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    Le corroyage est l'opération consistant à déformer un métal : un resserrement et une réorientation des cristaux par déformation se font dans une ou plusieurs directions privilégiées. Le corroyage à chaud, à température modérée ou à température ambiante, permet d'obtenir des produits à la forme désirée (bloc, tôle, barre, fil, profiléprofilé).

    © DueAncore CC BY-SA 3.0

    © DueAncore CC BY-SA 3.0
    Lame damassée. © Tamorlan, <em>Wikimedia commons</em>, CC 3.0
    Lame damassée. © Tamorlan, Wikimedia commons, CC 3.0

    Les procédés de transformation sont le forgeage, le laminagelaminage, le filage, le matriçage. L'acier damassé est obtenu par corroyage. Damassage et damasquinure, deux techniques savantes héritées de l'artisanat romain, connaissent un développement nouveau à l'époque mérovingienne.

    La fonderie est très répandue dans le royaume franc. La fonte de divers métauxmétaux comme l'or, l'argent ou le bronze. Mais cette technique est essentiellement employée pour créer des boucles de ceintures, des objets de parures, des fibules, des bagues, des pommeaux d'épées ou des fourreaux : le métal était rare et le travailler était cher...

    Boucle damasquinée VII<sup>e</sup> mérovingien - Antiquités nationales.
    Boucle damasquinée VIIe mérovingien - Antiquités nationales.

    L'activité caractéristique fut la damasquinure : l'art d'incruster du métal sur un support de métal différent, monochrome en argent puis bichrome argent-laiton. Le royaume burgonde et la région parisienne portèrent cet art au plus haut point de perfection.

    Le forgeron, métier prestigieux,  fabrique les armes franques à la fois souples et solidessolides. Les épées damassées, résistantes et tranchantes, rehaussées d'or et de pierres précieusespierres précieuses. L'art du damassage atteignit sous les Mérovingiens un niveau de perfection inégalé par la suite.

    Épée damassée VI<sup>e</sup> mérovingien - Antiquités nationales.
    Épée damassée VIe mérovingien - Antiquités nationales.

    Pour fabriquer une épée damassée, le forgeron soudesoude des couches alternées de ferfer doux souple et de fer dur carburé. Les barres ainsi obtenues sont torsadées, meulées et parfois fendues au ciseau pour l'obtention de dessins symétriques avant d'être assemblées pour former la lame. Les tranchants en fer dur sont ensuite rapportés. La lame est la plupart du temps constituée sur ses deux faces de deux damas à motifs différents formés chacun de deux, trois ou quatre barres. Ces damas sont souvent séparés par une couche de fer non damassé.

    Le wootz et le damas : métallurgie et forgeage

    Les aciers de Damas ont une réputation légendaire : très beaux, très résistants, leurs qualités résultent de leur teneur en carbonecarbone et d'un habile forgeage. (O. Sherby et J. Wadsworth, Article paru dans la revue « Pour la Science », avril 1985 raccourci et modifié pour les besoins du dossier).

    Dès les croisades, les épées damassées acquirent leur réputation légendaire, les forgerons d'Europe tentaient, en vain, d'en reproduire le dessin. Michael FaradayMichael Faraday, fils de forgeron, analysa un de ces aciers en 1819 et Jean Robert Bréant, inspecteur des titres à la Monnaie de Paris, découvrit, en 1821, leur haute teneur en carbone. Il parvint à en fabriquer. Mais les bases scientifiques nécessaires à la compréhension de la nature de l'acier damassé n'ont été établies qu'au XXe siècle.

    Couteau damas. 
    Couteau damas. 

    Nous nous sommes intéressés aux aciers de Damas dans le cadre de nos recherches sur les aciers extra-durs (disent les auteurs de l'article) et nous sommes parvenus à reproduire le damas des épées avec des procédés semblables à ceux des forgerons du Proche-Orient de l'Antiquité.

    Le nom de ces épées provient du lieu où les Croisés les ont découvertes. Ces épées étaient forgées dans du wootz, acier qui venait d'Inde et exporté sous forme de petits lingots. En Russie, on les appelait bulat.

    Les forgerons utilisaient du charboncharbon de boisbois comme source de carbone pour réduire le mineraiminerai. Ils mélangeaient tout dans un creuset d'argileargile fermé de 8 cm de diamètre sur 16 cm de haut, et le chauffaient à 1.200 degrés dans un four de pierre.

    Couteau lame damas. © Wikipedia
    Couteau lame damas. © Wikipedia

    À cette température, le fer est solide, et les cristaux sont CFCCFC. Le carbone diffuse dans cette structure et les atomesatomes de carbone s'installent dans les interstices du fer : c'est l'austénite. Le carbone abaisse le point de fusionfusion. Lorsque la proportion ne dépasse pas 2 % à la surface des morceaux, une fine couche fondue de fonte blanche se forme sur les morceaux. Les forgerons secouaient le creuset pour détecter la présence de cette matièrematière fondue. Ils refroidissaient alors le creuset très lentement, parfois en plusieurs jours. Cette opération assure une diffusiondiffusion homogène du carbone dans la massemasse d'acier. Lorsque la température tombe au-dessous de 1.000 °C, une partie du carbone précipite et forme de la cémentitecémentite (Fe3C), autour des grains d'austénite. Comme le refroidissement était lent, les grains d'austénite avaient le temps de grossir et le réseau de cémentite restait grossier.

    Ce réseau de cémentite constituait le damas visible à la surface de la lame. Si la cémentite est dure, elle est cassante à température ambiante. Le maillage de la cémentite aggravait la fragilité et l'acier présentait des lignes de fracture. Pourtant, les épées damassées étaient solides et dures. Le wootz n'acquérait cette résistancerésistance que quand le maillage de cémentite avait été détruit par un martelage prolongé, à température assez basse. Le wootz était travaillé entre 850 et 650. Plus haut la cémentite se serait redissoute dans l'austénite. Le réseau de cémentite était réduit en petits sphéroïdes qui assuraient toujours le rôle de renforcement, mais les risques de fracture étaient inférieurs.

    L'épaisseur du lingot d'origine était réduite selon les lames d'un facteur 3 à 8 par martelage. Nous avons montré en laboratoire que les aciers extra-durs restent malléables et faciles à travailler à 850 degrés ; nous avons comprimé d'un facteur 3, en une seule étape, des lingots qui contenaient respectivement 1,3, 1,6 et 1,9 pour cent de carbone : aucun d'entre eux n'a montré la moindre trace de faille.

    Damas. 
    Damas. 

    Les forgerons européens avaient du mal à reproduire ces lames car ils travaillaient leurs aciers à blanc. Or, le wootz est à moitié fondu à ce stade. Bréant décrit le résultat inévitable : « chauffé à blanc [l'acier damassé] tombe en morceaux sous le marteau ».

    Les lames de Damas étaient durcies par trempage après avoir été forgées. On provoque le durcissement thermique d'un acier de ce type en le chauffant à plus de 727 degrés (la ferrite se transforme en austénite) puis en le trempant. Quand on laisse un acier extra-dur refroidir lentement au lieu de le tremper, l'austénite se transforme en perliteperlite. La perlite est une alternance de couches de ferrite molle et pauvre en carbone, et de cémentite riche en carbone. Quand on trempe l'acier, on évite cette dernière transformation, les cristaux de fer adoptent une configuration quadratique centrée où les atomes de carbone peuvent s'insérer : la martensite.

    Damas.
    Damas.

    Aujourd'hui, les métallurgistes considèrent que les aciers les plus solides et les plus durs ont le grain le plus fin, ce qui suggère que les meilleures épées damassées devaient être dépourvues du fameux dessin ! Les forgerons du Moyen Âge contrôlaient la qualité de leurs produits d'après l'aspect de la surface : le damas révèle à la fois une haute teneur en carbone, duretédureté, et un travail de forge de qualité, solidité. Cependant, le damas n'est visible que si les particules de cémentite sont grossières et qu'elles ne sont pas distribuées uniformément dans la masse. Les lames dont la microstructure était si fine qu'elle n'aurait pas pu être détectée à l'œilœil nu auraient été encore plus dures et plus solides.

    Nous avons tenté de reproduire le damas au laboratoire, afin de vérifier nos hypothèses sur la composition et la méthode de fabrication des aciers damassés. Nous avons chauffé un petit lingot d'acier à 1,7 pour cent de carbone à 1.150 degrés pendant 15 heures. Le carbone se dissout et une austénite grossière apparaît. Nous avons lentement refroidi le lingot, de dix degrés par heure, et un réseau continu de cémentite s'est formé autour des grains d'austénite.

    Nous avons ensuite réchauffé le lingot à 800 degrés et nous l'avons laminé (épaisseur réduite d'un facteur 8), ce qui simule le travail de la forge. Et nous avons traité l'acier avec un acideacide qui attaque le fer et le dessin est apparu à la surface. La microstructure de notre lingot était proche de celle des aciers damassés.

    Damas.
    Damas.

    Les artisans du Proche-Orient ont peut-être même fabriqué des aciers extra-durs encore meilleurs, dépourvus de damas. Nous avons fabriqué un tel acier en laminant la fonte pendant l'étape de refroidissement lent à partir de 1.100 degrés. L'effet mécanique du laminage affine les grains d'austénite et transforme la cémentite en précipité fin et homogène, mais aucun motif n'apparaît à la surface...

    Damas.
    Damas.

    Évidemment, la pratique suppléait à l'époque les carencescarences théoriques !

    Le damas actuellement pratiqué par les artisans d'art est évidemment issu directement de ces techniques connues maintenant des forgerons, ce qui leur permet de travailler aux limites du possible et d'obtenir des œuvres particulièrement intéressantes.

    Actuellement, les technologies sont très au point surtout dans des pays où l'histoire du damas ne s'est jamais interrompue comme le Japon : Kai, entreprise japonaise, est le premier producteur mondial de couteaux damassés haut de gamme. Les couteaux de cuisine professionnels Shun sont fabriqués avec un noyau central en acier spécial V-Gold-10 particulièrement résistant à la corrosioncorrosion et extrêmement dur (61 ± 1 HRC, 1,0 % de carbone, 1,5 % de cobaltcobalt) qui rend la lame incomparablement tranchante. Tandis que les côtés extérieurs de la lame sont réalisés en 32 couches superposées d'acier inoxydableacier inoxydable d'une nouvelle génération.

    Couteau Shun.
    Couteau Shun.

    Techniques ultra-modernes de damassage

    Pour terminer cet exposé sur le damas, nous nous arrêterons quelques instants aux techniques ultra-modernes de damassage qui donnent des objets magnifiques ! Même si le mythe artisanal en « prend un bon coup »...

    La métallurgie des poudres ne comporte pas de fusion donc on peut faire des économies d'énergieénergie, et, en plus, avoir un retrait très faible au refroidissement.

    On peut donc avoir des surfaces fonctionnelles brutes de frittage, ne nécessitant pas ou peu d'usinage ; les grains gardent la même forme après frittage, cela permet de maîtriser la microstructure, et donc d'avoir des propriétés mécaniques intéressantes sans faire de traitement thermomécanique (économie en dépense énergétique et en coût). Par contre, la poudre métallique, doit être conservée sous une atmosphèreatmosphère neutre (azoteazote) pour éviter une oxydationoxydation... catastrophique (combustioncombustion, voire explosion). Damasteel (entreprise suédoise a mis au point un procédé de fabrication de produits semi-finis (barres et plaques) d'acier damassé selon cette méthode, il ne reste donc plus que le formage de la pièce et l'usinage final à faire, les dessins du damas sont « pré-conçus » (avant le pressage des poudres) et ainsi parfaitement maîtrisés : ça perd de son charmecharme mais ça gagne en efficacité ! Et les produits sont magnifiques, en témoignent ces haches damassées produites avec de l'acier de cette maison (voir photo ci-dessous).

    Haches damas Gensmide Oskarshamn - Suède.
    Haches damas Gensmide Oskarshamn - Suède.

    Et puis, c'est l'objet de notre prochain chapitre, il y a le couteau d'art et de collection.