Au début de l'histoire de la Terre, le fer, initialement réparti dans toute la Planète, aurait migré par percolation vers le noyau. Cette explication, ancienne, vient d'être confirmée par des simulations et l'étude d'une météorite particulière.


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    Les géophysiciens allemands Emil Wiechert (1861-1928) et Beno Gutenberg (1889-1960) ont établi que la Terre est un corps différencié avec un cœur en fer. L'hypothèse est confortée par l'estimation de la densité et du moment d'inertie de notre Planète, qui pose des contraintes sur la composition de celle-ci. Le moment d'inertie, notamment, influence la rotation, plus précisément la vitesse ainsi que la position et l'orientation de l'axe de rotation.

    La confirmation est venue de la sismologiesismologie au début du XXe siècle. En effet, les types d'ondes qui se propagent à l'intérieur de la Terre et leurs caractéristiques dépendent de la composition et de la structure minéralogique des matériaux qui s'y trouvent. Ces études ont conduit à la découverte du noyau et de la graine, constitués de fer et de nickel.

    Mais comment cette différenciation planétaire s'est-elle mise en place ? Une hypothèse a été avancée depuis des décennies ; bien que très plausible, elle fait encore l'objet de travaux pour en établir solidement la validité.

    Ce schéma illustre la théorie proposée pour rendre compte de la formation du noyau métallique de la Terre (<em>Core</em>, en anglais sur le schéma), composé de fer et de nickel. Tout comme les noyaux métalliques des autres planètes rocheuses, il se serait formé parce que le métal fondu (<em>Metallic Melt</em>) piégé entre les grains de silicates (<em>Silicate Crystal</em>) aurait percolé, allant jusqu'au centre de la Planète au début de sa formation. © <em>UT Austin</em>
    Ce schéma illustre la théorie proposée pour rendre compte de la formation du noyau métallique de la Terre (Core, en anglais sur le schéma), composé de fer et de nickel. Tout comme les noyaux métalliques des autres planètes rocheuses, il se serait formé parce que le métal fondu (Metallic Melt) piégé entre les grains de silicates (Silicate Crystal) aurait percolé, allant jusqu'au centre de la Planète au début de sa formation. © UT Austin

    Une Terre formée par des chondrites à enstatite et qui fond partiellement

    Le volcanismevolcanisme est là pour nous rappeler que notre Planète est un astre chaud et que du magmamagma se forme dans son manteaumanteau pas fusion partiellefusion partielle. L'étude des météoritesmétéorites nous laisse penser que la Terre est le produit de processus d'accrétionaccrétion survenus à l'aubeaube de la formation du Système solaireSystème solaire, à partir de petits corps célestes. Certains résidus de ces petits corps sont encore là, sous la forme de météorites qui tombent sur la Planète bleue.

    Environ 80 % des météorites trouvées sur Terre sont des chondriteschondrites. Les autres sont des sidéritessidérites (elles sont constituées de fer presque pur avec du nickel) et des achondritesachondrites, lesquelles sont proches des roches plutoniquesroches plutoniques et volcaniques. La composition chimique moyenne des chondrites est remarquablement similaire à celle de l'atmosphèreatmosphère du SoleilSoleil, d'où l'hypothèse que ces météorites proviennent du même matériaumatériau à l'origine de notre ÉtoileÉtoile.

    Au début des années 1950, le grand chimiste Harold Urey a classé les chondrites en fonction de leur richesse en fer et, surtout, selon leur contenu en particules de fer ou en fer oxydé lié à des silicatessilicates, avec son élève Harmon Craig. Il s'est avéré qu'une classe particulière de chondrites, les chondrites à enstatite, était en mesure d'éclaircir le mystère de l'origine de la Terre et celui de sa structure différenciée, avec un noyau, un manteau et une croûtecroûte.

    En effet, lorsque l'on retire d'une chondrite à enstatite les particules de fer natif qu'elle contient, le résidu est chimiquement très proche des péridotitespéridotites, les roches qui constituent une large part du manteau de la Terre. Mieux : le rapport entre la proportion de fer dans une chondrite à enstatite et ce résidu silicaté est également proche du rapport entre la proportion de fer du noyau de notre Planète et son manteau silicaté.

    La météorite NWA 2993 est une achondrite particulière dans laquelle on trouve une sorte de réseau rempli de fer entre des zones rocheuses. © T. E. Bunch, 2008
    La météorite NWA 2993 est une achondrite particulière dans laquelle on trouve une sorte de réseau rempli de fer entre des zones rocheuses. © T. E. Bunch, 2008

    Du fer qui percole comme du magma en direction du centre de la Terre

    Grâce à toutes ces informations, un scénario a été proposé pour expliquer la formation du noyau de la Terrenoyau de la Terre. Cette dernière se serait formée initialement à partir de petits corps rocheux très similaires aux chondrites à enstatite, mais, du fait de la chaleurchaleur due à la présence d'éléments radioactifs, ce matériau a commencé à fondre partiellement et à produire un alliagealliage de fer et de nickel liquideliquide, lequel aurait percolé entre des grains rocheux (comme l'eau à travers le café moulu) en chutant au centre de la Terre. L'énergieénergie gravitationnelle libérée aurait elle-même contribué à élever la température interne de la Planète.

    Mais ce processus de percolationpercolation était-il vraiment possible ? Et, même s'il l'était, pouvait-il bien assurer que la majorité du fer et du nickel contenus dans ce qui allait devenir le manteau de la Terre allait bien plonger au centre de notre Planète ? Autant de questions que se posent les géophysiciens du solidesolide et les géochimistes. Ceux-ci tentent d'y répondre en utilisant des expériences à hautes pressionspressions et températures à l'aide de cellules à enclume de diamantdiamant, ou en utilisant des simulations numériquessimulations numériques sur ordinateursordinateurs quand les conditions physiquesphysiques sont trop extrêmes pour être réalisées en laboratoire.

     À gauche, un schéma de simulation de percolation avec le liquide magmatique (en rouge) résultant d'une fusion partielle de la roche et avec un réseau entre des grains de tailles différentes. À droite, la même situation mais avec des grains de même taille. Les simulations montrent que l'irrégularité des grains favorise la connectivité et, surtout, une percolation qui n'arrête pas, ou presque. © <em>UT Austin</em>
     À gauche, un schéma de simulation de percolation avec le liquide magmatique (en rouge) résultant d'une fusion partielle de la roche et avec un réseau entre des grains de tailles différentes. À droite, la même situation mais avec des grains de même taille. Les simulations montrent que l'irrégularité des grains favorise la connectivité et, surtout, une percolation qui n'arrête pas, ou presque. © UT Austin

    Il y a du nouveau à cet égard, comme l'expliquent des chercheurs de l'université du Texas, à Austin, dans un article publié dans Pnas. Ceux-ci ont conduit une nouvelle simulation numérique concernant la formation d'un réseau connectant les poches de liquide entre les grains composant une roche. La force principale de cette simulation est qu'elle est plus réaliste et contient des grains de différentes tailles (voir image ci-dessus). De plus, la géométrie du réseau est inspirée par des données issues d'un échantillon polycristallin de titanetitane (un matériau solide constitué d'une multitude de petits cristaux appelés « cristallites », de tailles et d'orientations variées, par opposition à un matériau monocristallin, constitué d'un unique cristal). Ces données ont été déduites de mesures réalisées par microtopographie par rayons Xrayons X.

    Alors que les précédentes simulations étaient sensibles à la fraction de matériaux fondus dans une roche, ce qui conduisait la percolation à s'arrêter, la nouvelle simulation ne montre pas ce phénomène. Une fois la percolation amorcée, elle ne s'arrête que lorsqu'il ne reste plus que 1 à 2 % de fer dans les roches de ce qui va devenir le manteau de la Terre, en parfait accord avec les modèles de la composition de ce manteau.

    Mieux : le réseau assurant la percolation quasi complète du fer ressemble beaucoup à celui conservé dans une achondrite, NWA 2993. Celle-ci doit donc être le fragment d'un manteau en cours de formation dans un planétésimal de suffisamment grande taille et qui aurait été détruit par une collision avant que le processus de différenciation n'arrive à son terme. La théorie de la formation du noyau de la Terre par percolation en sort donc renforcée.


    L'énigme du cœur de la Terre percée par la tomographie nanométrique ?

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 28/12/2010

    Comment la Terre s'est-elle différenciée il y a environ 4,5 milliards d'années ? Des chercheurs testent une nouvelle technique de tomographietomographie à des rayons X dans des expériences utilisant des cellules à enclumes de diamants. Cette technique donnera peut-être la clé du mystère de la formation du noyau ferreux de la Terre.

    La Terre s'est formée selon un processus d'accrétion il y a environ 4,5 milliards d'années. Les petits corps célestes qui sont entrés en collision avec la protoTerre en formation et qui ont contribué à sa croissance n'avaient pas tous la même composition. Cependant, la Terre qui en a résulté devrait présenter une composition relativement homogène. Or, ce n'est pas du tout l'image de la Terre actuelle que les informations géophysiques, déduites par exemple de la sismologie, ont permis d'établir. On sait ainsi que la Terre possède un noyau métallique formé pour l'essentiel de fer et de nickel, que recouvrent un manteau puis une croûte riches en silicates.

    Pour expliquer cette différenciation, il faut tenir compte du fait que notre planète est un astre chaud. Le fer et le nickel contenus dans les roches primitives formant la Terre auraient ainsi fondu et chuté en quelques dizaines de millions d'années seulement vers le centre de la Terre, sous l'effet de la gravitégravité.

    Du fer qui percole ?

    Il est bien naturel pour des éléments lourds dans un magma en fusion de plonger alors que des éléments plus légers vont monter en surface. Le problème est que le manteau de la Terre n'a pas été totalement en fusion. Il faut donc faire intervenir un processus de percolation du fer et du nickel fondus à travers des roches silicatées solides. Or, ce processus de percolation ne va pas de soi et dépend des conditions de pression et de température existant à l'intérieur de la Terre.

    Schéma de principe d'une expérience de diffraction des RX en cellule à enclumes de diamant. © Philippe Gillet
    Schéma de principe d'une expérience de diffraction des RX en cellule à enclumes de diamant. © Philippe Gillet

    L'intérieur de la Terre à la pointe des diamants

    Pour vérifier cette théorie et mieux comprendre le processus de percolation supposé, les géophysiciens du solide recréent ces conditions de pression et de température pour de petits échantillons de matièrematière à l'aide de cellules à enclumes de diamants.

    Le rayonnement incident est généralement transmis au travers du diamant « arrière » jusqu'à l'échantillon qui diffracte alors au travers du diamant situé entre lui et le détecteur. L'échantillon est une poudre ou un monocristal. © Philippe Gillet
    Le rayonnement incident est généralement transmis au travers du diamant « arrière » jusqu'à l'échantillon qui diffracte alors au travers du diamant situé entre lui et le détecteur. L'échantillon est une poudre ou un monocristal. © Philippe Gillet

    On se sert ainsi de deux diamants laissant passer de la lumièrelumière laserlaser pour chauffer ces échantillons soumis à des pressions de plus d'un million d'atmosphères. Parallèlement, on peut utiliser des faisceaux de rayons X pour faire des expériences de diffractiondiffraction avec les échantillons dans les enclumes et réaliser de l'imagerie. L'utilisation des cellules à enclumes de diamants a aussi permis de mieux comprendre le comportement de divers matériaux, comme l'oxygène solide ou l'europium, dans des conditions de hautes pressions.

    Montage d'une cellule diamant sur une source de RX du synchrotron de Lure (Orsay). Le faisceau de RX incident (en rouge) passe dans la cellule diamant et est diffracté par l'échantillon comprimé entre les diamants (faisceau bleu). Le rayonnement X diffracté est collecté sur un détecteur. © Philippe Gillet
    Montage d'une cellule diamant sur une source de RX du synchrotron de Lure (Orsay). Le faisceau de RX incident (en rouge) passe dans la cellule diamant et est diffracté par l'échantillon comprimé entre les diamants (faisceau bleu). Le rayonnement X diffracté est collecté sur un détecteur. © Philippe Gillet

    Des chercheurs du SLAC, dont la physicienne Wendy Mao, sont en train de développer une nouvelle technique de tomographie à l'échelle nanométrique avec des rayons X pour reconstituer à l'ordinateur la structure en 3D des échantillons soumis à de hautes pressions (rappelons que la tomographie crée une image tridimensionnelle en combinant une série d'images à deux dimensions, ou de sections, d'un objet. Un logiciellogiciel interpole ensuite les images pour recréer l'objet en 3D). Lors de la rencontre annuelleannuelle de l'American Geophysical Union, il a été question des résultats obtenus, exposés dans l'article Visualizing Earth's Core-Mantle Interactions using Nanoscale X-ray Tomography.

    Des signes encourageants

    Jusqu'à présent, les expériences utilisant les cellules à enclumes étaient réalisées à des pressions trop basses pour vraiment sonder la physique des zones les plus profondes de la Terre lors de sa différenciation. Et justement, le processus de percolation escompté ne semblait pas se produire, rendant énigmatique la formation du noyau de la Terre et forçant peut-être à reconsidérer la théorie de sa formation par accrétion homogène.

    Les chercheurs laissent entendre qu'ils voient maintenant des signes plus favorables à cette percolation, sans pour autant disposer encore de la preuve que celle-ci pouvait bel et bien se produire. Ces signes encourageants n'ont pu être obtenus que parce que la nouvelle technique permet d'atteindre une plus grande précision dans les mesures des interactions entre le fer liquide et les silicates solides à hautes pressions et températures.