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Notre planète est arrivée à un tournant crucial de son histoire… Dans ce monde où les enjeux écologiques doivent être mis de toute urgence au centre du débat, où la tentation de l'obscurantisme va grandissant, où l'ouverture aux autres cultures est vitale, la diffusion des connaissances et leur mise à la disposition de l'ensemble de la communauté humaine sont indispensables. L'avenir de notre planète en dépend. Futura Sciences, en diffusant des informations scientifiques rigoureuses et en donnant sans tabous et sans contraintes la parole au monde de la recherche, permet à tous de mieux connaître, de mieux comprendre et donc de mieux appréhender notre environnement. De toute évidence, cette démarche est fondamentale. Je souhaite longue vie à Futura Sciences : que son succès soit à la hauteur des enjeux…

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Biographie

Philippe Gerrienne est Chercheur Qualifié du Fonds National pour la Recherche Scientifique dans l'unité « PaléobotaniquePaléobotanique, Paléopalynologie et Micropaléontologie » du Département de GéologieGéologie de l'Université de Liège (Belgique). Il est également responsable des enseignements de Paléobotanique et de Xylologie. Son principal domaine de recherches est l'étude des toutes premières plantes terrestres, leur systématique, leur biologie et leur distribution géographique.

Le parcours scientifique de Philippe Gerrienne a débuté en 1982 par l'étude des plantes fossilesfossiles d'une localité belge du DévonienDévonien inférieur (vieille donc d'à peu près - 400 millions d'années). Ensuite, il a réalisé une thèse de doctorat sur l'ensemble des localités belges de la même époque. A cette occasion, il a découvert plus d'une dizaine d'espècesespèces et de genres nouveaux, dont certains appartiennent à des familles jusque là inconnues. En 1993, il est nommé Chercheur qualifié du FNRS et élargit son champ d'intérêt d'une part aux plantes fossiles d'âge dévonien trouvées par exemple au Brésil ou au Maroc, et d'autre part à des fossiles végétaux plus récents (Dévonien moyen ou supérieur, CarbonifèreCarbonifère, Tertiaire ou même subactuels).

Il a organisé, co-organisé ou participé à des missions de récoltes de fossiles dévoniens aux quatre coins du monde (Australie, Brésil, Chine, Maroc). Pendant plusieurs années, il a en outre enseigné la biologie végétale aux futurs biologistes et géologuesgéologues de l'Université de Liège. Il participe régulièrement à des activités de vulgarisation scientifique, qu'il affectionne tout particulièrement.

Philippe Gerrienne a reçu en 1994 le Prix du Concours annuel, et en 2003 le prix « Suzanne Leclercq » de l'Académie Royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique

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métier

Jaguariaiva, Etat du Paraná, Brésil, le 31 juillet 2001, 6h30. Le jour se lève à peine, et je suis déjà debout… Le temps de passer sous la douche – presque froide ! – et je retrouve Philippe Steemans (mon alter ego spécialiste des spores au sein de notre laboratoire de l'Université de Liège) en compagnie d'Egberto Pereira et de Sergio Bergamaschi, nos collègues cariocas, devant un petit déjeuner roboratif. Quelques croissants, trois tasses de café et deux tranches de papaye plus tard, nous voilà en route… Il nous faut tout d'abord recruter deux ouvriers locaux, qui vont nous aider à transporter les montagnes. Egberto parvient sans peine à convaincre Pedro et Ignacio de nous accompagner. Je sens bien dans leur regard qu'ils se demandent si nous ne sommes pas un peu « loucos » (fous) de les payer pour casser des cailloux ! C'est l'hiver dans l'hémisphère sud, et il a neigé avant-hier. Heureusement, aujourd'hui, c'est juste un petit crachin qui nous transperce les os. Finalement, c'est mieux ainsi : le travail sur le terrain est encore plus pénible quand il fait chaud. C'est la troisième fois que j'effectue une campagne de récolte dans cette localité. L'affleurement rocheux est en fait la tranchée d'une voie de fer désaffectée. Les plantes fossiles que nos collègues brésiliens ont découvertes ici sont d'une abondance et d'une qualité exceptionnelle, et je ne désespère pas, en toute simplicité, d'y faire LA trouvaille qui révolutionnera la paléobotanique dévonienne ! Les couches sédimentaires, schistes et grès en alternance, sont horizontales et régulièrement superposées. Nous n'y avons accès que latéralement, et il faut batailler ferme pour extraire des pièces fossilifères de bonne taille. Avec l'aide de Pedro et Ignacio, au bout de plusieurs heures, nous avons enfin accès à des niveaux prometteurs. Avec d'infinies précautions, nous réussissons à extraire un gros bloc de grès… A première vue, il ne paie pas de mine, mais je sens qu'il renferme des merveilles : je les vois qui montrent le bout de leurs axes sur la tranche du caillou… C'est vraiment le moment le plus excitant : l'instant où le marteau va s'abattre sur la craquelure bien parallèle à la surface de la roche… Tout est possible ; le plus beau fossile du monde va être mis au jour… Quelques coups judicieusement appliqués, et voilà la craquelure qui devient crevasse, et le bloc qui se fend en deux parties. Des plantes en pagaille : des fragments minuscules, mais aussi des segments d'axes plus longs et des parties fertiles… Ce bloc est réellement prometteur et fera le voyage d'abord jusqu'à Rio, ensuite, s'il tient ses promesses, par bateau jusqu'à Liège. Attention, il est impératif d'emporter empreinte et contre-empreinte : toutes deux apportent des informations complémentaires et indispensables. Celles-ci méritent un emballage de premier choix : plusieurs couches de papier toilette double épaisseur feront l'affaire ! Pendant plusieurs heures encore, les découvertes vont se succéder… Les plantes que nous récoltons sont petites, et il est souvent malaisé de décider si tel bloc fossilifère vaut la peine d'être emmené ou non ; dans le doute, nous en emportons le plus possible. Tous les spécimens sont emballés et numérotés provisoirement. Sergio indique leur provenance précise sur des dessins schématiques des couches fossilifères esquissés dans son cahier de terrain ; Philippe double le tout de nombreux clichés photographiques. La luminosité déclinante nous force bientôt à déclarer la fin des hostilités. Nous rassemblons notre récolte. La journée a été excellente : le petit camion mis à notre disposition par l'Université d'Etat de Rio de Janeiro est chargé à l'extrême limite de sa capacité. C'est néanmoins à contrecœur que je me décide à partir. Qui sait quand l'occasion de revenir en ce lieu magique se représentera ? Sur le trajet qui nous ramène à l'hôtel, je ne peux m'empêcher de songer, comme à chaque fois, au destin curieux et un peu triste des fossiles que nous transportons. Après avoir survécu de leur vivant à leurs prédateurs, puis au transport dans une rivière en crue, à la dégradation par les micro-organismes, à l'enfouissement et à l'écrasement au sein des sédiments, et enfin à l'altération physique ou chimique, ils nous sont parvenus quasi intacts, au terme des 400 millions d'années de cet improbable voyage géologique… Et, attaqués par la lumière et par l'oxygène, ils sont maintenant condamnés à s'affadir et à très vite disparaître : dans quelques dizaines d'années, il ne restera plus d'eux que les jolies images que je me promets, hommage posthume bien dérisoire, de publier dès mon retour à Liège…