Les scientifiques ne sont pas d’accord sur l’interprétation des chiffres du cancer de la thyroïde chez les enfants vivant dans la région de Fukushima, au Japon, depuis l'accident nucléaire survenu en 2011. Ces données, jugées alarmantes pour certains, seraient liées à un « surdiagnostic » pour d’autres. Un article paru dans Science fait le point.

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    Le 11 mars 2011, il y a tout juste cinq ans, un tsunami touchait la centrale nucléaire de Fukushima et conduisait à la libération de substances radioactives dans l'environnement. Le lendemain, environ 150.000 personnes vivant dans les 20 km alentour ont été évacuées. La semaine suivante, les produits alimentaires ont été surveillés. Les habitants ont aussi eu des tablettes d’iode pour éviter l'absorption d'iodeiode radioactif. Depuis cette date, l'inquiétude a grandi sur le risque de cancers chez les habitants.

    Des mois après l'accident, l'université de Fukushima a commencé un dépistage sans précédent chez les enfants pour détecter les signes précoces de cancers de la thyroïde, car cette pathologie peut être liée à l'exposition à l'iode 131. Des centaines de milliers d'enfants ont été dépistés, dès la fin de l'année 2011 ; ceux qui avaient des nodules de plus de 5 mm ou des kystes de plus de 20,1 mm ont subi des examens complémentaires. Après le dépistagedépistage initial, les enfants ont fait examiner leur thyroïdethyroïde tous les deux ans jusqu'à l'âge de 20 ans, puis tous les cinq ans.

    Les résultats ont été révélés dès le début des examens et, dès le départ, il y avait un taux élevé d'anomaliesanomalies. Parus en août 2015, ces résultats montrent que la moitié des 300.476 enfants avaient des nodules solidessolides ou des kystes remplis de fluide sur leur thyroïde. Une centaine d'entre eux avaient un cancer. En 2013, Toshihide Tsuda, épidémiologiste à l'université d'Okayama, au Japon, a commencé à présenter des résultats à des conférences internationales, affirmant que le nombre de cancers de la thyroïde à Fukushima était anormalement élevé. En octobre 2015, il a publié ses résultats dans Epidemiology et a conclu que l'incidenceincidence du cancer était de 0 à 605 cas pour un million d'enfants, selon la localisation, et en moyenne 30 fois plus élevée que le taux normal de cancers chez les enfants.

    Cependant, tous les scientifiques ne sont pas de cet avis. Pour Kenji Shibuya, de l'université de Tokyo, il y a eu « surdiagnostic et surtraitement ». Des dizaines d'enfants se sont vus retirer leur thyroïde, peut-être inutilement. Certains scientifiques s'opposent à l'interprétation alarmiste des résultats et ont publié plusieurs lettres à ce sujet dans la revue Epidemiology, en février 2016. Pour ces scientifiques, une autre question devrait être posée : pourquoi y a-t-il autant d'anomalies de la thyroïde chez les enfants ? Ainsi, pour Dillwyn Williams, de l'université de Cambridge (Royaume-Uni), un spécialiste du cancer de la thyroïdecancer de la thyroïde, les résultats surprenants du dépistage montrent qu'il y aurait beaucoup de cancer de la thyroïde trouvant leur origine dans la petite enfance. Comme l'étude de Fukushima était d'une ampleur considérable, certains pensent qu'en réalité elle montre que les kystes et les nodules de la thyroïde sont plus fréquents que ce que l'on croyait. C'est l'avis de Dilwyn Williams, qui s'exprime dans Science : « Les données indiquent que la grande majorité et peut-être tous les cas découverts à ce jour ne sont pas dus à des radiations ».

    Le cancer de la thyroïde peut être causé par une irradiation. © Dreams Come True, Shutterstock

    Le cancer de la thyroïde peut être causé par une irradiation. © Dreams Come True, Shutterstock

    Des résultats inquiétants mais une analyse critiquée

    D'après certains scientifiques, une erreur commise par Toshihide Tsuda tient à la différence des outils de diagnosticdiagnostic : l'étude de Fukushima utilisait des outils à ultrasonsultrasons modernes et détectait des croissances qui ne peuvent être vues autrement. Or, les examens traditionnels, basés sur des patients qui ont des symptômessymptômes, donnent un taux de (seulement) trois cas de cancers de la thyroïde pour un million. Comme l'explique Richard Wakeford, épidémiologiste à l'université de Manchester (Royaume-Uni), « il est inapproprié de comparer les données provenant du programme de dépistage de Fukushima avec les données du registre du cancer du reste du Japon, où il n'y a, en général, pas de dépistage à grande échelle ».

    Pour savoir ce que donnerait un dépistage comparable dans une population non exposée aux radiations, l'équipe de Noboru Takamura, de l'université de Nagasaki, au Japon, a utilisé le protocoleprotocole de l'étude de Fukushima pour examiner 4.365 enfants âgés de 3 à 18 ans dans trois lieux différents. Elle a trouvé des nombres similaires de nodules et de kystes, un cancer et une prévalenceprévalence de 230 cancers pour un million de personnes, comme rapporté dans un article paru dans Scientific Reports en mars 2015. D'autres études japonaises ont trouvé des taux de cancers de la thyroïde de 300, 350 voire 1.300 pour un million. C'est pourquoi le chercheur écrit dans Epidemiology que « la prévalence du cancer de la thyroïde détectée par des techniques d'échographieéchographie avancées dans d'autres régions du Japon ne diffère pas de manière significative de celle dans la préfecture de Fukushima ».

    D'autres études ailleurs ont montré que les petits kystes et nodules de la thyroïde sont courants à tout âge. Certains scientifiques pensent plutôt que le risque de cancer chez les habitants proches du site de Fukushima devrait être assez bas. Même s'il s'agit de la deuxième catastrophe nucléaire la plus grave après Tchernobyl, elle n'est pas de la même ampleur car elle a libéré environ dix fois moins de radiations et beaucoup dans la mer.

    Il semble clair que nous manquons du recul nécessaire pour interpréter ces résultats. Même si des anomalies de la thyroïde peuvent être sans danger, le fait d'en trouver autant génère de l'anxiété dans la population.