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    Sommes-nous sûrs que la musique est une chose naturelle pour les humains ? Ne serait-il possible qu'elle nous attire parce qu'on nous l'a apprise dès le plus jeune âge ? Si la musique est un trait inné, la probabilité qu'elle soit le fruit de l'adaptation augmente, mais pas suffisamment pour exclure qu'il s'agisse plutôt d'un effet collatéralcollatéral de la sélection d'un autre caractère.

    La musique est-elle innée ? © Jasmin82, Pixabay, DP
    La musique est-elle innée ? © Jasmin82, Pixabay, DP

    Et si vous êtes arrivé jusqu'ici, vous comprendrez que la situation n'a pas fini de se compliquer. Allons donc voir du côté de nos petits qui, comme les singes, ne parlent pas. Essayons de comprendre ce qu'ils savent faire et ce qu'ils aiment écouter. Pour cela, allons dans un laboratoire très particulier, au Canada, où les enfants sont des cobayes idéaux depuis plus de trente ans. 

    Les bébés reconnaissent-ils les fausses notes ?

    Le but premier des expériences sur les enfants est de découvrir si les nourrissons sont capables de reconnaître des altérations de tonalité et de rythme. En comparant cette aptitude à celle des adultes, on peut identifier ce qui est présent dès la naissance, ce qui apparaît avec les années et ce qui se perd avec la croissance. Puis, de façon analogue à ce que nous avons vu pour les singes, ces recherches se fixent comme objectif d'étudier les goûts et les préférences des petits pour quantifier la part du naturel dans notre amour pour un certain type de musique.

    En résumé, explique Sandra Trehub, les résultats principaux obtenus jusqu'ici sont de trois types : « Les enfants écoutent avec davantage d'attention le chantchant de leur mère plutôt que ses paroles. Ils se souviennent pendant longtemps d'un morceau, mettant en œuvre des facultés musicales qui, à bien des égards, sont similaires à celles des adultes. Dans certaines activités spécifiques, ils semblent même plus habiles que ces derniers. »

    On a constaté, par exemple, que les enfants sont aussi capables de distinguer les intervalles consonants des intervalles dissonants, et qu'ils préfèrent les premiers aux seconds, comme les adultes, ce qui confirmerait la nature en partie biologique de la consonance :

    « Si nous prenions en compte seulement les adultes, nous pourrions penser qu'il s'agit d'une caractéristique apprise. Mais cette perception est partagée par tous les petits enfants du monde. De plus, à partir de cinq mois, les bébés reconnaissent des mélodies, même lorsque celles-ci sont transposées dans une autre tonalité, c'est-à-dire lorsqu'elles sont jouées à partir d'une note de départ différente et sur une autre gamme, mais en respectant les intervalles. La mélodie sonne alors plus aiguë ou plus grave que son original. Comme les adultes, les enfants reconnaissent une mélodie dont on accélère ou l'on ralentit le rythme, en la jouant à un tempo plus rapide ou plus lent. Cela signifie que les enfants en bas âge sont capables d'apprendre (et de mémoriser !) une mélodie en ayant recours aux mêmes procédés que les adultes, c'est-à-dire en confrontant les notes et en identifiant les intervalles, sans se laisser piéger par les changements de tonalité ou de chanteur. Que l'interprète soit leur grande sœur ou Henri Dès, pour leurs oreilles, la chanson reste la même. »

    Les enfants sont capables de mémoriser une mélodie. © Philippe Streicher, Flikr
    Les enfants sont capables de mémoriser une mélodie. © Philippe Streicher, Flikr

    Une autre observation fondamentale est que les enfants apprécient davantage (et donc reconnaissent plus facilement) les mélodies jouées sur les gammes diatoniques, c'est-à-dire les gammes « traditionnelles » comptant sept notes séparées par des intervalles inégaux. Toutefois, ils semblent également aimer les mélodies construites sur des gammes inventées pour l'occasion, à condition que l'octave soit divisée en parties rigoureusement inégales.

    Par conséquent, si un musicien fait une fausse note en jouant une chanson en do majeur, il est possible que dans le public, même des enfants de douze mois s'en aperçoivent. Surtout si la fausse note concerne l'un des intervalles réputés les plus consonants, comme celui de quinte juste (qui correspond à sept demi-tons, par exemple le do - sol au début du refrain du générique de La guerre des étoiles) ou celui de quarte juste (les cinq demi-tons qui séparent le do et le fa au début de la Marseillaise). La quarte juste et la quinte juste sont aussi les intervalles que les enfants apprennent et reconnaissent le mieux.


    Les bébés peuvent reconnaître des fausses notes ! © DR

    Une expérience conduite par Sandra Trehub et Glenn Schellenberg a en effet mis en évidence que dès six mois, les bébés réussissent déjà assez bien à reconnaître une altération d'un demi-ton de l'un de ces deux intervalles, ce qui n'est pas le cas des autres intervalles. Si l'on fait entendre à un nourrisson deux sons séparés par une quarte ou une quinte, répétés plusieurs fois, et qu'on lui joue le mauvais tour de changer même de peu l'une des notes, l'enfant s'en aperçoit et tourne la tête. Rappelons que l'intervalle formé de six demi-tons a été pendant longtemps rejeté par les compositeurs.

    Au Moyen Âge, ledit « tritontriton » (car six demi-tons font trois tons) était appelé diabolus in musica, et était considéré comme le signe d'une présence maligne. L'intervalle de quarte juste était au contraire considéré par les Grecs anciens comme l'intervalle parfait et c'était aussi le préféré de Mozart. La quinte juste, avec l'octave (douze demi-tons), est l'intervalle consonant par antonomase, voire même trop consonant, à tel point que les règles de l'harmonie enseignées encore aujourd'hui dans les conservatoires proscrivent l'écriture de passages où deux voix évoluent parallèlement à distance d'une quinte.

    Les enfants s'adaptent mieux aux musiques que les adultes

    Il y a des choses que les enfants font mieux que les adultes. Par exemple, ils n'ont pas de préférences entre gammes majeures et mineures, occidentales et orientales, et ils savent reconnaître les altérations, même dans une mélodie de cultures lointaines de celles de leurs parents. Même chose pour les rythmes : n'ayant pas encore eu le temps d'absorber notre musique « facile », construite surtout sur des rythmes en deux, trois ou quatre quarts, ils s'en sortent bien avec la musique balkanique aussi.

    Les enfants préfèrent les berceuses. © Musimem
    Les enfants préfèrent les berceuses. © Musimem

    Tout cela pour dire que, comme dans le cas du langage, nous naissons universalistes, capables d'absorber et de faire nôtre la musique dans laquelle nous immergent les premières années de notre vie. Mais quelle est la musique préférée des enfants ? Ils apprécient surtout la musique créée exprès pour eux : les berceuses. D'ailleurs, le fait que les berceuses du monde entier se ressemblent un peu toutes et que le langage parlé s'adressant aux petits (le « parler bébé ») ait des caractéristiques communes avec ce genre musical, a fait penser que les premiers langages de notre histoire, soient-ils de la musique ou des mots, avaient beaucoup affaire avec la maternité.