L’engouement récent autour des propos tenus lors d’un colloque d’exobiologie en septembre 2014 par la philosophe Susan Schneider et l'astronome Seth Shostak peut surprendre. L’idée que les intelligences extraterrestres évoluées sont forcément des superodinateurs bien au-delà des capacités d’Homo sapiens a déjà été avancée par Arthur Clarke il y a presque 50 ans. Elle remonte même à 1929 puisqu’elle est implicitement exprimée dans les écrits du grand cristallographe John Desmond Bernal.

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    La mise en ligne de l'intervention de Susan Schneider, professeur de philosophie à l'Université du Connecticut (États-Unis) fait actuellement un certain bruit. Elle date d'un colloque d'exobiologie qui s'est tenu en septembre 2014 à l'initiative de la Nasa et de la bibliothèque du Congrès (la bibliothèque de recherche du Parlement des États-Unis, en quelque sorte la bibliothèque nationale américaine). La raison de ce battage médiatique peut étonner, bien que l'une des thèses de la philosophe ait également été avancée lors de ce même colloque par l'astronomeastronome Seth Shostak, figure de proue bien connue du programme Seti.

    La thèse que Susan Schneider expose parmi quelques autres dans un article intitulé Alien Minds est simple : « les civilisations extraterrestres les plus sophistiquées sont post-biologiques, des formes d'intelligence artificielleintelligence artificielle. Plus encore, les civilisations extraterrestres sont probablement des formes de « superintelligence » : une intelligence capable de dépasser les plus hauts niveaux d'intelligence humaine dans tous les domaines -- capacités sociales, sagacité, créativité scientifique, etc. ». Le corollaire le plus immédiat est que celles avec lesquelles nous pourrions entrer en contact seront donc majoritairement de tels superordinateurssuperordinateurs débarrassés des limites des supports biologiques que nous ne connaissons que trop bien.

    L'Homme, un poisson rouge pour des IA extraterrestres

    En fait, si l'on suit la logique de cette thèse, on aboutit à un autre corollaire à savoir que ces superintelligences sont indifférentes à notre existence. « Si nous les intéressions, nous ne serions probablement pas ici, pense Schneider. Mon sentiment profond est que leurs objectifs sont tellement différents des nôtres qu'ils n'éprouvent pas le besoin de nous contacter ». Et Shostak de renchérir : « je suis d'accord avec Susan. Nous ne les concernons pas du tout. Nous sommes tout simplement trop simples, trop éloignés de leur préoccupations ». L'astronome fait d'ailleurs à ce sujet une comparaison parlante quand il fait remarquer : « vous ne passez pas du temps à disserter d'un livre avec votre poissonpoisson rouge. D'un autre côté, vous ne voulez pas tuer de poisson rouge non plus ».

    Susan Schneider est membre du département de philosophie de l'université du Connecticut. Elle se concentre sur des questions concernant la philosophie des sciences cognitives et, en particulier, la plausibilité des théories de l'esprit basées sur le calcul. © Susan Schneider

    Susan Schneider est membre du département de philosophie de l'université du Connecticut. Elle se concentre sur des questions concernant la philosophie des sciences cognitives et, en particulier, la plausibilité des théories de l'esprit basées sur le calcul. © Susan Schneider

    Ces réflexions prennent particulièrement du relief en ce moment dans le cadre des idées transhumanistes et surtout des courants autour de la singularité technologique. Schneider et Shostak n'en font pas mystère. La philosophe est bien consciente de l'existence du fameux « difficile problème de la conscience » (hard problem of consciousness en anglais), selon le terme inventé par son confrère, le philosophe australien David Chalmers. Elle considère fort justement que le téléchargement de la conscience, tel qu'on l'envisage le plus souvent, ne peut produire qu'une copie d'une intelligence biologique (et absolument pas un moyen pour elle de survivre vraiment à sa propre mort). Elle concède cependant à juste titre que tout indique que, très probablement, un ordinateurordinateur suffisamment performant doit pouvoir émulerémuler le comportement conscient d'un système biologique comme Homo sapiensHomo sapiens.

    Des IA pour conquérir et explorer la Voie lactée

    Il en découle que les progrès exponentiels de l'informatique devraient bientôt faire émerger des superordinateurs conscients, lesquels seront en mesure de s'auto-améliorer tellement rapidement qu'ils déboucheront très vite sur des intelligences et des systèmes conscients qui seront aussi éloignés de nous et incompréhensibles à notre esprit que nous le somme des trilobites. Que ce soit sous forme de copies ou de réels téléchargements de la conscience sur de tels systèmes, qui pourraient être eux-mêmes fort différents par certains côtés de nos ordinateurs actuels, l'humanité pourrait donc bien abandonner tout existence sous forme biologique avant de pouvoir s'élancer vers les étoiles.

    Si tel est bien le destin qui nous attend, disons à la fin du XXIe siècle, peut-être comme ultime recours à la survie de notre espèceespèce confrontée à une crise biologiquecrise biologique causée par le réchauffement climatiqueréchauffement climatique, il semble que cela doit être aussi celui de toutes les autres civilisations avancées de la Voie lactée. Ce bond évolutif donnerait alors une explication simple au paradoxe de Fermi. Toute civilisation intelligente avancée se retirerait finalement d'une biosphèrebiosphère pour continuer sa vie dans un cyberespacecyberespace, indifférente au destin du monde extérieur, si ce n'est pour y puiser de l'énergie et de la matière, probablement en orbite autour d'étoiles et de trous noirstrous noirs comme l'a envisagé Freeman Dyson dans ses spéculations sur la fin de l'univers.

    L'astronome Seth Shostak est bien connu pour ses recherches dans le cadre du programme Seti<em>.</em> Il est l'un des directeurs du <em>Seti Institute</em> situé à Mountain View (Californie).<em> © SETI.org</em>

    L'astronome Seth Shostak est bien connu pour ses recherches dans le cadre du programme Seti. Il est l'un des directeurs du Seti Institute situé à Mountain View (Californie). © SETI.org

    Mais toutes ces idées sont forts anciennes puisqu'on les trouve en toile de fond dans le roman d'Arthur Clarke, 2001 : l'Odyssée de l'espace. Lui-même ne fait que reprendre en les modernisant les thèses avancées par le grand cristallographe et pionnier de la biologie moléculairebiologie moléculaire John Desmond Bernal dans l'essai qu'il a publié en 1929 : The World, the Flesh & the Devil: An Enquiry into the Future of the Three Enemies of the Rational Soul. Voilà donc des décennies que d'autres sont parvenus aux conclusions suivantes déjà exposées clairement par Clarke et Bernal.

    L'espace est profondément inhospitalier pour des êtres vivants. Le voyage interstellaire nécessite du temps et de l'énergie, de sorte qu'il faut probablement des milliers d'années pour passer d'une étoile à une autre. Même à l'échelle du Système solaireSystème solaire, des sondes robotisées sont plus efficaces et plus adaptées pour son exploration et sa colonisation que des êtres humains, comme le prouvent les succès récents des missions Curiosity et Rosetta. Toute civilisation technologique avancée va donc nécessairement développer de tels robotsrobots et tendra à fusionner avec eux afin de se libérer du poids de la mortalité.

    Qu'importe les millions d'années, les températures et les pressionspressions et même les contaminationscontaminations biologiques dans des biosphères étrangères pour des superordinateurs conscients aux commandes d'astronefs et de corps robots. Ils sont alors libres de voyager partout dans l'espace et de penser, débarrassés du fardeau et de la prison d'un cerveaucerveau biologique connecté à un corps si fragile et si limité.

    Les E.T., des superordinateurs quantiques ?

    Bernal et Clarke envisageaient une étape supplémentaire dans l'évolution de la conscience dans l'universunivers que ne mentionnent pas Schneider et Shostak, mais dont il est probable qu'ils aient connaissance. La miniaturisation de l'électronique et la maîtrise toujours accrues des lois de la nature permettent d'imaginer que les circuits des ordinateurs pourraient un jour se trouver au niveau même de la structure quantique de l'espace-tempsespace-temps. Des flux de lumièrelumière pourraient ainsi être piégés dans des trous de ver quantiques pour effectuer des calculs quantiques. Les E.T. sont donc peut-être finalement des formes presque impalpables d'énergie pure sans véritable support matériel sous forme d'ordinateurs quantiquesordinateurs quantiques dans la trame même de l'espace-temps et encore plus indifférents aux affaires humaines que nous ne pouvons le concevoir.

    Ces spéculations ne sont pas si extravagantes qu'on pourrait le penser lorsqu'on connaît la théorie de la conscience avancée par Roger Penrose et Suart Hameroff, ainsi que les réflexions sur l'existence d'un niveau subquantique derrière les lois de la physiquephysique constitué par des sortes d'automates cellulairesautomates cellulaires, comme le propose depuis quelques années le prix Nobel de physique Gerard 't Hooft.