La première idée à accepter est que le goût ou l'odeur du vin, ou de n'importe quel produit, n'existent pas en eux-mêmes mais ne résultent que de l'interaction de certaines molécules présentes dans le vin avec nos récepteurs sensoriels, gustatifs ou olfactifs. Cette constatation a pour conséquence que le goût et l'odeur perçus sont fonction de notre équipement personnel en récepteurs sensoriels. Cet équipement, génétiquement déterminé, varie d'une personne à l'autre. Son activation engendrera donc des signaux différents suivant les individus, y compris les dégustateurs les plus avertis. Des chercheurs de l'INRA, en collaboration avec la Faculté d'œnologie de Bordeaux, ont réalisé des études mettant en évidence la force des représentations dans la dégustation des vins.

Qu'importe le flacon... ?


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    Le goût du vin... dans nos têtes

    Le goût du vin... dans nos têtes

    Puisque le goût et l'odeur d'un vin sont en partie construits à partir d'éléments extérieurs au vin lui-même (émotions, contexte...), on peut en conclure que le même vin n'aura pas le même goût et la même odeur si ces éléments sont différents. C'est ce qu'ont montré les chercheurs de l'INRA en proposant à un groupe de 57 étudiants en œnologie la dégustation d'un même vin sous deux conditionnements différents. Ici, seul le contexte changeait et les dégustateurs, bien entendu, n'en savaient rien.

    Le même vin a donc été proposé dans une bouteille d'un grand cru classé, vin prestigieux et connu de tous les dégustateurs puis, quinze jours plus tard, dans une bouteille étiquetée sous l'appellation " vin de table ". Sur les 57 étudiants, six ont deviné la supercherie. Parmi les 51 restant, 50 ont noté plus sévèrement le " vin de table " (moyennes 8/20) que le " grand cru " (moyenne 13.2/20).

    Du verre.... au cerveau, la construction de la perception du vin

    Le message résultant de l'activation de nos récepteurs sensoriels n'est que la première étape (étape sensorielle) de notre perception olfacto-gustative du vin. Ce message, biologiquement codé, est ensuite totalement reconstruit par notre cerveau (étape cognitive). Des informations telles que celles provenant de nos autres sens (vue, ouïe, toucher), du contexte (ambiance), de notre mémoire (situations vécues, référence à un vin mémorisé) ou d'autres processus (plaisir, aversion, niveau d'émotion, état de veille du cerveau) sont alors intégrées au signal sensoriel initial et vont le modifier considérablement. Ce signal atteint alors les zones de notre cerveau correspondant à un niveau de perception consciente. L'étape cognitive a donc pour effet de rassembler un certain nombre d'éléments (sensoriels et non sensoriels) et de leur donner un sens, celui que nous percevons.

    Dans leur grande majorité, les dégustateurs ont signalé la présence de boisbois dans le grand cru et ont décrit le type de boisé qu'ils y ont perçu. Le vin utilisé pour l'expérience n'avait pourtant jamais été mis en contact avec le bois. Aucun dégustateur n'a signalé la présence d'un caractère boisé dans le vin de table. Cette illusion de la présence du caractère boisé dans le grand cru résulte typiquement d'une constructionconstruction cognitive. Le dégustateur étant persuadé de la présence de bois dans le vin qu'il goûte, crée une représentation de ce vin contenant le goût de boisé. Aussi surprenant que cela puisse paraître, il est vraisemblable que dans le contexte ainsi créé, tous les dégustateurs ayant accepté l'idée qu'ils goûtaient un grand cru ont effectivement perçu un goût de boisé.

    On observe le même phénomène quand au cours d'une dégustation, un des participant signale, par exemple, la présence d'un arôme de cassis dans le vin. Généralement, cet arôme devient très rapidement apparent pour l'ensemble des dégustateurs. On pourrait penser qu'à la différence du goût de boisé, l'arôme de cassis en question est effectivement présent dans le vin. Comme on va le voir, rien n'est moins sûr.

    La couleur influence le commentaire olfactif

    Plus étonnant et peut-être plus inquiétant quant à nos capacités olfactives, les chercheurs de l'INRA ont récemment mis en évidence l'existence d'une illusion perceptive dans ce domaine. En traitant par l'analyse lexicale les commentaires de dégustation de professionnels du vin, ils ont constaté que les auteurs de ces commentaires utilisaient des mots différents pour décrire les odeurs des vins blancs et des vins rouges. Ce résultat est d'autant plus surprenant que quand on demande à des sujets de distinguer un vin blanc d'un vin rouge sans l'aide de la vue, l'expérience étant réalisée en utilisant des verresverres noirs, on observe qu'ils se trompent en moyenne trois fois sur dix. En regardant d'un peu plus près les mots utilisés pour décrire les odeurs des vins blancs et des vins rouges, les chercheurs ont réalisé que les descripteursdescripteurs d'odeurs avaient, pour chaque vin, la couleurcouleur du vin. Les odeurs des vins rouges étaient représentées par des objets rouges (fruit rouge, cassis, framboiseframboise, cerisecerise, etc.) et celles des vins blancs par des objets clairs (miel, abricotabricot, pomme, bananebanane, etc.).

    Un vin a-t-il réellement l'odeur d'objets de même couleur que ce vin ou bien les sujets, croyant parler de l'odeur du vin, traitent-ils en réalité de sa couleur ? Pour répondre à cette question, les chercheurs ont réuni 54 étudiants en œnologie pour une dégustation comparative entre un vin blanc et un vin rouge. En fait, un vin apparemment rouge puisqu'il s'agissait du vin blanc artificiellement coloré en rouge avec des anthocyanes (colorants naturels du vin rouge). Les étudiants avaient donc pour tâche de décrire, sans le savoir, le même vin, à la couleur près. Les résultats montrent que les descripteurs olfactifs choisis par les dégustateurs pour un vin ont effectivement la couleur de ce vin. Il suffit donc de modifier la couleur d'un vin pour en modifier la perception des arômes. Le vin blanc qui sentait le beurre et l'ananasananas sent maintenant la fraisefraise et la mûre uniquement parce qu'il est devenu rouge !