biochimie à condition de les extraire de leur environnement naturel. La protéine que l'on observe n'a alors pas nécessairement la configuration qu'elle avait sur la cellule. Or, la forme des protéines est un paramètre clé de leur fonction.

    Reconstitution d’une cellule de peau humaine. On distingue les contacts intercellualires (marron), le noyau (bleu) et un pore de sa membrane (rouge), des microtubules (vert), des mitochondries (violet) et le réticulum endoplasmique (clair, en bas). Cliquez pour agrandir. © Achilleas Frangakis EMBL

    Reconstitution d’une cellule de peau humaine. On distingue les contacts intercellualires (marron), le noyau (bleu) et un pore de sa membrane (rouge), des microtubules (vert), des mitochondries (violet) et le réticulum endoplasmique (clair, en bas). Cliquez pour agrandir. © Achilleas Frangakis EMBL

    Avec la tomographie cryo-électronique, les biologistes ont les deux à la fois : une excellente résolution et l'image de la protéine dans sa forme fonctionnelle. L'équipe du EMBL a ainsi mis en évidence le rôle de certaines cadhérines pour fixer les cellules aux autres. « Nous avons pu voir directement la liaison entre deux molécules de cadhérine, explique Ashraf Al-Amoudi, membre de l'équipe. Chacune d'elles est doublement fixée, à sa cellule  et à la voisine. Le système fonctionne un peu comme un Velcro et établit un contact très étroit entre les cellules ».

    La technique a également permis de plonger à l'intérieur des cellules. Dans l'échantillon congelé et fracturé, certaines d'entre elles sont en effet ouvertes et leur contenu solidifié peut être observé. Les chercheurs ont ainsi obtenu de superbes images du cytoplasmecytoplasme (le contenu des cellules vivantes), montrant des structures internes, comme les mitochondriesmitochondries et les canaux internes (le réticulum). Là encore, on n'avait jamais vu de telles structures sous cette forme.

    A chaque fois qu'un nouvel instrument est inventé, les scientifiques l'utilisent pour découvrir des domaines inexplorés. Les biologistes ont donc désormais devant eux un nouveau champ d'action...