Alors que l’on a longtemps pensé que toutes les cellules de notre corps étaient composées du même ADN, hérité de nos parents, une vaste étude révèle qu’une grande partie de nos neurones possèdent de nombreuses variations génétiques qui les rendent uniques. On ignore encore l’impact direct sur notre cerveau. Ce fait pourrait aussi concerner d’autres tissus de l’organisme.

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    S'il y a bien une chose à retenir en biologie, c'est que rien n'est simple ni limpide. Exemple : on a longtemps résumé le patrimoine génétique à une succession de gènes, alors que l'on considérait une bonne partie des régions non codantes comme de l'ADN poubelle, avant de se rendre compte de son utilité.

    D'autre part, on considère également que toutes nos cellules possèdent le même génome. Mais des études récentes commencent à montrer des divergences génétiques à l'intérieur d'un même tissu. Au niveau du cerveau, on a montré qu'il pouvait manquer un ou plusieurs chromosomes dans les neurones, ou que certaines régions étaient manquantes ou, au contraire, dupliquées. C'est ce que les scientifiques appellent la variabilité du nombre de copies (CNV).

    Néanmoins, on pensait ce phénomène relativement marginal. Une étude publiée dans Science suggère que ce processus est beaucoup plus fréquent qu'on ne le pensait jusque-là, même si l'on ignore encore exactement comment l'interpréter. Mais les auteurs, affiliésaffiliés à l'Institut Salk (La Jolla, États-Unis), pensent que cela peut être l'une des clés pour mieux comprendre les mystères du cerveau.

    Des CNV plein le cerveau, bien plus que dans la peau

    Les scientifiques ont procédé en deux temps. Dans un cas, ils ont récolté environ une centaine de neurones du cortexcortex frontalfrontal, issus de trois personnes décédées. Leur objectif étant de déterminer une vue d'ensemble des CNV, il leur a fallu amplifier (multiplier) à plusieurs reprises le génome de chacune de ces cellules nerveuses avant de le séquencer. Ils ont reproduit la même manipulation, mais cette fois avec des cellules de la peau récoltées chez trois patients sains et transformées en neurones, à partir de cellules souches pluripotentes induites (CSPiCSPi), une technique récente mais désormais bien connue.

    Le séquençage de l'ADN d'un neurone est un processus fastidieux. Il a fallu un an aux auteurs pour tester leur technique et la valider. © <em>The Sanger Institute</em>, Wellcome Images, Flickr, cc by nc nd 2.0

    Le séquençage de l'ADN d'un neurone est un processus fastidieux. Il a fallu un an aux auteurs pour tester leur technique et la valider. © The Sanger Institute, Wellcome Images, Flickr, cc by nc nd 2.0

    Sur les 110 cellules nerveuses récupérées sur les corps, ils ont noté que 45 (soit environ 41 %) étaient dotées d'au moins une ou plusieurs délétionsdélétions ou duplications qui les rendaient génétiquement uniques et qui n'ont pas été héritées des parents, mais seraient donc apparues spontanément. Sur les neurones issus de cellules de la peau, le chiffre descendait à 32,5 % : mais ces différences marquant l'unicité restent plus importantes que ce qui a été observé en comparant deux cellules de peau entre elles. Donc, la différenciation en neurones semble s'être accompagnée de l'apparition de nouvelles modifications génétiques.

    Les auteurs avouent avoir été surpris par l'ampleur des résultats constatés, mais trouvent cohérent le fait que la variabilité entre les neurones soit plus importante qu'entre les cellules de la peau.

    Toutes les cellules du corps sont-elles uniques sur le plan génétique ?

    Quels effets sur le cerveaucerveau ? Les chercheurs, dirigés par Fred Gage, n'ont pas les moyens d'être très éloquents sur le sujet, car ils ne disposent que de peu d'éléments de réponse. Ils pensent cependant que les CNV peuvent contribuer à s'adapter à un environnement différent, ou protègent les cellules nerveuses des infections. C'est peut-être également un élément sous-entendant que les neurones sont particulièrement soumis aux mutations génétiques.

    Cependant, pour avoir des résultats plus précis, il faudrait étudier un peu plus d'une centaine des 86 milliards de neurones qui composent un cerveau humain, et éventuellement regarder de près les différences induites au niveau de l'ARNARN et des protéinesprotéines qui en découlent.

    Si cette recherche s'est focalisée sur le tissu cérébral, elle suggère malgré tout que d'autres organes, voire tous les organes, pourraient être concernés par ce phénomène. Ce qui ouvrirait probablement de nouvelles pistes de réflexion et une meilleure compréhension de l'ADN et des mécanismes qui y sont liés. De quoi occuper les scientifiques pendant de nombreuses années...