Une étude menée par Lounès Chikhi du laboratoire Évolution et diversité biologique (CNRS - université Paul Sabatier, Toulouse), en collaboration avec Benoît Goossens de l'université de Cardiff (Royaume-Uni), montre que l'effondrement démographique des populations d'orangs-outans de Bornéo (Asie du Sud-Est) laisse une marque indélébile sur leur génome et désigne le coupable : la déforestation par l'Homme au cours du XXe siècle.

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    Orang-outan femelle de la Kinabatangan, Sabah, Malaisie. © Jamil Sinyor

    Orang-outan femelle de la Kinabatangan, Sabah, Malaisie. © Jamil Sinyor

    La destruction et la fragmentation de l'habitat naturel sont l'une des plus grandes menaces qui pèsent sur les espècesespèces sauvages, et ce sur l'ensemble de la planète. Les activités humaines (constructionsconstructions de routes, exploitations minières, cultures sur brûlis, exploitation forestière, plantations) ont provoqué l'augmentation de cette fragmentation au cours du XXe siècle, réduisant de façon catastrophique les surfaces des forêts primaires. À Bornéo, on estime qu'entre la moitié et les deux tiers de la forêt originale ont été détruits. L'effet de cette déforestationdéforestation sur le génome des espèces menacées avait été assez peu étudié.

    Le travail des chercheurs du CNRS et de l'université de Cardiff se base sur le plus grand échantillonnageéchantillonnage jamais obtenu à partir d'une population naturelle d'orangs-outans (ou pour tout autre primateprimate). Plus de deux cents individus ont été échantillonnés de manière « non invasive », c'est-à-dire ne requérant pas de manipulation de l'animal, et peu traditionnelle : il a fallu monter sur des arbresarbres de plus de 20 mètres de haut pour récupérer des poils présents dans les nids, ou encore suivre les individus dans la forêt pour ramasser des excréments et les conserver pour une future analyse en laboratoire. Pister ainsi l'homme de la forêt (« orang utan » en malais), relève de l'exploit ! De nombreux mois en forêt ont été nécessaires pour arriver à une telle moisson.

    Les données génétiques obtenues ont ensuite été analysées par Lounès Chikhi afin de déterminer s'il existait dans le patrimoine génétique des orangs-outans un signal d'effondrementeffondrement démographique caractéristique de la déforestation. Il fallait pour ce faire distinguer ce signal des autres événements démographiques qui ont frappé cette espèce au cours de son histoire et marqué son génome : arrivée à Bornéo des premiers chasseurs, des premiers agriculteurs et changements climatiqueschangements climatiques des derniers 100.000 ans.

    Orangs-outans : un effondrement démographique récent

    Les résultats montrent clairement que le génome de l'unique singe anthropoïdeanthropoïde d'Asie porteporte la signature d'un effondrement démographique récent (probablement au cours du XXe siècle) et d'une très grande ampleur. Un seul coupable possible : la déforestation par l'Homme. Lounès Chikhi et Benoît Goossens estiment que la population ancestrale était de 50 à 100 fois plus grande que la population actuelle. D'après ces données, il y a seulement 120 ans environ, des centaines de milliers et peut-être des millions d'orangs-outans vivaient à Bornéo. C'était avant que l'exploitation forestière ne commence, vers 1890.

    Lounès Chikhi et Benoît Goossens restent malgré tout optimistes. S'ils ont pu récolter autant d'informations c'est parce qu'il reste encore de la diversité génétique dans ces populations : 11.000 individus vivent sur l'ensemble de Sabah et probablement un millier d'individus dans la vallée de la Kinabatangan, où s'est déroulée cette étude. Pour les chercheurs, l'urgence est de faciliter les mouvementsmouvements entre fragments forestiers isolés. Certains abritent à peine une à deux dizaines d'individus qui doivent traverser des plantations, au risque d'être abattus, pour se déplacer et se nourrir. La connexion de ces îlots de biodiversitébiodiversité pourrait permettre à ce doux singe anthropoïde de repartir du bon pied.