En fixant de minuscules caméras sur des corvidés sauvages, des chercheurs ont pu surprendre ces oiseaux en pleine fabrication de petits outils puis les observer en train de s’en servir pour récupérer des larves d’insectes.

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    Des corneilles vivant en Nouvelle-Calédonie ont été équipées de mini-caméras dotées d’un émetteur radio VHF et fixées sous les grandes plumes de la queue. L’objectif pointait vers l’avant, entre les pattes. © Christian Rutz

    Des corneilles vivant en Nouvelle-Calédonie ont été équipées de mini-caméras dotées d’un émetteur radio VHF et fixées sous les grandes plumes de la queue. L’objectif pointait vers l’avant, entre les pattes. © Christian Rutz

    On savait déjà que les corvidés (une grande famille comprenant corbeaux, corneilles, pies, geais, choucas...) fabriquent volontiers des outils. De nombreuses études ont été réalisées en laboratoire. Ces oiseaux sont capables d'utiliser une brindille ou une tige de ferfer pour attraper un objet inaccessible qui les intéresse. Certains ont même eu l'idée de tordre un fil de fer pour en faire un crochet.

    Mais les observations dans la nature restent très rares. Au Japon, des corneilles ont été vues déposer des noix sur la route puis attendre que des voituresvoitures les écrasent afin de récupérer les graines ! Parmi les champions du genre figurent les corneilles de Nouvelle-Calédonie, qui savent bricoler une étonnante palette d'outils pour différents usage à l'aide d'herbes, de feuilles et de brindilles.

    Pour étudier ces pratiques de plus près, une équipe britannique du département de zoologie de l'université d'Oxford a transformé les oiseaux eux-mêmes en cinéastes. Christian Rutz et ses collègues ont d'abord conçu une caméra miniature, de 4,5 x 2 x 1,3 centimètres. Son poids n'est que de 14,5 grammes, batterie et émetteur radio compris. Les chercheurs ont suivi les normes que les naturalistes s'imposent désormais pour le poids d'un engin fixé sur un animal. La règle est de ne pas dépasser 3 % du poids de l'animal. Leur équipement était un peu trop lourd (équivalent à moins de 5 % du poids de l'oiseau) mais la fixation était conçue pour résister moins de trois jours, l'appareil étant ensuite perdu.

    Des engins de ce genre ont été fixés sur l'arrière-train de douze corneilles de Nouvelle-Calédonie. La caméra filmait vers l'avant de l'animal, entre les pattes. Elles pouvaient émettre durant 70 minutes. En tout, 7,5 heures de vidéo ont été recueillies par radio.

    Pour l’apéritifs, des pics à larves

    Ce documentaire unique en son genre est passionnant en soi. Plusieurs extraits sont disponibles sur le site de l’équipe. On y voit la dégustation d'escargots, la chasse aux petits lézards et la longue quête de nourriture au sol. Il réunit également plusieurs observations inédites. L'utilisation d'outils a clairement été visualisée. Entre autres engins de cueillette, les corneilles de Nouvelle-Calédonie se confectionnent des pics pointus pour déloger des larves de cérambycidés (des insectes coléoptères aussi appelés capricornes ou longicornes) qui se cachent dans les interstices du bancoulier (ou noyer des Moluques). L'un des oiseaux s'est déplacé de plus de cent mètres pour aller de l'endroit où se trouvait l'outil jusqu'au bancoulier convoité, ce qui fait dire aux auteurs que les corneilles doivent se souvenir de l'endroit où se trouvent de bons outils qu'elles ont déjà utilisés.

    A droite, un pic confectionné par une corneille et abandonné sur une souche de bancoulier,<br />là où il a servi à l’oiseau pour attraper la larve dodue de capricorne, à gauche. © Christian Rutz

    A droite, un pic confectionné par une corneille et abandonné sur une souche de bancoulier,
    là où il a servi à l’oiseau pour attraper la larve dodue de capricorne, à gauche. © Christian Rutz

    Les oiseaux ainsi filmés ne récoltaient, quand ils picoraient le sol, qu'une moyenne de huit aliments par heure, ce qui paraît faible par rapport aux performances mesurées ailleurs. Mais les scientifiques ignorent quel est le rendement habituel des oiseaux de cette région. En revanche, ils ont pu comparer le taux de réussite lorsque la corneille fouille le sol avec son becbec et lorsqu'elle traque la larve de capricorne. La chasse apparaît considérablement plus efficace que la cueillette au sol. Les auteurs en concluent que les larves d'insectes constituent la nourriture principale de ces corneilles, ce qui a contribué à sélectionner au fil des générations la pratique de la fabrication d'outils.

    Au-delà de ces fructueuses observations, l'équipe explique avoir démontré la faisabilité et l'intérêt de ce nouveau moyen d'étudier les oiseaux. De telles caméras pourraient sûrement être employées avec profit sur des animaux trop farouches ou vivant dans des environnement inaccessibles.