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    Dans de nombreuses situations pratiques, on souhaite répartir un liquide sur une surface solide ou le faire pénétrer dans un milieu poreux de façon progressive. C'est par exemple le cas de médicaments que l'on administre par voie cutanée.

    Mayonnaise. © Jason Terk, <em>Wikimedia commons,</em> CC by 2.0
    Mayonnaise. © Jason Terk, Wikimedia commons, CC by 2.0

    Si ce liquide a une faible viscosité, il ne sera pas aussi facile de le manipuler, de le répartir sur une surface ou de lui donner une forme quelconque. Pour remédier à ce problème, on utilise un procédé qui place le liquide dans un mélange globalement beaucoup plus visqueux : il s'agit de la mise en émulsion. Ce procédé consiste à disperser le liquide en gouttelettes au sein d'un autre liquide. Le mélange ainsi obtenu est une suspension de gouttelettes, dont la viscosité augmente en général avec la concentration. C'est un fluide à seuil à des concentrations en gouttelettes suffisamment élevées. On utilise notamment cette technique en cosmétique (crèmes hydratantes), en pharmaceutique (baumesbaumes, crèmes diverses), en génie civil (fluides pétroliers), en agroalimentaire (mayonnaise, vinaigrette, beurre) et dans le domaine des explosifs (émulsions explosives).

    La mayonnaise est une émulsion typique que l’on rencontre dans la vie quotidienne. © DP
    La mayonnaise est une émulsion typique que l’on rencontre dans la vie quotidienne. © DP

    En fait, la préparation d'une émulsion dans un liquide n'a rien d'évident. La division d'une goutte en deux plus petites gouttes augmente l'aire totale de leur interface avec le liquide ambiant. La création de gouttes à partir d'un volume compact de liquide implique donc une augmentation très importante de l'aire des interfaces entre les deux liquides. Ce qui demande en général de fournir de l'énergieénergie au système, car on place un plus grand nombre de moléculesmolécules de chaque phase en contact. En outre, lorsqu'on prépare une émulsion en la mélangeant vigoureusement, l'énergie nécessaire à la division des gouttes en plus petites gouttes est transmise via les forces visqueuses au sein du liquide ambiant.

    Émulsions, instabilité et coalescence

    À une vitessevitesse de cisaillement donnée, on atteint au bout d'un moment une taille de goutte critique, qui dépend de cette vitesse et du rapport des viscosités du liquide et des gouttes. À partir de cette taille, il n'est plus possible de diviser les gouttes sous la seule action des forces visqueuses. Le défaut majeur de ce type de mélange est son instabilité : deux gouttes qui se rencontrent fusionnent rapidement pour former une plus grosse goutte, de façon à minimiser l'énergie de surface. On appelle ce processus la coalescencecoalescence. Il est donc nécessaire d'ajouter des produits stabilisants pour ralentir ce phénomène, les surfactantssurfactants, qui se placent le long des interfaces et empêchent que les liquides de deux gouttes voisines ne coalescent.

    Image du site Futura Sciences

    Émulsion huile (dodécane) dans eau à concentration modérée (75 %, à gauche). Les bulles d’huile sont bien régulières. À concentration élevée (85 %, à droite), les gouttes sont alors écrasées les unes contre les autres. © L. Ducloué

    La mayonnaise est une émulsion élaborée en dispersant des gouttes d'huile dans une solution aqueusesolution aqueuse de jaune d'œuf, constitué d'eau à 50 %, et de moutarde. Lorsque seuls les ingrédients de base (eau et huile) sont fouettés dans un récipient, on peut pendant quelques instants créer de grosses gouttes d'huile. Mais celles-ci se regroupent à nouveau rapidement en remontant à la surface du mélange. Le jaune d'œuf et la moutarde contenant notamment de la lécithine, ils jouent le rôle de surfactant, stabilisant l'émulsion. La consistance du produit final dépend ensuite du rapport des volumes d'huile et de solution aqueuse. Une faible proportion d'huile donne un mélange très liquide, dont la viscosité est peu différente de celle de l'eau, car les gouttes d'huile sont éloignées les unes des autres. Pour que la viscosité du mélange augmente significativement, il faut que la proportion d'huile en volume par rapport au volume total soit de l'ordre de 80 %. Dans ce cas, les gouttes sont si près les unes des autres qu'elles sont obligées de se déformer pour tenir dans le volume de l'échantillon. 

    Mayonnaise et seuil de contrainte

    Chaque goutte étant coincée entre ses voisines comme dans une cage, le réseau de gouttes forme finalement une structure solide qui ne peut être brisée qu'en lui appliquant une force suffisamment grande permettant à un certain nombre de gouttes de sortir de leur cage. En maintenant cette force, on va poursuivre le processus sur d'autres gouttes, ce qui va induire au bout du compte une déformation macroscopique inexorable du matériaumatériau : il s'écoule. Ainsi une émulsion concentrée est un fluide à seuil : solide sous une certaine contrainte, liquide au-delà.

    Le seuil de contrainte joue un rôle déterminant lors de l'utilisation de la mayonnaise, car il conditionne la force nécessaire pour la manipuler et la forme qu'elle prendra sous l'action de la gravitégravité : si le seuil est faible, les dépôts ne conservent pas leur forme initiale, la mayonnaise forme une flaque dans l'assiette. La valeur de ce seuil est ajustable par la taille des gouttes. Cependant, contrairement à une idée reçue, on ne modifie pas la concentration en gouttes en réduisant leur taille, autrement dit en brassant plus longtemps ou plus violemment le mélange. En effet, en observant chaque système à une échelle proportionnelle à la taille des gouttes qu'il contient, on retrouve les mêmes caractéristiques géométriques, donc les mêmes rapports de volumes des différentes phases. En revanche, en réduisant leur taille, on augmente la résistance élastique de chaque goutte, qui est directement reliée au comportement macroscopique du système. On augmente ainsi le seuil de contrainte du matériau.