Il est généralement difficile de déterminer la forme d’un objet à l’intérieur duquel on se trouve. C’est le cas de notre univers. Mais observations, théories et modèles semblaient s’accorder à lui donner une forme plate. Jusqu’à ce que des chercheurs relèvent des données discordantes et envisagent que notre univers soit finalement sphérique.


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    La théorie de l'inflation cosmique a été proposée il y a près de 40 ans. Elle imagine que notre univers a connu une brève, mais extrêmement brutale, phase d'expansion juste après le Big BangBig Bang. Et elle prédit de fait, un univers plat qui ressemble un peu à une feuille de papier et dans lequel deux rayons lumineux parallèles voyageraient ainsi indéfiniment. Une prédiction que les observations réalisées grâce au satellite Planck avaient semblé confirmer. Ce satellite, rappelons-le, avait pour mission de cartographier les variations d'intensité du fond diffus cosmologiquefond diffus cosmologique, si minimes soient-elles.

    Mais des chercheurs de l'université de Rome (Italie) pointent aujourd'hui quelques discordancesdiscordances. Une série d'observations fait apparaître, dans les spectres de puissance du fond diffus cosmologique, un effet de lentillelentille gravitationnel supérieur à celui prédit par la théorie. Et selon les astronomesastronomes, ces observations pourraient s'expliquer en imaginant une nouvelle forme à notre univers.

    Car elles impliquent la présence d'une quantité plus importante que prévu de matière et d'énergie noires. Des quantités suffisantes à courber l'ensemble de notre univers pour le refermer sur lui-même, lui donnant l'aspect d'une sphère : comme sur Terre, partant d'un point, si vous voyagez suffisamment longtemps, vous finirez donc par revenir à votre point de départ. « Les données que nous avons analysées sont les plus précises dont nous disposions », affirme Alessandro Melchiorri, chercheur à l'université de Rome. Et il semble qu'elles conduisent à la conclusion suivante : un univers fermé expliquerait les observations avec un niveau de confiance supérieur à 99 %.

    En astrophysique, on parle de phénomène de lentille gravitationnelle lorsque la lumière est déviée de sa trajectoire par un corps céleste très massif. © Hubble, Wikipedia, Domaine public
    En astrophysique, on parle de phénomène de lentille gravitationnelle lorsque la lumière est déviée de sa trajectoire par un corps céleste très massif. © Hubble, Wikipedia, Domaine public

    Une image du cosmos à revoir ?

    Mais le modèle d'un univers fermé ne concorde pas avec certaines autres observations. Comme le fait que l'univers proche semble être en expansion plus rapide qu'il ne le devrait. Le fait aussi que la courbure de notre univers rendrait encore plus délicate qu'elle ne l'est déjà la détermination de la constante de Hubble, une constante justement liée à la vitessevitesse d'expansion de notre univers. Les données provenant des études d'oscillation acoustique baryonique de l'énergie noireénergie noire sont également incompatibles avec le modèle de l'univers fermé. Un ensemble d'incohérences qui encouragent les auteurs de l'étude à évoquer une « crise cosmologique ». « Peut-être serons-nous amenés à repenser notre modèle de formation de l'univers », suggère Alessandro Melchiorri.

    Mais d'autres astronomes se montrent plus prudents. Ils soulignent qu'aucune autre observation ne va dans le sens d'un univers fermé et envisagent que les données de PlanckPlanck sur lesquelles ont travaillé les chercheurs italiens pourraient n'être autre que le résultat d'une fluctuation statistique.

    Pour en avoir le cœur net, il faudra vraisemblablement attendre la mise en service du Simons Observatory, dans le désertdésert d'Atacama (Chili). Il scrutera le fond diffus cosmologique et les phénomènes de lentilles gravitationnelles de manière encore plus précise que Planck. Il permettra de décider si les discordances notées sont dues à un biais systématique non détecté ou si une nouvelle physiquephysique doit être envisagée.


    Du nouveau sur l'énergie noire et la courbure de l'univers

    En étudiant la répartition et les spectres de plus d'un million de galaxiesgalaxies sur une portion de l'hémisphère nordhémisphère nord de la sphère céleste, des membres du Sloan DigitalDigital Sky Survey (SDSS) ont fait considérablement progresser la précision de l'échelle des distances dans l'univers observable. En atteignant une précision de l'ordre de 1 % pour certains paramètres cosmologiques, ils ont posé de nouvelles bornes sur la nature de l'énergie noire et la courbure totale de l'espace.

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco paru le 24/01/2014

    Avant la recombinaison, 380.000 ans après le Big Bang, l’univers était un mélange de baryons couplés à des photons qui baignait déjà dans la matière noire. Dominant la matière normale et l'énergie noire, les fluctuations de densité de la matière noire généraient des ondes sonores sphériques se propageant à presque la moitié de la vitesse de la lumière. Au moment de la recombinaison, lorsque les atomes neutres sont apparus, la lumière s'est découplée de la matière baryonique et le front de ces ondes sonores, poussé par le flux de photons, se sont figés temporairement. Ce qui a engendré des zones de surdensité de matière normale en forme de coquilles (dont le diamètre est fixé par la vitesse des ondes sonores produites par les oscillations acoustiques). Ces régions deviendront des lieux privilégiés de formation d'amas de galaxies. Après les premiers milliards d’années, la présence de plus en plus dominante de l’énergie noire influera finalement sur le taux de croissance des amas de galaxies. C'est ce phénomène, avec des « oscillations baryoniques acoustiques », qui est représenté sur cette vue d'artiste. © Zosia Rostomian, <em>Lawrence Berkeley National Laboratory</em>
    Avant la recombinaison, 380.000 ans après le Big Bang, l’univers était un mélange de baryons couplés à des photons qui baignait déjà dans la matière noire. Dominant la matière normale et l'énergie noire, les fluctuations de densité de la matière noire généraient des ondes sonores sphériques se propageant à presque la moitié de la vitesse de la lumière. Au moment de la recombinaison, lorsque les atomes neutres sont apparus, la lumière s'est découplée de la matière baryonique et le front de ces ondes sonores, poussé par le flux de photons, se sont figés temporairement. Ce qui a engendré des zones de surdensité de matière normale en forme de coquilles (dont le diamètre est fixé par la vitesse des ondes sonores produites par les oscillations acoustiques). Ces régions deviendront des lieux privilégiés de formation d'amas de galaxies. Après les premiers milliards d’années, la présence de plus en plus dominante de l’énergie noire influera finalement sur le taux de croissance des amas de galaxies. C'est ce phénomène, avec des « oscillations baryoniques acoustiques », qui est représenté sur cette vue d'artiste. © Zosia Rostomian, Lawrence Berkeley National Laboratory

    Il y a trois types de grandeurs fondamentales que les scientifiques cherchent à mesurer en astrophysiqueastrophysique et en cosmologie : des massesmasses, des températures et des distances. On sait bien que la taille apparente d'un objet diminue en fonction de son éloignement. Si on connaît sa taille absolue, il suffit de déterminer sa taille apparente pour connaître sa distance. Dans un espace-tempsespace-temps plat, la trajectoire des rayons lumineux dans l'espace n'est pas affectée, et il existe donc une relation simple entre la variation de la taille apparente d'un objet et sa distance. Elle varie en fonction inverse de la distance.

    Il se trouve que dans les modèles cosmologiques issus de la relativité générale, la loi de variation de la taille apparente d'un objet en fonction de son décalage spectral vers le rouge est sensible à la courbure de l'espace. Si l'on dispose d'un étalon de longueur fixe associé à un phénomène astrophysique et qu'on mesure son diamètre apparent ainsi que son décalage spectral, on peut donc mesurer la courbure spatiale de l'univers observable. Et donc, potentiellement, savoir s'il est clos ou ouvert. Comme les modèles cosmologiques étudiés sont dépendants de leur contenu en matière et énergie noires, on peut aussi avoir des renseignements sur le contenu de l'univers observable de cette manière.

    Les oscillations acoustiques de baryons et les galaxies

    Il existe un étalon de longueur qui se prête bien à ce calcul : celui associé aux oscillations acoustiques des baryons (BAO, pour baryonbaryon acoustic oscillations en anglais) dans l'univers primitif avant la recombinaisonrecombinaison, c'est-à-dire avant l'émissionémission du rayonnement fossile environ 380.000 ans après la « naissance » de l'univers observable. Avant cette recombinaison qui va donner lieu à la formation des atomesatomes neutres, l'univers est un plasma chaud de protonsprotons, d'électronsélectrons, de photonsphotons et de neutrinosneutrinos entourant des zones plus denses contenant de la matière noirematière noire. Ces zones attirent gravitationnellement les baryons, mais le couplage entre la matière normale et la lumièrelumière produit une pressionpression qui s'oppose à l'effondrementeffondrement des baryons. Le plasma de matière normale se contente donc d'osciller avec des ondes sphériques de densité autour des zones de surdensité de matière noire. La matière normale va donc avoir tendance à se concentrer sur des coquilles sphériques. Si l'on prend l'image de petites pierres lancées dans une mare, les ondes concentriques de surface qui se chevauchent donnent une bonne représentation des ondes sphériques se propageant dans le cosmoscosmos observable de l'époque.

    Le <em>Sloan Digital Sky Survey</em> (SDSS) est l'une des campagnes d'observations les plus ambitieuses et les plus influentes de l'histoire de l'astronomie. Pendant huit ans (SDSS-I de 2000 à 2005, puis SDSS-II de 2005 à 2008), les scientifiques ont obtenu des images d'objets distants couvrant plus d'un quart du ciel. Cela a permis de créer des cartes en trois dimensions contenant plus de 930.000 galaxies et plus de 120.000 quasars. La campagne SDSS-III est en cours jusqu'en 2014. Les observations ont été réalisées avec le télescope à l’image. © <em>SDSS Team</em>, <em>Fermilab Visual Media Services</em>
    Le Sloan Digital Sky Survey (SDSS) est l'une des campagnes d'observations les plus ambitieuses et les plus influentes de l'histoire de l'astronomie. Pendant huit ans (SDSS-I de 2000 à 2005, puis SDSS-II de 2005 à 2008), les scientifiques ont obtenu des images d'objets distants couvrant plus d'un quart du ciel. Cela a permis de créer des cartes en trois dimensions contenant plus de 930.000 galaxies et plus de 120.000 quasars. La campagne SDSS-III est en cours jusqu'en 2014. Les observations ont été réalisées avec le télescope à l’image. © SDSS TeamFermilab Visual Media Services

    Au moment de la recombinaison, la pression des photons disparaît, et donc aussi les oscillations acoustiques des baryons. Il existe alors une longueur caractéristique dans la taille des coquilles sphériques de matière à cette époque. La trace de ce phénomène va se retrouver plus tard dans les regroupements de galaxies dans l'univers. En analysant ces regroupements à une date donnée de l'histoire du cosmos, on peut à la fois mesurer une échelle de distance fossilefossile caractéristique des oscillations acoustiques des baryons et mesurer sa taille apparente.

    Depuis les années 2000, les membres de la collaboration SDSS (Sloan Digital Sky Survey) utilisaient un télescopetélescope optique de 2,5 mètres de diamètre situé à l'observatoire d'ApacheApache Point, aux États-Unis, pour dresser une carte de la répartition des galaxies autour de la Voie lactéeVoie lactée et mesurer les décalages spectraux associés. En 2008, quatre nouvelles campagnes d'observation ont été lancées avec SDSS-III. L'une d'elles se nomme Baryon Oscillation Spectroscopic Survey (Boss) et avait précisément pour but de mesurer et caractériser précisément l'étalon de longueur contenu dans les oscillations acoustiques des baryons, ainsi que de relier sa taille apparente à des décalages spectraux.

    Constante cosmologique pour un univers plat

    Les astronomes de Boss ont ainsi cartographié et analysé les spectres de 1.277.503 galaxies sur une portion de la voûte céleste dont la taille angulairetaille angulaire est de 8.509 degrés carrés dans l'hémisphère nord. Cet échantillon de galaxies mais aussi de quasarsquasars plonge jusqu'à six milliards d'années dans le passé de notre univers, c'est-à-dire précisément la période où l'accélération de l'expansion de l’univers sous l'effet de l'énergie noire est devenue notable. Une fois terminées, les observations de Boss contiendront des spectres de haute qualité de 1,3 million de galaxies, ainsi que de 160.000 quasars et beaucoup d'autres objets astronomiques, couvrant une surface angulaire de 10.000 degrés carrés.

    Les chercheurs viennent de publier sur arxiv les derniers résultats de leurs analyses des données patiemment accumulées depuis 2008. Ils ne cachent pas leur enthousiasme devant la précision des mesures atteintes en ce qui concerne les distances et d'autres paramètres cosmologiques. Il y a 20 ans, certaines étaient connues avec une incertitude de 50 % : elle était tombée à 5 % voilà 5 ans, et on atteint maintenant une précision de 1 %.

    Les deux conclusions principales qui ont pu être déduites sont que l'univers ne donne toujours aucun signe d'un écart à la géométrie euclidienne pour ce qui concerne la courbure de l'espace et qu'il n'y a toujours aucun signe d'un changement de la valeur de l'énergie noire pendant ces derniers six milliards d'années. Elle se comporte donc comme la constante cosmologiqueconstante cosmologique d'Einstein, ce qui est assez décevant, car dans le cas contraire, on aurait pu faire le lien avec de la nouvelle physique comme celle de la supergravité.