Comme de nombreuses techniques nouvelles, la fécondation in vitro (FIV) a soulevé un certain nombre de problèmes éthiques. Jacques Testart, le biologiste qui a réussi la fécondation d’Amandine, premier bébé éprouvette français, revient pour Futura-Sciences sur les critiques qu’on lui a adressées à l’époque et qui peuvent persister aujourd’hui.

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    La fécondation in vitro a longtemps fait débat, notamment parce qu'elle touche à l'humain. Elle a malgré tout permis de donner plus de 200.000 bébés sains à des parents stériles qui désiraient des enfants. © Wellcome Images, Flickr, cc by nc nd 2.0

    La fécondation in vitro a longtemps fait débat, notamment parce qu'elle touche à l'humain. Elle a malgré tout permis de donner plus de 200.000 bébés sains à des parents stériles qui désiraient des enfants. © Wellcome Images, Flickr, cc by nc nd 2.0

    À l'occasion des 30 ans d'Amandine, nous évoquions hier les coulisses de la fécondation in vitro. Aujourd'hui, nous abordons un autre aspect : l'éthique, qui s'invite souvent dans les débats scientifiques. Parmi les exemples récents, les discussions portant autour des cellules souches embryonnaires sont encore dans les mémoires. Est-il acceptable de créer des embryons humains dans le but d'utiliser les premières cellules suivant la fécondation à des fins thérapeutiques ? Aujourd'hui les expérimentations ont commencé chez l'Homme mais ne portent que sur des embryons surnuméraires de FIV.

    L'innovation technologique et la sophistication des méthodes soulèvent parfois des limites éthiques. Et la fécondation in vitro n'a pas toujours été épargnée par les reproches. Jacques Testart, le premier Français à réussir cette performance chez l'Homme en concevant Amandine en éprouvetteéprouvette à partir d'un ovocyte de sa mère et du sperme de son père, revient pour Futura-Sciences sur les différentes critiques qui lui ont été adressées.

    À l'époque, le pape avait pris position contre cette technique, estimant qu'un enfant devait naître suite à un rapport sexuel. Mais le biologiste se souvient également des jugements qu'il a reçus de ses confrères de la communauté scientifique. Certains lui reprochaient de ne pas avoir testé la méthode sur les primatesprimates avant de s'attaquer à l'Homme. « J'avais bien essayé au moment où je disposais d'une animalerie de macaques, mais il s'avère que la performance est bien plus complexe que chez la femme, et bien plus coûteuse également » se défend le spécialiste de la procréation assistée, qui a commencé à travailler sur l'animal dès 1964 à l'Inra.

    Les cellules souches embryonnaires, comme celle visible sur l'image, ont désormais été autorisées pour certaines recherches. Elles sont prélevées sur des embryons surnuméraires issus de la FIV, au début de leur développement. Cette ponction détruit l'embryon. © Wellcome Images, Flickr, cc by nc nd 2.0

    Les cellules souches embryonnaires, comme celle visible sur l'image, ont désormais été autorisées pour certaines recherches. Elles sont prélevées sur des embryons surnuméraires issus de la FIV, au début de leur développement. Cette ponction détruit l'embryon. © Wellcome Images, Flickr, cc by nc nd 2.0 

    Le DPI, une limite éthique qu’il ne voulait pas franchir

    Après la naissance d'Amandine, de nouvelles techniques sont apparues. C'est en 1986 que Jacques Testart a commencé à exprimer des doutes sur les dérives possibles de la FIV. À cette époque, il écrivait un livre dans lequel il disait voir venir, quatre ans avant sa mise au point, le diagnostic préimplantatoire (DPIDPI), « le tri des embryons selon des critères sans limites ». C'est depuis cette période que ses relations avec René Frydman, le gynécologuegynécologue avec qui il a collaboré à la naissance d'Amandine, sont tendues, les deux hommes étant en désaccord profond.

    « René Frydman voulait que l'on travaille dans ce sens, pour des raisons qui lui sont propres. Mais j'estimais que mon rôle était d'aider des couples stériles à faire des enfants, pas d'assister les couples fertiles pour choisir l'embryon qui dotera le nouveau-né des qualités qu'ils désirent. » Le gynécologue a effectivement suivi cette voie puisqu'avec l'aide de généticiensgénéticiens, il a ouvert l'un des trois centres français de DPI, après l'éviction de Jacques Testart en 1990.

    La FIV n'altère pas le bien-être des enfants

    Les attaques contre la FIV portent également à un autre niveau : le bien-être des enfants. On entend parfois que lorsque la conception d'un enfant passe par la participation d'une tierce personne, des questionnements sur son identité peuvent ressurgir et conduire à des malaises. Par exemple, dans un autre cas de figure que la FIV, une étude parue aux États-Unis en 2010 révélait que la moitié des enfants nés d'un donneur de sperme se sentaient plutôt mal dans leur peau, et réclamaient la fin de l'anonymat pour savoir enfin qui est leur vrai père biologique, auquel ils pensent plusieurs fois par semaine.

    « Pour la FIV, le constat est tout à fait différent, précise Jacques Testart. Amandine, comme les autres enfants nés de fécondation in vitro, ne se torture pas l'esprit pour savoir qui est son père ou sa mère. Il a simplement fallu une opération médicale pour la concevoir. » Une différence qui a toute son importance.

    Reparlons-en, d'Amandine. Lorsqu'on demande au biologiste s'il a de ses nouvelles, il répond qu'il ne l'a « pas vue depuis une dizaine d'années... Ce qui est parfaitement normal. Je ne suis pas son père comme on peut l'entendre ici ou là, j'accepte à la limite qu'on me définisse comme un père scientifique même si je préfère qu'on me décrive comme celui qui a assuré la conception in vitro. Car elle a déjà un père, un vrai, comme l'ont tous les bébés ».

    L'ICSI, mise au point par une équipe belge dans les années 1990, consiste en l'injection d'un spermatozoïde directement dans l'ovocyte. Ainsi, des hommes peu fertiles peuvent malgré tout engendrer une descendance, ce qui évite le recours à un donneur de sperme, qui pose parfois problème. © Wellcome Images, Flickr, cc by nc nd 2.0

    L'ICSI, mise au point par une équipe belge dans les années 1990, consiste en l'injection d'un spermatozoïde directement dans l'ovocyte. Ainsi, des hommes peu fertiles peuvent malgré tout engendrer une descendance, ce qui évite le recours à un donneur de sperme, qui pose parfois problème. © Wellcome Images, Flickr, cc by nc nd 2.0

    Le progrès technique au service de l’éthique

    La FIV, comme d'autres avancées scientifiques, a donc soulevé des problèmes nouveaux, auxquels la société n'avait jamais vraiment eu à réfléchir auparavant. En ce sens et d'un point de vue général, il faut réajuster à chaque innovation les principes moraux qu'on tient à ne pas franchir. Progrès et éthique semblent donc étroitement liés.

    Pour Jacques Testart, ce rapport va parfois dans le bon sens. À travers l'exemple de l'injection intracytoplasmique de sperme (ICSIICSI), la technique la plus sophistiquée dans le domaine grâce à laquelle un seul spermatozoïde a autant de chance de féconder que lorsqu'il y en a 200 millions, il justifie son point de vue.

    « Ce procédé permet d'éviter des FIV qui sont condamnées à ne pas réussir, du fait de la stérilité des hommes. Et grâce à son efficacité, sauf cas vraiment exceptionnel, on n'a plus besoin de donneurs de sperme. » L'enfant connaît donc ses deux parents. « En règle générale, conclut le chercheur, les pratiques discutables apparaissent lorsqu'un concept admis est dérivé à d'autres fins. La sophistication des techniques ne constitue pas un problème éthique, et bien souvent même, elle permet de passer outre. »

    L'ICSI constitue un exemple, au même titre que les prouesses techniques dont ont été capables différentes équipes de scientifiques qui ont retransformé une cellule différenciée en une cellule souche pluripotente. Ainsi, on pourra peut-être éviter le recours à l'embryon qui choque une partie des gens. L'innovation technologique au service de l'éthique.